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Taux d’intérêt plus chers, fiscalité moins avantageuse, restrictions de crédit, remise en cause des valeurs refuges: la pierre perd de son attrait.

Il ne leur suffit pas de vouloir dégrader notre dette publique et son fameux triple A. Les agences de notation s’attaquent aussi à notre patrimoine privé. Et elles n’hésitent pas à déprécier ce qui nous est le plus sensible: la propriété immobilière. Standard & Poor’s prévoit ainsi que les prix des logements devraient «se contracter de 5 % à 10 %» cette année. Jean-Michel Six, l’économiste pour l’Europe de S & P, avoue que notre marché constitue «un mystère. Les prix des appartements (anciens) ont augmenté de 18 % à Paris entre septembre 2010 et septembre 2011, ce qui est un taux très inquiétant dans un contexte de recul économique et de chômage élevé». Étrange paradoxe, en effet.

La France fait de plus en plus figure d’«exception». Parmi les pays développés, elle est le seul où les prix sont repartis à la hausse après la récession de 2008-2009. Première explication, souvent avancée: le manque physique d’habitations disponibles. Contrairement à l’Espagne, qui a bétonné ses côtes au point de se retrouver face à un parc de 800.000 logements inoccupés, l’Hexagone se caractérise par un manque estimé entre 500.000 et 800.000. Or, tout ce qui est rare est cher: l’insuffisance de constructions justifie leur cherté. Certes. Mais comment expliquer alors que les loyers n’aient pas suivi ? «Les prix des logements anciens ont plus que doublé entre 2000 et 2010 (moyenne nationale), alors que les loyers ont augmenté de 29 %, à un rythme proche de celui du revenu disponible des ménages», selon l’Insee. Comme le fait observer un directeur de Bercy, «nous sommes le seul marché, avec le Royaume-Uni, où la valeur de l’habitat paraît déconnectée des loyers».

La première décennie du troisième millénaire aura marqué une véritable rupture historique. Surtout à Paris où «les prix de vente des appartements ont progressé de 130 % de plus que les revenus, depuis 2000», nous dit Jacques Friggit. Cet ingénieur des Ponts et Chaussées, chargé de mission au ministère de l’Écologie, a acquis une grande notoriété en établissant des statistiques qui remontent à 1840! Il a notamment observé que, de 1965 à 2000, les indices des prix de la pierre avaient évolué peu ou prou au rythme des indicateurs de revenus, dans une fourchette de plus ou moins 10 % au fil du temps. C’est ce qu’on appelle dans les milieux professionnels «le tunnel de Friggit». Or, depuis dix ans, cette règle, de bon sens, ne joue plus: la valeur de la pierre a pris son envol comme un Maillot jaune du Tour de France distance le peloton dans le col du Tourmalet.

Avec une patience de bénédictin, Jacques Friggit a testé toutes les causes possibles de cette exubérance: la pénurie de logements, la rareté du foncier, les achats des «riches étrangers», le vieillissement de la population, le «desserrement» des ménages (de plus en plus de gens seuls), l’effet inflationniste des aides publiques… «autant de facteurs qui n’expliquent pas l’envolée de 2000-2010», estime l’historien statisticien. «L’environnement financier semble la seule explication à l’échelle du phénomène», affirme-t-il. Autrement dit, la baisse des taux d’intérêt, particulièrement prononcée grâce à l’introduction de l’euro et plus encore depuis 2008, ainsi que l’allongement des prêts à vingt-cinq voire trente ans ont renforcé artificiellement la solvabilité des acheteurs. Tout particulièrement «pour l’investissement locatif », souligne Jacques Friggit.

Cette analyse revient à diagnostiquer une bulle immobilière alimentée par le crédit. Au sens où l’entend Joseph Stiglitz, le Prix Nobel d’économie: «Un état du marché dans lequel la seule raison pour laquelle le prix est élevé aujourd’hui est que les investisseurs pensent que le prix de vente sera encore plus élevé demain, alors que les facteurs fondamentaux ne justifient pas un tel prix.» Les «fondamentaux», ce sont en l’occurrence les ressources (trop faibles) des ménages qui achètent pour se loger, ou la rentabilité (médiocre) que les propriétaires bailleurs obtiennent de leurs loyers.

La Banque de France a toujours été vigilante face à un tel phénomène. Son gouverneur, Christian Noyer, demande périodiquement aux banquiers d’exiger de leurs clients des apports personnels substantiels, la norme minimale (officieuse) étant de 15 % à 20 % de l’achat. Rue de La-Vrillière, au siège de la Banque, on se rassure en rappelant que le marché français est sain: les encours de crédits à l’habitat demeurent modestes à l’aune internationale (843 milliards d’euros, 43 % du PIB, deux fois moins que la dette publique) et le taux de défaut des ménages n’est que de 0,2 % chaque année (il est de 2 % pour les PME!).

Reste que l’environnement monétaire et fiscal est en train de changer, comme le rappelle Jean-Pierre Petit, le président des Cahiers verts de l’économie, société de conseil macroéconomique et financier. «Depuis dix ans, la surévaluation des prix a été alimentée par quatre moteurs. Or la baisse des taux (longs) est terminée, les conditions financières (réduction de l’apport des emprunteurs et allongement des prêts) se durcissent, les avantages fiscaux (dont le Scellier) sont rabotés. Ne reste plus que la dimension psychologique de valeur refuge. Pour combien de temps ?» Car ce qui fait d’un placement une «valeur refuge», c’est son prix et non son statut: les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel.

Le Figaro

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