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La Croatie est membre de l’Union européenne depuis juillet 2013. Le mouvement écologique y agite de manière surprenante la société, alors que les pressions environnementales s’accroissent de tous côtés.

Le 6 mars dernier, à 9 heures, une dizaine de militants écologistes ont joué une partie de golf devant le parlement croate à Zagreb. La presse nationale est venue nombreuse pour relayer leur message: le refus de la transformation de la côte du pays en vaste complexe immobilier touristique. L’action était signée Zelena Akcija, « Action Verte » – l’organisation écologiste la mieux connue du pays et membre de la fédération internationale des Amis de la Terre.

La côte croate, connue pour sa beauté et sa biodiversité, est à la fois une fierté nationale et une attraction touristique. Elle est aussi la proie des investisseurs, qui souhaitent y construire des appartements de luxe, des hôtels, et des golfs.

En 2011, un projet de loi aurait pu rendre tout cela possible : changer le statut des terres côtières pour en faire des terrains de golf serait devenu possible. La voie aurait alors été ouverte vers une transformation de champs, de forêts, en complexes immobiliers.

La région de Dubrovnik, très touristique, était particulièrement concernée. Un collectif rassemblant organisations nationales et locales s’est ainsi monté dans la ville de Srđ, nommé “Srđ est à nous”. Leur mobilisation a obligé le pays à organiser le premier référendum local de l’histoire du pays.

Il s’est traduit par un refus très fort du projet (84%) – mais dont le résultat n’était pas contraignant pour les décideurs politiques. Et la mobilisation bat toujours son plein, avec un soutien actif de Zelena Akcija. Certains de ses citoyens ont maintenant obtenu des sièges électoraux, espérant changer les choses de l’intérieur.

Le projet de loi est aujourd’hui de retour sous une nouvelle forme, moins subtile : elle permettrait de considérer les terrains de golf comme des forêts ou des champs – de nouveaux projets pourraient alors voir le jour. La loi est actuellement au Parlement, en procédure rapide, sans que le public ait été consulté.

En une semaine de mobilisation, depuis début mars, 4 000 personnes ont déjà envoyé une lettre à leur député pour s’opposer au projet.

« Ça ne fait que commencer », me dit Maruška, de Zelena Akcija. « La population a compris, les gens refusent la privatisation de leurs pays. »

Un tournant depuis la mobilisation de Varšavska

En 2006, Zelena Akcija initia une campagne qui allait durer cinq ans, et mobiliser l’opinion publique croate toute entière sur une question d’urbanisme et d’écologie. Une première dans le pays.

La mobilisation portait sur la création d’un parking en zone piétonne de la rue de Varšavska (qui a donné son nom à cette lutte), ainsi qu’un centre commercial l’avoisinant, sur la place Cjvetni, en plein centre ville. Pour Zelena Akcija, il s’agissait d’une privatisation indéniable de l’espace public, et d’une politique qui aurait pour conséquence plus de voitures en centre-ville.

Le bras de fer fut initié par le maire, toujours en place, Milan Bandić. Du jour au lendemain, la municipalité a modifié le plan d’urbanisme qui empêchait un tel projet d’avoir lieu. Les habitants du quartier étaient les premiers acteurs à se mobiliser. Un tel projet signifiait en effet la démolition de plusieurs bâtiments, et une perte d’espace pour les immeubles avoisinants.

Zelena Akcija les appuya. Un collectif nommé Le droit à la ville s’est formé et s’est structuré en association. Une mobilisation étudiante qui avait lieu dans le même temps à l’université de Zagreb a permis de relier les mouvements. De fait, très vite, les étudiants sont devenus des alliés cruciaux pour la lutte. Ainsi commença un bras de fer qui dura cinq ans.

Des stratégies très diverses furent déployées au cours de cette mobilisation. Pétition recueillant plus de 50.000 signatures, désobéissances civiles, actions spectaculaires… Le site a également été occupé à deux reprises en 2010, pour une période de deux semaines, puis un mois.

Cette deuxième occupation, spontanée, a donné lieu à la création d’un véritable village alternatif en plein cœur de la ville. Une communauté s’est créée, organisant des programmes culturels, des cours de gymnastique, des concerts… Des artistes connus sont venus apporter leur soutien. Les habitants du quartier leur apportaient régulièrement de la nourriture et de quoi s’installer durablement.

Ces deux épisodes se sont terminés par une répression policière et des arrestations en masse, ce qui a achevé d’émouvoir une grande partie de l’opinion publique, désormais acquise à la cause des militants. À ce jour, les procès n’ont pas tous eu lieu.

Alors que le parking et le centre commercial ont finalement été construits, et ouverts en 2011, ZA peut se targuer de grandes victoires. L’organisation a réussi à lancer un débat sur un sujet nouveau, l’espace public, et a changé la façon dont les Croates le conçoivent.

La diversité des stratégies employées a aussi rendu cette mobilisation incontournable pour tous ceux s’opposant aux politiques. Y participer était devenu cool. De nombreux étudiants continuent d’avoir une nostalgie énorme pour cette époque – « C’était notre lutte, elle nous définit encore aujourd’hui ». Beaucoup d’entre eux sont restés à ZA par la suite, et forment un noyau d’activistes.

La victoire était aussi politique et institutionnelle : à la suite de la mobilisation, en 2012, le statut de la rue de Varšavska et la place Cvjetni a été rendu à son état originel. En pratique, cela signifie que la municipalité renonce à construire de grands parkings privés dans le centre-ville.

Cette résistance et ces victoires ont été déterminantes, représentant pour beaucoup le mouvement le plus excitant, le plus innovant depuis dix ans. « On peut dire que la dynamique qui anime la société civile ces trois dernières années, pour protéger l’espace public, est vraiment liée à cette mobilisation », me raconte Maruška, « ça a réveillé quelque chose dans la population, cette volonté de défendre les biens communs, l’intérêt général, et de ne pas hésiter à prendre la rue pour s’opposer aux politiciens. »

Une prise de conscience née des privatisations

Terrains de golfs, destructions de forêts, accaparement des terres côtières, parkings en centre-ville, ces luttes ont un lien : le rapport des Croates aux biens publics. C’est également cette question des biens publics qui a animé une première opposition en 2011, quand des rumeurs ont circulé, assurant que le gouvernement s’apprêtait à privatiser l’eau.

La réactivité de ZA et l’influence des alliances que l’organisation a choisi de faire à ce moment-là, à savoir avec des institutions religieuses, a permis d’enterrer le projet très rapidement. C’est également cette question qui a animé une campagne contre la privatisation des autoroutes, avec le soutien d’organisations et de syndicats en 2013.

Si une grande partie de l’opinion publique a compris et soutenu ces campagnes, c’est en raison du passage à l’économie de marché dans les années 1990, et des vagues de privatisations qui s’en sont suivies.

La société croate est consciente des effets de ces réformes sur la répartition des richesses dans les pays – et les inégalités sont d’autant plus insupportables que le chômage est à niveau critique dans le pays, plus de 50 % chez les jeunes, et qu’elles créent un sentiment de perte d’espoir.

Reporterre

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