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Chercheuse au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po, Réjane Sénac vient de publier « L’invention de la diversité » aux PUF.

Vous avez interviewé plus de 160 interlocuteurs issus du monde économique, politique et associatif sur le concept de diversité. Quelle réalité ce terme recouvre-t-il aujourd’hui ?

 >> Le concept de diversité relève à la fois d’un mode de management, qui a donné naissance à une charte dédiée en 2004, et de la sphère des pouvoirs publics, selon une logique d’égalité des chances impulsée dès 1983, avec la création d’une « troisième voie » à l’ENA. L’ambivalence de la notion de diversité apparaît si l’on observe que le ministre délégué à l’égalité a fait un tour de France pour promouvoir cette charte d’entreprise en 2005. La représentation des minorités visibles dont il est question aujourd’hui sur fond de campagne est donc issue d’un ensemble de critères contraignants pour les entreprises, allant de la parité entre hommes et femmes au respect d’un quota de personnes âgées et d’handicapés.

La promotion de la diversité politique peut-elle jouer un rôle de rempart face aux discriminations dites « ethno-raciales » d’après vos observations ?

>> En politique, l’exigence de représenter les minorités est née de la peur de voir la société se segmenter après les émeutes de 2005.

Les dirigeants ont alors dressé un constat de crise du creuset républicain, en se référant au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lorsque le Guyannais Gaston Monnerville présidait le Sénat.
Mais beaucoup d’associations émettent des doutes sur le bien fondé de cette promotion de la diversité, qu’ils perçoivent comme le cheval de Troie d’un « nouveau racisme post colonial »*. En investissant aux législatives des candidats issus de la société civile dénués de tout réseau, les élites entretiendraient un ascendant sur les acteurs des minorités visibles sans cesser de cultiver l’entre-soi qu’il s’agit, a priori, de contrer.

Il est alors question d’instrumentalisation des minorités…

>> La rhétorique de la diversité aboutit de fait à des paradoxes. Dans le monde de l’entreprise, certaines préconisations formulées en son nom se situent en deçà du droit antidiscriminatoire. Les sociétés développent une forme de « soft law » (littéralement « loi douce », ndlr), dotée de sa propre logique de performance, pour contrecarrer la montée du droit antidiscriminatoire. Cette façon de transformer la contrainte en modèle dit « vertueux » trouve son parallèle en politique.
D’une injonction sociale, on passe à une plus-value électorale, la représentation des femmes ouvrant la voie à une représentation de la société civile qui permettra de « colorer » la liste de telle ou telle circonscription…

Le risque consiste ici à sacrifier l’égalité comme principe de justice au profit d’une valorisation de la différence (…)

Nord-Eclair

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