Fdesouche

(Fdesouche nous a invités récemment à lui envoyer des textes. J’ai écrit ce qui suit pour réfuter les arguments qu’on entend assez fréquemment en faveur du franglais. C’est aussi l’occasion de fêter les 50 ans du livre de René Étiemble, un intellectuel de gauche pourtant, qui dénonçait avec virulence le “sabir atlantique” dans “Parlez-vous franglais?”. Un anniversaire qu’à ma connaissance personne n’a célébré.)

« Parlez-vous franglais ? » demandait René Étiemble en 1964 dans un livre qui dénonçait l’invasion du « sabir atlantique ». Cinquante ans après, vient de paraître « Parlez franglais ! » d’un certain Paul-Romain Larreya. Étiemble appelait au sursaut, Larreya prône la soumission.

Comme lui, ils sont nombreux les chantres de la dhimmitude culturelle. Ne pouvant nier l’intrusion – à visage découvert (feeling) ou en tenue de camouflage (scène de crime) – de milliers d’anglo-américanismes de tout poil, ces bons apôtres du vivre-ensemble linguistique s’efforcent tantôt de minimiser le phénomène, tantôt de le justifier.

Simple mode, disent-ils par exemple. Plaisante mode qui dure et dure. S’il est vrai que des élites urbaines aiment à se parer des plumes de l’aigle états-unien, les branchés ne doivent pas cacher la forêt. L’américanomanie n’est plus l’apanage de groupes ou de domaines définis, mais elle s’est diffusée à des degrés divers dans tout le corps social et dans l’ensemble des secteurs d’activité.

Tout cela n’est pas si grave, ajoutent-ils. Une bonne partie de ces emprunts avaient été imposés à l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. Ils ne font que rentrer au bercail. La belle affaire ! Les soldats de la Wehrmacht étaient-ils plus légitimes sur notre sol quand ils avaient des ancêtres huguenots ? Et puis marketing peut bien venir de marché, coaching de coche, ils ne sont français ni phonétiquement ni par la graphie.

Mais l’argument le plus employé par les adeptes du nouveau parler « gallo-ricain » est l’enrichissement que nous apporteraient les mots venus d’ailleurs. Certes, toute langue vivante va chercher ici ou là des éléments pour nommer les phénomènes et les concepts qui ne lui sont pas familiers.

Personne ne s’offusque que le français ait intégré récemment tsunami ou djihad. Mais nous assistons à tout autre chose : à l’arrivée continue dans notre langue, notre quotidien et sur les murs de nos villes, d’un flot sans cesse grossissant de CPF (chances pour le français) en provenance des seuls États-Unis. Une fois installés, ils prolifèrent et bousculent notre syntaxe en s’associant à la mode anglo-saxonne.

Que l’on songe aux familles très nombreuses de box, man, boy, board, gate, land, etc. Presque tous ces « apports » n’apportent rien. Qu’expriment en effet burn-out, story ou booster que surmenage, histoire ou dynamiser ne diraient pas ? Mots inutiles donc, et par conséquent nuisibles car ils prennent indûment la place de leurs équivalents bien français, menacés de prendre « rouille pour avoir été […] hors d’usage » (Henri Étienne).

Simple reflet de la puissante séduction de Wall Street et d’Hollywood, volonté hégémonique ou expression d’une sorte de jacobinisme mondialiste? La question est posée. Quoi qu’il en soit, si nous n’y prenons garde, cette entreprise de substitution, inédite, de grande ampleur et qui touche la langue au cœur (déjà plusieurs centaines de verbes recensés), menace de faire du français « de l’anglais mal prononcé », pour reprendre à l’envers le mot de Clémenceau. Souvenons-nous que les langues sont mortelles.

Fdesouche sur les réseaux sociaux