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Pour la sinologue Valérie Niquet, l’empire du Milieu, économiquement fragile, n’a ni l’envie ni les moyens d’aider l’Europe, et se limite aux investissements les plus opportuns pour sa politique commerciale.

Valérie Niquet ne cache pas un certain scepticisme devant les promesses chinoises. Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, elle explique pourquoi.

Les Européens aimeraient que la Chine leur vienne en aide, mais n’est-elle pas elle-même dans une période de difficultés économiques ?

Il y a en effet quelque chose de paradoxal. Les responsables européens ne mesurent pas les difficultés économiques de la Chine, ni le fait que ses dirigeants sont préoccupés par des échéances politiques. Le XVIIIe congrès du Parti communiste aura lieu à l’automne prochain. Aussi, personne n’a envie de prendre des risques.

La relance très forte engagée il y a deux ans a atteint ses limites. Elle a surtout consisté à faire marcher la planche à billets et les investissements se sont révélés peu productifs, pour l’essentiel dans l’immobilier et dans des infrastructures, suscitant des bulles spéculatives qui nourrissent l’inflation.

Mais la Chine est financièrement puissante, car elle n’est pas endettée ?

L’endettement, officiellement modéré, ne prend pas en compte celui des collectivités locales, considérable et très mal connu. Un appareil statistique de mauvaise qualité se combine à la culture de la dissimulation pour rendre les choses très opaques.

Officiellement, ces collectivités n’ont pas le droit d’emprunter, mais elles ont créé des institutions financières plus ou moins légales pour réaliser des emprunts. Avec cet argent, elles se sont lancées dans le développement d’infrastructures massives qui donnent l’occasion de récupérer des commissions considérables, ce qui alimente une économie grise ou parallèle très importante et suscite un fort mécontentement populaire. A ce propos, il ne faut pas oublier que les îles Caïman sont l’une des premières destinations pour l’exportation des capitaux ! Et, en ce moment, les fuites de capitaux s’accélèrent.

Quel est le contexte social ?

Le risque social est important. Car les petites entreprises très actives qui faisaient le vrai dynamisme chinois, et qui permettaient d’espérer l’émergence d’une classe moyenne, sont menacées. Elles s’étaient développées dans le textile, la chaussure et les productions traditionnelles, secteurs étranglés par le ralentissement des économies européennes et par les augmentations de salaires.

C’est d’autant plus grave qu’elles ont de très grandes difficultés pour accéder au crédit bancaire. Par conséquent, elles font appel à des systèmes parallèles, officiellement illégaux : des espèces de “tontines” qui pratiquent des taux usuraires pouvant atteindre 3 ou 4 % par mois. Ceux qui ne peuvent pas rembourser risquent de gros problèmes. Cela explique la série de suicides ou de fuites signalée ces derniers temps.

Doit-on douter du sérieux des engagements chinois en Europe ?

La Chine joue sur deux tableaux. Il est très valorisant de se présenter comme le “sauveur” de l’Europe. Mais les Chinois n’ont finalement pas racheté les dettes grecques, ni essayé de secourir le pays. Ils en ont juste profité pour acquérir des infrastructures de logistique comme les ports, facilitant ainsi l’importation de leurs produits en Europe. Ils ont la même stratégie en France. Globalement, leurs investissements restent faibles et sont concentrés soit dans l’énergie, soit dans les technologies de pointe, afin de récupérer un savoir-faire et des brevets qu’ils n’ont pas.

Quelle est la situation intérieure ?

Le régime a besoin de maintenir un taux de croissance très élevé. Pour éviter les troubles sociaux, mais aussi afin de renvoyer à sa population l’image d’un pays très fort, et donc entretenir aussi bien l’espérance que le nationalisme. Pour assurer un marché intérieur plus dynamique, la Chine devrait encourager une meilleure répartition des richesses, l’émergence d’une vraie classe moyenne, etc.

Mais cela passe par des réformes politiques qui ne semblent pas à l’ordre du jour. Le taux de consommation des ménages demeure bas, de l’ordre de 30 % du PIB – l’un des plus faibles du monde, y compris parmi les pays émergents.

Est-il vrai qu’il existe des divergences importantes au sommet du parti et de l’Etat ?

Les informations sont rares, ce qui montre les limites de l’ouverture. Certains semblent réaliser qu’on arrive aux limites du système, et qu’il faudrait accepter des réformes, y compris politiques. Mais ils ont vu ce qui s’est passé avec Mikhaïl Gorbatchev en URSS. La peur de perdre le pouvoir, et encore plus l’accès aux richesses qui y est attaché, les incite à ne rien lâcher.

La Chine n’est plus aussi bien contrôlée qu’il y a trente ans, mais la tentation d’un discours nationaliste, les appels à la reprise en main qui se sont répétés lors du dernier plénum du comité central, montrent que la volonté de contrôle demeure bien présente.

L’affaire de l’emprunt que l’Europe pourrait faire auprès de la Chine sert les intérêts du régime. Celui-ci s’appuie sur l’image de puissance qu’on lui renvoie pour faire avancer ses intérêts à l’extérieur et dominer à l’intérieur. Néanmoins, c’est un pays où la seule certitude est qu’il n’y en a pas. Presque tout peut arriver. Trop de commentateurs occidentaux semblent oublier à quelle vitesse ce type de régime peut s’effondrer.

L’Expansion

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