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1,3 milliards de tonnes ou 30% de la production alimentaire mondiale et un coût de 750 milliards de dollars[1]. 50% de la production européenne[2], dont 5,3 millions de tonne chaque année en France, soit une vingtaine de kilos par personne et un coût de 400€ pour un foyer de 4 personnes[3]. Quelle que soit l’échelle choisie, les chiffres du gaspillage alimentaire donnent le vertige, triste reflet d’un système productif basé sur la surconsommation. Qu’en est-il à Lyon ? Nous n’avons pas de chiffres exacts mais, à l’aide de Loïck et Nathan, deux lyonnais qui se battent contre ce gâchis, nous sommes allées mettre les mains (et le nez) dans les poubelles de plusieurs grand magasins de la ville. Enquête.

Alors que le Parlement a fait de 2014 l’année de lutte contre le gaspillage alimentaire, comment imaginer une réponse collective si les Etats peinent à prendre des mesures concrètes localement ? La réponse à cette question viendra peut-être des citoyens eux-mêmes car de nombreuses  actions anti-gaspillage émergent en France et en Europe, à commencer par le freeganisme. Ce mouvement porté notamment par l’auteur britannique Tristam Stuart consiste à se nourrir uniquement d’aliments récupérés dans les poubelles.

Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière cette pratique, à la frontière entre variance et déviance,  nous sommes allées à la rencontre de Loïck et Nathan*.  Les deux compères sont freegan depuis plusieurs années mais en Février 2013, devant les volumes collectés,  ils décident de redistribuer gratuitement cette nourriture, afin d’éveiller les consciences aux enjeux du gâchis alimentaire. Le joyeux duo des GARS’PILLEURS est né !

Il est 21 heures ce vendredi quand ils nous rejoignent à Perrache. Discrets, ils ont pourtant accepté notre présence à une soirée de « récup’ » destinée à la distribution du lendemain. Nous sautons donc à l’arrière d’un camion emprunté à un ami pour l’occasion, direction plusieurs grandes surfaces en périphérie de Lyon.

Après quelques kilomètres, nous nous attaquons à notre première poubelle, à l’arrière d’un hypermarché. Bonne pioche, le contenu y est impressionnant : une vingtaine de bananes encore emballées, une dizaine de barquettes de fraises, des mousses au chocolat jetées car l’une d’entre elles est percée, …

Les poubelles des grandes surfaces mais aussi des épiceries et des restaurants cachent absolument de tout : viande, poisson, yaourts, pâtisseries, gâteaux secs, plats préparés, fruits et légumes. Peu de denrées échappent aux règles absurdes de la surconsommation, « la seule chose qu’on trouve rarement, ce sont les féculents comme les pâtes ou le riz, parce que ça ne se périme pas » explique Nathan.

La suite de la soirée nous montrera que cette première collecte n’est pas  un coup de chance : nous rentrons à Lyon avec plus 150 kilos de nourriture comestible mais allégées de quelques clichés. Si la « récup’ » n’est pas une pratique nouvelle, elle abrite aujourd’hui des réalités diverses. Les motivations des glaneurs ont évolué en même temps que leur profil. Pour Loick et Nathan, le freeganisme relève plus de l’acte militant que de la nécessité économique. Leur pratique n’en est pas moins dénuée de règles, comme l’interdiction de toucher aux marchandises entreposées mais destinées à la vente ou l’obligation de laisser l’endroit de collecte aussi propre qu’à l’arrivée.

Le lendemain, nous retrouvons comme convenu nos deux amis en face de l’Opéra afin de réaliser une distribution un peu spéciale. Et pour  cause, deux collectifs se sont joints à l’action des Gars-Pilleurs : La Vélorution, des aficionados du deux-roues qui proposent des virées dans les rues de Lyon tous les derniers samedis du mois, et la DiscoSoupe, qui offre gratuitement des plats cuisinés à partir d’aliments récupérés !

C’est donc à vélo que s’élancent une centaine de participants pour rejoindre plusieurs points de distribution. La DiscoSoupe entre alors en actions : on coupe, on épluche des kilos de fruits récupérés la veille pour en faire des smoothies ou des salades de fruits. Un mixeur mais pas d’électricité ? Pas besoin, l’appareil est relié à un vélo et se met en marche à la force de la pédale !

Que ce soit à Charpennes ou au Parc Sergent Blandan, l’étonnement est de mise pour les passants conviés à se servir gratuitement dans la remorque des Gars-Pilleurs. Ces derniers profitent alors de l’occasion pour discuter avec eux du gaspillage alimentaire et des alternatives de consommation telles que les circuits courts.  Et quand certains hésitent à se saisir des aliments issus des poubelles, un peu de pédagogie finit par les convaincre de sauter le pas : sentir la nourriture, regarder la couleur des aliments ou constater qu’un emballage a gonflé, autant de réflexes simples mais souvent oubliés pour évaluer la comestibilité d’un plat.

Il est clair que la responsabilité d’un tel gâchis repose en grande partie sur les grandes surfaces et la restauration collective, qui génèrent près de 75% du gaspillage alimentaire total.  Dans un contexte économique encore tendu, la lutte contre le gaspillage alimentaire serait un excellent signal adressé à tous ces acteurs, des grandes surfaces au simple particulier, en passant par les collectivités territoriales et les entreprises.

Et pourtant, le Pacte national lancé en Juin dernier par Guillaume Garot, ancien ministre délégué à l’agroalimentaire, a de quoi laisser sur sa faim. Sensibiliser le grand public et en particulier les plus jeunes à ces enjeux  est certes un pari sur l’avenir mais le volontarisme politique semble se limiter à la communication.

C’est pourquoi, dans l’attente de mesures politique fortes à leur égard, le consommateur a aussi le droit, et peut-être même le devoir, de faire de sa consommation un acte durable.

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Notes :

*Les prénoms ont été changés.

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