Fdesouche

Des élus locaux veulent reprendre en main la gestion et la production d’énergie. Une façon de s’octroyer de nouvelles recettes tout en se convertissant à l’électricité verte. Reportage dans la cité pionnière de Montdidier.

par Béatrice Mathieu.

Au début de l’été, une équipe de la ZDF, la télévision publique allemande, a posé ses caméras à Montdidier, un bourg de 6 500 habitants au coeur de la Picardie. Certes, avec ses deux églises typiques du gothique flamboyant, son prieuré médiéval et sa mairie Arts déco flanquée d’un beffroi en brique rouge, la cité ne manque pas de charme. Mais les journalistes allemands sont surtout venus admirer ses quatre grandes éoliennes, son champ de panneaux photovoltaïques, sa grosse chaufferie à bois et son parc de véhicules municipaux électriques.

Vu de l’étranger, Montdidier illustre la transition énergétique à la sauce tricolore.

En France, cette bourgade picarde n’incarne pas seulement le virage écolo du pays le plus nucléarisé de la planète. Montdidier est un symbole, l’exemple à suivre pour des milliers d’élus locaux, bien décidés à mettre la main sur une compétence qui leur échappait totalement : la politique énergétique. Alors, pour de nombreux édiles, Catherine Quignon-Le Tyrant, la maire socialiste de la ville depuis 2001, est une icône. Il faut dire que cette quinquagénaire pétulante ne ménage pas sa peine. Elle dirige d’une main de fer sa régie municipale de production d’énergie, une sorte d’EDF locale.

En une décennie, elle a développé son propre réseau de chaleur pour alimenter les bâtiments publics, lancé une vraie politique de réduction de la consommation d’énergie, et s’est jetée à corps perdu dans la production et la vente d’électricité verte. Résultat : sur les trois dernières années, les frais de fonctionnement de la ville ont reculé de 179 000 euros, la consommation d’énergie des habitants est de près de 9 % inférieure à la moyenne nationale, le collège du coin a réduit sa facture énergétique de 60 %, et l’hôpital a pu ouvrir un laboratoire d’analyses médicales grâce aux 800 000 euros économisés sur le chauffage des bâtiments.

Et cette “pétroleuse” ne compte pas s’arrêter là : elle prévoit de construire une usine de méthanisation, capable de transformer les déchets agricoles en gaz, et compte bien planter en 2015 aux portes de la ville la plus grande éolienne de France. “Dans deux ans, Montdidier pourra afficher un taux d’indépendance énergétique de 100 %”, fanfaronne-t-elle, chantonnant aussitôt le refrain de A bicyclette, d’Yves Montand.

Les communes ne gèrent pas les réseaux qui leur appartiennent

Evidemment, au royaume du centralisme jacobin, la sécession énergétique de Montdidier fait désordre. Un exemple difficilement reproductible, attaquent ses détracteurs. La petite ville est en effet une des rares communes françaises à posséder sa propre régie municipale de production d’énergie. Un héritage de l’histoire. A la fin du XIXe siècle, lorsque la France bascule dans la première révolution énergétique, l’électrification du pays se fait de façon anarchique.

Seules quelques petites usines “municipales” échappent à la grande vague de nationalisation, dont celle de Montdidier, dans ce grand chambardement ! Les communes restent propriétaires de leurs réseaux électriques et gaziers mais elles sont obligées par la loi d’en donner la gestion à un concessionnaire unique, les filiales des deux géants EDF et GDF Suez spécialisées dans la distribution. Dans les faits, l’organisation du système énergétique français devient donc hypercentralisée. Aujourd’hui, toute tentative pour détricoter cette toile d’araignée paraît presque louche, voire dangereuse.

“Montdidier n’a réussi son virage écolo qu’avec d’importantes subventions départementales et régionales. Comme la régie municipale ne paie pas d’impôts, il n’y a aucun retour fiscal en compensation de ces aides”, attaque Jean-François Raux, le président de l’Union française de l’électricité, un des bras armés d’EDF. Avant de poursuivre : “Quant aux recettes de la vente d’électricité verte produite par les éoliennes, elles sont largement subventionnées par la CSPE, la taxe destinée à financer le développement du renouvelable, payée par tous les Français sur leur facture.” Des avantages financiers impossibles à accorder, il est vrai, à toutes les villes de France.

Reste que, derrière la course à la transition énergétique et les discours bien-pensants sur un monde décarboné, c’est bien une histoire de gros sous qui pousse certains élus à vouloir mettre la main sur le dossier énergétique. “Avec les efforts budgétaires imposés par Bercy, bon nombre de collectivités locales vont avoir beaucoup de mal à boucler leur budget. Il leur faut à la fois baisser leurs dépenses et trouver des ressources nouvelles”, avoue Christian Pierret, maire de Saint-Dié-des-Vosges et président de la Fédération des villes moyennes. Ces édiles ne rêvent d’ailleurs que d’une chose : refaire, en matière d’énergie, ce que certaines villes, comme Paris, ont réussi pour l’eau : se débarrasser de leurs trop puissants concessionnaires, accusés de “s’engraisser sur le dos des usagers”, et remunicipaliser un service public.

Dominique Gros, le maire socialiste de Metz, ne dit pas autre chose. Comme Montdidier, la capitale lorraine possède elle aussi sa propre société de production et de distribution d’électricité. Mais la ville lorgne désormais sur la gestion et l’entretien du réseau de gaz. La régie électrique reverse chaque année à la ville près de 8,5 millions d’euros, soit quasiment 6 % des frais de fonctionnement de la commune. C’est loin d’être négligeable. “Pour l’instant, la loi donne le contrat à GRDF, mais on pourrait faire le travail aussi bien qu’eux. Après tout, ce sont des ressources financières à ne pas négliger”, affirme sans sourciller Dominique Gros.

Des élus critiquent le manque de transparence d’ERDF

Evidemment, chez les deux opérateurs historiques, on crie au scandale : la fin du monopole de distribution, c’est la fin de la solidarité territoriale et la fin du tarif unique de l’énergie. La fin, surtout, de chiffres d’affaires confortables : 13,3 milliards d’euros en 2012 pour ERDF et 2,9 milliards d’euros en 2011 pour GRDF. A la Commission de régulation de l’énergie, le gendarme du secteur, on tente de calmer le jeu en affirmant que la distribution d’énergie doit rester hors du champ de la concurrence.

En privé, certains membres de la CRE reconnaissent pourtant que les élus locaux ont raison de monter au créneau. Après tout, les communes sont propriétaires des réseaux, mais n’ont pas leur mot à dire. Et c’est bien là que le bât blesse. Depuis trois ans, la ville de Dijon est à couteaux tirés avec GRDF. “En 2010, lorsque le contrat de concession de distribution de gaz est arrivé à son terme, les élus ont décidé de ne pas signer un nouveau protocole.

Trop d’opacité, trop de flou. Comment être certain que nos usagers en ont pour leur argent ?” s’agace Jean-Patrick Masson, adjoint au maire de Dijon. Même bataille rangée à Dunkerque. “Cela fait des années que l’on demande des relevés de consommation d’électricité quartier par quartier. Des données essentielles pour mettre en place des aides à la rénovation des logements et une politique de lutte contre la précarité énergétique. ERDF refuse catégoriquement de nous fournir ces informations”, s’enflamme Louardi Boughedada, vice-président de la communauté de Dunkerque.

Le Sipperec, un syndicat regroupant 80 communes d’Ile-de-France, soit 3,4 % de la consommation française, a même attaqué en justice la filiale d’EDF, accusée d’avoir laissé le réseau se détériorer, faute d’investissements suffisants. De fait, le temps de coupure sur ce territoire francilien très densifié est passé de dix-neuf minutes cumulées par an en 2000 à trente-trois en 2012. Jusqu’au gros black-out de janvier dernier, lorsque 70 000 foyers se sont retrouvés dans le noir pendant deux jours. A l’origine de l’incident, un petit appareil vieux de quarante ans qui a grillé dans un gros transformateur.

A Paris, enfin, la renégociation du contrat avec ERDF en 2010 a révélé des pratiques ubuesques : “650 millions d’euros de provisions pour renouvellement d’ouvrage s’étaient tout simplement volatilisés, alors qu’un audit indépendant a montré à l’époque un sous-investissement de près de 1 milliard d’euros”, se rappelle le député vert Denis Baupin, alors chargé du dossier.

Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes épingle la gestion d’ERDF : des dépenses de personnel qui ont dérapé et une politique de remontée de dividendes à EDF bien trop généreuse. “L’entreprise reverse 75 % de son résultat net à son actionnaire unique. C’est beaucoup trop, compte tenu des investissements à effectuer sur le réseau de distribution”, sermonnent les gendarmes de la rue Cambon. De l’argent frais précieux pour le géant français de l’électricité, surendetté. On comprend mieux alors pourquoi la fronde des élus donne des sueurs froides à EDF

…………………………………………………………………………………………………………………….

Pour trouver de nouvelles ressources, des édiles rêvent de faire, en matière d’énergie, ce que Paris a réussi avec l’eau : remunicipaliser un service public.

La loi du 15 juin 1906 rend alors les communes propriétaires des réseaux – en clair, tous les câbles basses et moyennes tensions et les conduites de gaz qui alimentent les foyers. Mais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en avril 1946, l’Etat nationalise toutes les entreprises privées de production et de distribution d’énergie : EDF et GDF voient alors le jour.

Vu de Bruxelles, le monopole d’ERDF fait tache
A lors que Bruxelles ne cesse de demander davantage d’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie en France, le monopole de distribution donné à ERDF fait tache. L’Allemagne compte près de 900 distributeurs d’électricité, dont 90 % alimentent moins de 100 000 clients. A côté des poids lourds comme RWE, E.ON ou Vattenfall, on trouve des centaines de petites régies communales (“Stadtwerke”) qui alimentent 50 % des clients. Revers de la médaille : l’écart de tarifs entre distributeurs peut atteindre 40 %. Au Royaume-Uni, le système repose sur une logique de monopoles régionaux, avec quatorze opérateurs de distribution ayant chacun un territoire bien défini. Le tarif de distribution, fixé par le régulateur, est cependant variable entre ces opérateurs en fonction de leurs charges et de leurs performances.
lexpansion.lexpress.fr

Fdesouche sur les réseaux sociaux