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Hors Mondial de football, Cuaibá, capitale du Mato Grosso, bat moins de records sportifs qu’agro-industriels, dans un secteur qui déverse des tonnes d’herbicides et de fertilisants sur ses champs.

«Un milliard de litres d’agrotoxiques sont répandus chaque année dans le pays. Ce qui veut dire que chaque Brésilien en ingurgite plus de 5,2 litres. Jusqu’à quand allons-nous l’accepter?» interroge Wanderlei Pignati, lors d’une conférence à l’Université fédérale du Mato Grosso. Médecin de formation, le professeur Pignati a entrepris de vastes recherches durant plusieurs années sur les agrotoxiques (engrais et fertilisants chimiques, pesticides, herbicides, fongicides et acaricides), afin d’en mesurer l’impact sur la santé. Son rapport est dévastateur pour le «grenier» du Brésil : chaque hectare agricole du Mato Grosso est contaminé en moyenne par 25 litres de ces produits chimiques! Une étude de l’Association brésilienne de santé (ABRASCO) révèle quant à elle qu’un tiers des denrées ingérées par les Brésiliens sont infectées, faisant d’eux les plus grands consommateurs mondiaux d’agrotoxiques.

Poids lourd économique

Dans l’Etat du Mato Grosso, situé dans le centre-ouest du pays, les propriétaires terriens sèment essentiellement des monocultures de soja, maïs, coton, et canne à sucre. Les aliments de première nécessité sont pour la plupart importés du Sud brésilien, plus diversifié. Ici, la superficie des propriétés agricoles laisserait pantois tout paysan helvétique de passage. Les exploitations atteignent parfois 100 000 hectares et s’étendent sur plus de 70 kilomètres. Des champs à perte de vue, de quoi désarçonner les visiteurs. Et expliquer pourquoi le secteur pèse quelque 40% des exportations brésiliennes.

Dans ces immensités, qui font du Brésil le troisième producteur agricole mondial, les exploitants ne font pas de détails. Massifs, les intrants utilisés sont aussi parmi les plus dangereux. Ainsi le Paraquat, commercialisé sous le nom de Gramoxone et conçu par le géant suisse Syngenta, continue d’être utilisé un quart de siècle après son interdiction en Suisse.

Inflammations, irritations, asthme, allergies, nausées, dépressions et même tentatives de suicide, les symptômes répertoriés par le professeur Pignati sont inquiétants. Son rapport pointe l’irrespect de la distance entre une zone pulvérisée et les résidences ou sources d’eau alentour. La loi fédérale indique une distance de 500 mètres, mais le gouvernement mato-grossense l’a réduite à 90 mètres.

Pourtant, il arrive que des surfaces traitées se trouvent à seulement 10 mètres d’habitations ou de cours d’eau.

Copinage et cadeaux

L’affaire la plus emblématique de contamination remonte à 2006, lorsqu’un avion a pulvérisé des champs alors que le vent s’était levé. Une pluie d’agrotoxiques s’était alors abattue sur la localité voisine, engendrant de graves conséquences, selon le professeur Pignati, qui a enquêté sur place: «Nos analyses ont montré des traces d’agrotoxiques dans le lait maternel, dans l’urine et dans le sang des personnes vivant à proximité. Par la suite, on a assisté à une hausse impressionnante de problèmes respiratoires, de cancers et de malformations.»

Autres victimes des agrotoxiques: les communautés indigènes. «On répertorie fréquemment des Indiens ayant été intoxiqués après avoir bu de l’eau souillée dans leur réserve», témoigne Ivar Busatto, le coordinateur général de l’ONG OPAN, qui milite pour les droits des natifs brésiliens.

Interpellées, les autorités régionales éludent les points sensibles. Secrétaire adjoint au Développement rural et à l’agriculture familiale (SEDRAF), Renaldo Loffi nie tout laxisme face à l’utilisation de produits dangereux: «Si des actes délictueux sont commis par des acteurs économiques, quels qu’ils soient, nous intervenons. Nous faisons tout notre possible pour protéger la santé de la population et lui offrir de bonnes conditions de vie.»

La déclaration ne convainc pas Rosangela Rodrigues, du Mouvement local des travailleurs ruraux sans terre (MST): «Les dirigeants du Mato Grosso au pouvoir dans les villes et à l’Etat sont très souvent issus de l’agrobusiness. Les grandes entreprises financent les campagnes politiques et tout ce petit monde travaille main dans la main, dans leur seul intérêt.»

 

João Inacio Wenzel, responsable du Forum mato-grossense en faveur de l’environnement et du développement (FORMAD), lève un autre lièvre. «Savez-vous que les agrotoxiques importés au Brésil sont quasiment exemptés d’impôts? C’est scandaleux, quand on sait que la plupart des biens venant de l’étranger sont lourdement imposés. Nous ne voulons pas de la mainmise sur notre région de firmes telles que DuPont de Nemours, Cargill, Syngenta et Monsanto», s’insurge-t-il.

Pour le MST, la réponse à apporter consiste à développer les alternatives paysannes. Et donc à répartir la terre. «Nous sommes révoltés contre les organes étatiques en charge d’attribuer les titres de propriété terrienne. Les responsables sont corrompus et rien ne change, malgré les cas dénoncés par la police fédérale», assure Mme Rodrigues.

Répartir la terre

Vestige de l’époque coloniale, la répartition des terres demeure extrêmement iné-gale au Brésil, puisque 3,2% des exploitations agricoles occupent plus de 62% des surfaces cultivées, sans que l’ex-président Lula ou Dilma Rousseff n’inversent la tendance. Pis: si les conflits liés à la terre ont toujours émaillé l’histoire du pays, ils se sont intensifiés depuis quelques années avec une recrudescence de 40% entre 2008 et 2013.

Quid de l’avenir? Malgré la tendance plaidant en faveur des géants de l’agro-négoce, Ivor Busatto se veut optimiste: «Il faut se battre pour faire respecter la législation, condamner les pulvérisations d’agrotoxiques par avion, exclure les agrotoxiques prohibés en Europe, veiller à la santé de la population et de l’environnement», énumère-t-il. Tout un programme.

Un agriculteur, rencontré lors de la conférence du Pr Pignati, veut, lui, impliquer les consommateurs.

«J’ai utilisé des agrotoxiques comme la plupart des paysans brésiliens, mais c’est terminé. Je suis en train de me reconvertir au bio avec un ami. Ce qui me désole, c’est de voir à quel point les gens sont influencés par l’aspect esthétique des marchandises. Grâce aux agrotoxiques et aux OGM, la couleur de la tomate sera vive et sa forme bien régulière, attirant l’œil du consommateur lambda, plus qu’un produit bio qui peut être difforme. Cela aussi il faut le changer.»

Omniprésents OGM

A tous les coups, les spectateurs qui remplissaient hier l’Arena Pantanal, le stade de Cuiabá où s’affrontaient le Chili et l’Australie, ont ingurgité force épis de maïs OGM et picanha élevée au soja transgénique. Depuis 2005 et l’introduction de la loi sur la biosécurité, les cultures transgéniques sont chez elles au Brésil. Le géant latino en est aujourd’hui le deuxième producteur mondial (23%), derrière les Etats-Unis (40%).

Alors que le nombre de pays produisant ces plantes diminue, ceux qui ont fait le pari des OGM se jettent à corps perdu dans cette voie. D’où une explosion des surfaces consacrées au Brésil, et dans l’Etat du Mato Grosso en particulier, aux cultures de soja, de maïs et, dans une moindre mesure, de coton modifiés. Les chiffres du gouvernement mato-grossense indiquent que le 90% du soja de l’Etat est issu de cette filière.

Un développement célébré sans trop de détour par l’Etat du Mato Grosso. «L’impact économique est très bénéfique pour notre région», assure le secrétaire adjoint au Développement rural et à l’agriculture familiale, Renaldo Loffi. «Dans l’idéal, nous préférerions produire que des variétés conventionnelles, mais l’histoire a montré qu’elles ne résistaient pas aux diverses maladies locales. A noter que les recherches du gouvernement fédéral ont prouvé que les OGM n’engendrent aucune répercussion négative sur la santé», conclut-il, l’air serein et le sourire en coin.

João Inacio Wenzel conteste ces arguments avec véhémence: «Cette étude est biaisée, puisque réalisée par des entreprises en mains étatiques, dénonce le responsable du Forum mato-grossense en faveur de l’environnement et du développement (FORMAD). Elle n’est pas crédible, mais les dirigeants la citent en boucle pour discréditer les anti-OGM.»

La contamination de l’Etat ne se limite pas aux champs. A Cuiabá, la capitale, les OGM ont envahi le quotidien des gens. Pour s’en convaincre, il suffit de se balader quelques minutes entre les rayons d’un supermarché. Les emballages étiquetés du fameux symbole sont légion et beaucoup de locaux n’y prêtent pas (plus?) attention. Les produits bio, eux, sont peu visibles et ne semblent pas avoir la cote. Il n’existe qu’un seul marché où il est possible de s’approvisionner, ce qui est restreint pour une ville de plus de 500 000 âmes, sans oublier l’aspect financier qui en rebute plus d’un (il faut débourser en moyenne quatre fois plus).

Dans l’ensemble convertis aux OGM, les Brésiliens ne s’en plaignent pas ou peu. «Actuellement, un symbole indiquant qu’un aliment contient des OGM doit être visible sur chaque emballage, mais les multinationales de l’agro-industrie s’activent et mènent campagne pour lever cette obligation», s’inquiète la responsable des paysans sans terre, Rosangela Rodrigues.

Le pouvoir fédéral aurait pu se limiter à la nourriture, mais il n’en est rien. Place donc aux moustiques transgéniques. Créés par un laboratoire scientifique afin de lutter contre la propagation de la dengue, ils ont fait leur apparition il y a peu dans le ciel de Bahia (Nord-Est). Ces moustiques futuristes seraient capables de contrôler leurs semblables porteurs de la maladie en les rendant stériles… Quant aux vivres, la tendance montre un accroissement du feijão transgénique (haricot), très présent dans la nourriture brésilienne. De quoi familiariser toujours plus d’individus avec les OGM?

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