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Gris à pois blancs, vert forêt, noir brodé de paillettes… « Celui qui marche le mieux, c’est le mauve avec les rubans façon Burberry », s’enorgueillit Ameur alors qu’il désigne un « hijab-abaya », cette tenue couvrante de la tête aux pieds que portent désormais nombre de musulmanes dans les rues de Tunis. Depuis que la révolution de Jasmin a bouté hors du pays l’ancien président Ben Ali, sa petite échoppe nichée au cœur de la médina ne connaît plus la crise. « Désormais, je fais 70% de mes ventes avec des vêtements islamiques, on est même en rupture de stock sur les niqabs (NDLR : voile intégral) », se réjouit le vendeur du souk. Bannis par l’ancien régime qui a longtemps persécuté les islamistes, les signes religieux s’étalent dorénavant au grand jour.
Des bouts de tissu plus ou moins enveloppants ont aussi fait leur entrée dans les salles de classe. Devant le campus de l’université El-Manar, Haïfa, 21 ans, s’en félicite. « Dès que Ben Ali est parti, je suis allée m’acheter un foulard. Avant, on n’avait pas le droit d’afficher notre religion », sourit l’étudiante en informatique. Sous le soleil de plomb, elle agite ses mains gantées : « L’islam est la chose la plus importante de ma vie », lâche-t-elle, sûre que le voile est l’expression d’une liberté retrouvée. Un signe de défi aussi pour beaucoup, et une façon de montrer qu’en Tunisie la page Ben Ali est bien tournée. « Mais maintenant, ne pas le porter peut aussi être mal vu », l’interrompt Enissa, étudiante en chimie, en triturant ses cheveux.
Nesrin hoche la tête et évoque sa mère, infirmière dans un hôpital de la capitale, contrainte de se couvrir la tête pour ne plus essuyer les réflexions de ses collègues. « Il ne faut pas faire attention aux extrémistes, lance Haïfa. Les femmes font ce qu’elles veulent maintenant. »
Ce n’est pas le cas d’Ameni, qui veille désormais à porter des tenues amples. « On a acquis le droit de nous exprimer, de prendre part à la vie politique, mais il y a aussi plus de pression par rapport à la religion, regrette cette apprentie chimiste originaire de Nabeul, ville côtière du golfe d’Hammamet. Dans le métro, les barbus ne se privent pas de faire des remarques aux femmes qui ne sont pas habillées à leur convenance. » Yasra, jolie brune maquillée, s’indigne : « Il y a deux mois, en rentrant dans un restaurant, un homme m’a dit que j’étais une mauvaise musulmane parce que j’étais en jupe courte ! .» Ameni soupire, désabusée, et confie sa hantise d’Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. « Je crains qu’on ne perde nos droits et que les plus conservateurs d’entre eux parviennent à mettre en application l’interprétation la plus rigoriste du Coran. Qu’on nous interdise de travailler ou qu’on rétablisse la polygamie, craint-elle. Maintenant, il va falloir qu’on se batte pour préserver nos droits. » Comme si pour ces toutes jeunes femmes tunisiennes la révolution n’était pas tout à fait finie.
Le Parisien

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