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Charles Wyplosz est professeur d’économie internationale à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève et directeur du Centre international d’études monétaires et bancaires. Ses principaux domaines de recherche sont les crises financières, l’intégration monétaire européenne, les politiques monétaires et budgétaires ainsi que l’intégration monétaire régionale. Il intervient fréquemment comme expert auprès d’organisations internationales.

Alors que l’Insee révèle que les prix à la consommation ont baissé de 0,2% en novembre, Charles Wyplosz explique pourquoi la déflation, loin d’être une mauvaise nouvelle, pourrait permettre d’augmenter le pouvoir d’achat des Français.

À voir la BCE se tordre les mains de désespoir et les commentateurs prédire le pire, on ne se pose plus la question: la déflation est le pire des dangers qui nous menacent. Peut-être, mais peut-être pas.

La déflation a mauvaise réputation parce qu’elle est la conséquence de longues périodes de récession ou de non-croissance. Lorsque le chômage augmente goutte à goutte de manière inexorable, les salaires cessent d’augmenter. La consommation stagne, ou baisse. Face à un marché atone, les entreprises réduisent leurs dépenses d’équipements, n’embauchent plus ou même débauchent, ce qui renforce le climat récessionniste et, encouragées par des coûts du travail en déclin, commencent à casser les prix. Les prix des matières premières suivent la même logique. La spirale déflationniste se met en place. Un réflexe pavlovien nous amène à associer déflation et récession.

Une vraie déflation est un processus qui affecte durablement tous les prix et tous les salaires. On en est loin.

Quand on essaie d’aller plus loin, il n’est pas difficile de noircir un peu plus le tableau. La baisse du niveau des prix prend ceux qui ont emprunté à la gorge. En effet, il leur faut abandonner plus de dépenses, dont la valeur baisse, pour assurer le service de leur dette.

Cela vaut pour le gouvernement, dont les revenus fiscaux sont à peu près proportionnels à l’inflation. Cela vaut pour les entreprises, dont les prix baissent. Le monde de la finance vacille entre dettes impayées et faillites, une crise n’est pas loin.

Voilà pour les principes. La réalité peut être bien différente. D’abord, une vraie déflation est un processus qui affecte durablement tous les prix et tous les salaires. On en est loin. Ensuite, une baisse des prix représente un gain de pouvoir d’achat pour ceux dont le salaire ne baisse pas. C’est l’une des raisons de la reprise en Irlande et en Espagne.

Dans ces deux pays, les salaires ont beaucoup baissé durant la crise, puis ils se sont stabilisés à un bas niveau et, parce que le chômage reste élevé, ils ne sont pas prêts de reprendre l’ascenseur. Mais la baisse des prix joue le même rôle, et ça commence à se faire sentir.

La baisse des prix du pétrole va certainement continuer à peser sur le niveau des prix. Déjà nombreux sont ceux qui s’en inquiètent et qui demandent à la BCE de faire quelque chose. Mais, là encore, c’est une excellente nouvelle.

D’abord, si les prix du pétrole resteront bas, il s’agira d’un simple ajustement temporaire: une fois le plancher atteint, le prix du pétrole va s’arrêter de baisser et donc de réduire le taux d’inflation.

Quelques mois d’inflation négative, ce n’est pas la déflation. Surtout, le pétrole moins cher représente un énorme transfert de revenus au profit des pays importateurs, au détriment des pays exportateurs. Chacun d’entre nous empoche ce transfert grâce à la baisse des prix. S’en plaindre est quelque peu pathologique.

La mauvaise nouvelle est pour l’État. Ses revenus sont directement liés au niveau des prix. Le gouvernement a fait ses prévisions et il n’a pas envisagé une inflation aussi basse, voire négative. Alors il est surpris, et il risque de l’être encore. Mais il aurait tort de se plaindre.

Lui aussi bénéficie d’une inflation basse à travers ses dépenses. En tout cas, il devrait. Mais il a prévu autrement… La moindre des sagesses serait de revoir les dépenses à la baisse, y compris sur les achats de produits pétroliers (chauffage, voitures officielles, kérosène de l’armée de l’air, etc.). Baisse des revenus, donc baisse des dépenses, c’est sans doute trop simple.

Quant à la BCE, elle n’a aucune raison de combattre une inflation temporairement négative. Cela reviendrait à bloquer la hausse du pouvoir d’achat, l’une des rares sources de reprise de la croissance. Quand on lui demande de faire plus, elle répond qu’elle a baissé le taux d’intérêt au niveau zéro et n’a donc plus guère de munitions. Pourquoi alors devrait elle se priver de ce qui lui est offert?

Il reste ceux qui ont des dettes, qui ne bénéficient plus de la lente érosion habituellement offerte pas l’inflation. Mais ils bénéficient depuis trois ans de taux d’intérêt historiquement bas, ce qui compense, et plus, une éventuelle déflation temporaire. Comme tout le monde, ils veulent le beurre et l’argent du beurre. C’est normal, mais il est bien difficile de s’apitoyer sur leur sort.

Nous avons bien des raisons de nous inquiéter de la situation économique, à commencer par les ravages du chômage de masse. De grâce, n’inventons pas un problème qui n’en est pas un, bien au contraire.

Le Figaro

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