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Voilà où nous en sommes : l’Europe est confrontée à un choix décisif qu’il faudra bien se résigner à faire. Subir le capitalisme, ou en sortir. Il est évident aujourd’hui que le retournement du capitalisme ne s’arrêtera pas là, et qu’à moins d’entrer en guerre pour sauvegarder « de force » notre position dominante dans le concert des nations ou de renoncer à la démocratie (et ses conditions de vie avantageuses) les peuples d’Europe devront se décider bientôt.

Il semble que pour le moment la peur engendrée par la perspective d’une baisse substantielle non pas du taux de profit (comme le capitalisme le prévoit « naturellement ») mais des conditions de vie des travailleurs donne encore l’illusion à une majorité de citoyens qu’en faisant des « efforts » (des sacrifices)ils seront en mesure de refaire partir la machine économique et de s’en sortir indemnes- ou presque. En espérant réussir un jour ou l’autre à « moraliser » un système qui en est intrinsèquement incapable.

Mais pour les autres, qui sont de plus en plus nombreux, cette illusion est perdue. Ils savent que le capitalisme n’est pas moral, et ne peuvent décemment espérer que telle ou telle mesure soit capable d’améliorer la situation économique.

C’est que le capitalisme est un échafaudage complexe, un univers qui comme tout système complexe fait que lorsqu’on touche à un rouage ici ou là, c’est tout le système qui s’en trouvera modifié.

On peut décider de supprimer l’héritage, ou d’empêcher l’épargne, de fermer les paradis fiscaux ou d’interdire les paris sur les fluctuations des prix des matières premières, mais c’est toujours créer les conditions d’un bouleversement gigantesque capable de faire basculer « l’équilibre » des pôles ; comme l’a fait la dérégulation du marché dans les années 80, cette mondialisation qui a contribué à la montée des émergents, et qui remet finalement en cause la domination de « l’occident » sur le reste du monde.

Il devient difficile alors dans cette complexité de prévoir les conséquences des mesures décidées, qui comme pour le cas du SMIC en France sont en vérité incalculables : certains annoncent qu’une augmentation de 1% détruirait 50 000 emplois. Pourtant, les mêmes vous disent également qu’avec un plus haut pouvoir d’achat, les salariés consommeront plus, ce qui est créateur d’emplois, et donc de croissance.

Alors que la hausse des salaires devrait faire « logiquement » baisser la marge des vendeurs et augmenter le chiffre d’affaire des ventes en retour, d’aucuns sont encore portés à croire qu’en augmentant les salaires c’est l’économie toute entière qu’on soutient. Mais chaque augmentation du salaire, ou du prix des matières premières, est en réalité l’occasion pour les entreprises non pas de baisser leurs marges mais de licencier et de délocaliser (pour combien de temps encore d’ailleurs, puisque même les Chinois deviennent trop cher ?).

Car aujourd’hui, une entreprise qui ne fait pas « suffisamment » de marge est considérée comme en danger (en Europe en tout cas), tandis qu’une entreprise qui se prépare à licencier 10 % de ses employés grimpe d’au moins 5% à la bourse.

Qui veut saboter la croissance si ce ne sont ces riches qui refusent de voir leurs marges abaissées ? On veut nous faire croire que sans les riches l’emploi disparaît, mais les pauvres, eux, consomment tout jusqu’au dernier sou, et encore plus ! Le problème ne vient donc pas des pauvres mais des riches, car l’argent qu’ils gagnent sur le dos du travail des pauvres ne retourne pas totalement dans la machine économique : le surplus (qui ne sert à rien d’autre que de fructifier en le prêtant à ces mêmes pauvres auxquels il a échappé par le « vol » de la plus-value) ne sert qu’à enrichir les riches.

Les banques se servent, les riches se servent, et les pauvres ne récupèrent que les miettes : voilà en quoi consiste le capitalisme et sa fameuse main invisible… elle nous fait les poches sans qu’on s’en aperçoive.

Face à ces injustices et à l’impossibilité pratique, concrète, avérée, empiriquement constatée, de faire changer les comportements (à moins que de laver le cerveau des riches ou de les guillotiner- ce à quoi je suis personnellement opposé car il en renaîtra toujours dans un tel système), il va bien falloir qu’en dehors des deux options citées plus haut (la guerre ou/et la dictature) on réfléchisse à « autre chose » que le capitalisme.

Et qu’on ne me parle pas des communistes staliniens ou des autres capitalismes déguisés qui n’ont rien à voir avec ce que signifie l’absence de capitalisme, ni de l’anarchie qui serait une absence de règles ou d’État. Le capitalisme s’est créé en même temps que la monnaie, et n’a jamais disparu depuis. Toutes les tentatives « communistes », « socialistes », « anarchistes » ou que sais-je encore n’ont jamais cessé de fonctionner à l’intérieur du capitalisme : ce n’était pas du « non-capitalisme » ; pour supprimer le capitalisme il faut supprimer l’argent.

Car le capitalisme est un genre, pas une espèce ; et tant que l’argent existera il y aura le capitalisme, et donc la chrématistique dénoncée en son temps par Aristote.

C’est bien à la fin du capitalisme qu’il faut donc désormais réfléchir et se préparer, pour ne pas rien avoir à opposer à nos dirigeants lorsqu’ils voudront nous imposer soit la fin de la démocratie pour « sauver nos conditions de vie », soit abaisser nos conditions de vie pour sauver la démocratie ». Cette question est bien sûr presque incommensurable, mais pas plus sans doute que celle qui consiste à vouloir rendre le capitalisme moral. D’autant que l’avancement des technologies est tel à présent que certaines utopies d’hier sont peut-être réalisables aujourd’hui (mais nous en reparlerons…).

Quel système pourrait remplacer celui-ci, voilà une question qui sonne comme un défi à l’imagination. Un système capable de faire fonctionner la société de manière moins injuste et moins inégalitaire, une société dans laquelle les hommes qui ont le plus le partagent réellement avec ceux qui ont le moins, sans nuire ni à la planète ni au progrès, sans créer la rareté ni permettre l’obsolescence programmée, sans devoir régulièrement recourir au mensonge ou au conditionnement…

Tout est à repenser, tout est à inventer, il suffit de prendre le monde d’aujourd’hui, et certes de regarder ce qui devient impossible lorsque l’on supprime le mot « argent » de notre vocabulaire, mais aussi ce qui redevient alors possible. C’est un défi immense, qui peut ne pas aboutir il est vrai, mais qui a le mérite de bouleverser toutes nos certitudes et de repousser les limites de notre imagination.

Et puisque le capitalisme n’a pas pu, ne peut et surtout ne pourra pas contribuer à l’intérêt général, au bien commun, un système « non-capitaliste » le pourrait-il ? Et à quoi pourrait-il ressembler ? Que se passe-t-il lorsque l’on part des besoins pour arriver au moyens de les combler, et non pas comme aujourd’hui de partir de ce qu’on a pour déterminer ce qui revient à chacun ?

Plutôt que de laisser nos chers économistes rechercher désespérément un Graal qui n’existe pas, pourquoi ne pas tenter de nous pencher ensemble sur les alternatives qui existent en dehors du capitalisme ? Les hommes vivaient en société avant que l’argent n’ait été inventé, et certaines tribus ancestrales ne connaissent même pas ce mot. Il serait bon de savoir pourquoi.
Calebirri

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