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Enquête du journaliste du Monde, Benoît Hopquin, sur l’évolution du vote en faveur du Front national. Extraits.

Stéphane Lorménil, un négociant en vin, un vieux militant, pavoisait. «Avant, il était dur d’avouer que vous étiez au FN. Nous collions les affiches la nuit. Aujourd’hui, on le fait en plein jour sans rencontrer d’agressivité. Mes clients, mes amis, tout le monde connaît mes idées et personne ne m’en fait reproche.»

Aller à la rencontre des électeurs du Front national est un voyage en terra incognita et un retour aux sources. C’est revenir au pays d’enfance, dans des lieux qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux où on a vécu. C’est se replonger dans ce terreau de petites gens où on a poussé, avant d’en être arraché par les hasards de la vie. C’est retrouver un vocabulaire, des formules, un ton qui sont une empreinte sociale, autant qu’un vêtement, et bien plus qu’un compte en banque. […]

Douze ans après le 21 avril, le silence a changé de camp.

Au milieu des années 2000, la parole lepéniste commença à émerger au grand jour, peu à peu désinhibée par les succès électoraux. Elle tentait de se faire respectable, par l’intermédiaire d’une nouvelle génération de cadres du parti, des notables locaux qui lui donnaient une onction, pour ne pas dire une respectabilité. […] Et ainsi, année après année, on vit la parole se débonder sur la place publique. L’arrivée au premier plan de la fille Le Pen en 2011 ne fit que faciliter les «coming out». On disait voter «Marine», ça passait mieux. Des personnalités nationales commençaient à mettre leur célébrité dans la corbeille de mariage. Le petit peuple se lâchait aussi. […] On se souvint alors d’un autre déjeuner auquel on avait assisté un an auparavant, à Sucy-en-Brie, dans la grande banlieue parisienne. Sous de vieilles poutres, des militants étaient venus écouter Jean-Marie Le Pen. L’orateur comparait la France à une rivière, calme en surface, mais «travaillée dans ses profondeurs par un courant puissant».
L’image était belle mais dépassée. C’était avant, du temps de ses premières campagnes, du temps des bulletins anonymes, du temps où la parole lepéniste était confinée aux cercles intimes, à l’apéro ou aux files d’attente chez le boucher. Aujourd’hui, au contraire, on n’entend plus qu’elle. L’autre France en est réduite à se taire à son tour.
Le Monde

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