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C’est l’une des banques d’investissement les plus prestigieuses au monde. Depuis sa création, Goldman Sachs est au coeur de la vie économique et politique américaine.

Haro sur Goldman Sachs ! En juillet 2009, la banque annonçait un bénéfice net trimestriel de 3,4 milliards de dollars peu après avoir remboursé 10 milliards de capitaux publics reçus dans le cadre du plan TARP (Troubled Asset Relief Program) de sauvetage des banques, suscitant un certain nombre d’interrogations sur son rôle dans la crise et son exposition aux risques. Dans le même temps, le groupe précisait avoir provisionné plus de 6 milliards de dollars de bonus à verser à ses salariés, provoquant l’ire des autorités américaines.

Mais ce n’est pas tout ! Toujours en juillet 2009, dans un article au vitriol (voir la traduction ici) publié dans le magazine “Rolling Stone,” le journaliste d’investigation américain Matt Taibbi se livrait à une attaque en règle contre Goldman Sachs, qualifié de “grande machine à bulles,”  l’accusant d’être à l’origine des principales bulles survenues depuis les années 1930, d’avoir mené et de mener encore des opérations spéculatives pour le moins douteuses et de disposer, dans les principaux cercles économiques et politiques de la planète, d’une influence considérable utilisée à son seul profit.

La banque d’investissement la plus puissante du monde est une formidable pieuvre enroulée autour de l’humanité, enfonçant implacablement son suçoir partout où il y a de l’argent,” ,écrit Matt Taibbi avec un sens certain de la formule. Séduisante, la thèse soutenue par le journaliste d’investigation est entachée cependant d’un certain nombre d’insuffisances : à commencer par une absence de preuves réellement convaincantes, une fâcheuse tendance à la généralisation et une propension à prendre pour argent comptant les déclarations de professionnels concurrents dont on peut douter de l’objectivité.

Que Goldman Sachs soit une véritable puissance, un pouvoir américain dont l’influence se déploie à l’échelle d’une économie mondialisée, qui en revanche pourrait le nier ? Avec plus de 25.000 salariés, des bureaux un peu partout dans le monde et un revenu net dépassant, avant la crise, 69 milliards de dollars, “la firme” comme on l’appelle dans les milieux financiers, est sans conteste l’une des toutes premières banques d’investissement au monde. Depuis les années 1990, ses dirigeants sont effectivement très présents dans les hautes sphères politiques de Washington dont ils ont inspiré les choix économiques dans le sens d’une libéralisation accrue.

Le premier à ouvrir le bal fut Robert Rubin. Secrétaire au Trésor des États-Unis de 1995 à 1999 pendant l’administration Clinton, il passa vingt-six ans chez Goldman Sachs, dont il coprésida le conseil d’administration de 1990 à 1992. A ce titre, il fut un chaud partisan de la déréglementation financière. C’est à lui que l’on doit la suppression du célèbre Glass-Steagall Act que Roosevelt avait fait voter en 1933 pour éviter la répétition de la grande crise de 1929 et qui séparait les banques de dépôt des banques d’investissement. En transformant des crédits immobiliers en actifs liquides susceptibles d’être revendus, cette mesure fut l’un des facteurs déclenchant de la crise actuelle.

Mais c’est surtout sous l’administration de George W. Bush que l’influence des anciens de Goldman Sachs fut la plus forte : chef du cabinet de la Maison-Blanche, Joshua Bolten venait de “la firme,” dont il avait été directeur exécutif des affaires juridiques à Londres, tout comme Mark Patterson, directeur du Trésor, ancien lobbyiste pour Goldman Sachs et, bien sûr, Henry Paulson, secrétaire au Trésor de 2006 à 2008, qui dirigea Goldman Sachs entre 1999 et 2006. Le rôle d’Henry Paulson dans la gestion de la crise financière, en septembre 2008, fait aujourd’hui l’objet d’un vif débat outre-Atlantique. Auditionné devant le Congrès des Etats-Unis à la mi-juillet, l’ancien secrétaire au Trésor est soupçonné d’avoir largement favorisé Goldman Sachs lors de son plan de sauvetage des banques.

L’affaire a rebondi tout récemment à la suite d’un article du “New York Times” montrant, preuves à l’appui, que Paulson aurait, au plus fort de la crise, passé beaucoup plus de temps au téléphone avec le PDG de “la firme” – 24 communications téléphoniques entre le 16 et le 21 septembre – qu’avec les dirigeants des autres banques sauvées avec l’argent du contribuable. Coïncidence ? Simple volonté de s’entretenir avec l’un des principaux acteurs financiers de Wall Street ?

Sur le dos du contribuable

Pointés par Matt Taibbi et repris pour certains par le “New York Times,” un certain nombre de faits n’en sont pas moins troublants. Le refus de Paulson de sauver Lehman Brothers – décision qui a provoqué une déstabilisation en chaîne du secteur financier – aurait ainsi permis d’écarter définitivement l’un des principaux concurrents de Goldman Sachs. De même, le feu vert donné par le secrétaire au Trésor au renflouage massif – 85 milliards de dollars – de l’assureur AIG aurait été motivé par la dette de 13 milliards de dollars due par ce dernier à Goldman Sachs, dette qui fut effectivement payée avec l’argent du contribuable. Enfin, le plan TARP de 700 milliards de dollars profita largement à “la firme” qui s’empressa de se convertir en holding bancaire, ce qui lui donnait accès à 10 milliards de fonds publics et à des prêts à taux réduits de la Réserve fédérale. En clair, “la firme” se serait refait une santé sur le dos du contribuable.

Pour comprendre l’influence, réelle, de Goldman Sachs sur les sphères politiques et économiques des États-Unis, il faut remonter aux origines mêmes de la banque et à son rôle dans l’essor du capitalisme américain. C’est de là, dans ces liens tissés de longue date avec les principaux acteurs industriels d’outre-Atlantique, que “la firme” tire une grande partie de sa formidable puissance. Lorsqu’il crée son établissement en 1869, Marcus Goldman n’est pourtant qu’un tout petit brasseur d’argent.

Né en Allemagne en 1821 et arrivé aux États-Unis en 1848, il a commencé comme colporteur avant d’ouvrir un petit commerce à Philadelphie. En 1869, il s’installe avec sa femme et ses cinq enfants à New York. C’est là qu’il ouvre sa “banque” qui s’adresse spécifiquement aux immigrants allemands d’origine juive. En fait de banque, l’affaire n’est qu’une modeste échoppe constituée d’une planchette de bois sur laquelle Marcus fait ses transactions. L’histoire raconte même que, faute de clients au départ, l’ancien colporteur vend des fripes qu’il porte sur son dos à travers les rues de New York.

Sa fortune, Marcus Goldman la bâtit en fait progressivement en se livrant à des activités de courtage d’effets de commerce. Achetant à bas prix des reconnaissances de dettes dues par leurs clients à des grossistes juifs en tabac et en diamants et qu’il transporte avec lui dans son chapeau noir, il les revend ensuite aux banques en leur présentant ces papiers comme autant d’investissements à court terme. Le goût pour la spéculation, déjà… Les transactions sur les effets de commerce : cette activité, qui restera longtemps l’une des spécialités de la banque et qui se nourrit de la formidable croissance américaine des années 1870 et 1880, explique le rapide développement de “la firme.”

Elle permet à Goldman Sachs, qui s’y livre à une échelle encore inconnue, de répondre aux besoins de trésorerie à court terme des entreprises et de générer avec un minimum de risques des flux de cash-flow considérables qui nourriront à leur tour sa croissance. En 1882, Marcus Goldman associe son gendre Samuel Sachs à ses affaires. Ainsi naît Goldman Sachs qui, à cette date, brasse déjà pour 30 millions de dollars d’effets de commerce.

Des transactions à grande échelle sur les papiers commerciaux, Goldman Sachs passe très vite à des activités plus complexes, notamment les introductions en Bourse, très nombreuses au début du XX siècle. Pour cela, “la firme” se dote de compétences nouvelles qui rompent avec les pratiques de cooptation en vigueur depuis 1869. Elle est ainsi la première entreprise de son secteur à systématiser le recrutement de titulaires de MBA et de diplômés des grandes écoles de commerce américaines, ce qui lui permet tout à la fois de professionnaliser ses équipes et de bénéficier de précieux relais au sein même des entreprises. Goldman Sachs est sans doute l’une des premières banques à avoir compris l’importance de la notion de réseau, une pratique à laquelle elle allait rester fidèle jusqu’à nos jours.

Sa première opération, la firme la réalise pour la société de distribution Sears, Roebuck & Company en 1906. Considérée comme l’une des introductions en Bourse les plus importantes de l’époque, elle contribue à asseoir la réputation de Goldman Sachs. La stratégie de la firme est alors de se concentrer sur les introductions en Bourse et les émissions d’actions pour les secteurs industriels, dont les commissions sont très juteuses, plutôt que sur l’émission d’obligations, une pratique davantage prisée par ses concurrents comme JP Morgan & Co. ou Kuhn, Loeb & Co., notamment pour le financement des chemins de fer, Woolworth, General Foods, Goodrich, United Biscuit, Phoenix Hosiery…

Au milieu des années 1920, la firme a pour clients les principaux groupes industriels américains dont elle accompagne la croissance. Elle entretient, avec leurs dirigeants, des relations très étroites. Deux raisons qui expliquent la place déjà particulière qu’elle occupe – avec JP Morgan – au sein du capitalisme américain.

Le jeu de la spéculation

Mais déjà, Goldman Sachs se laisse prendre au jeu de la spéculation, une voie qu’il est loin d’être le seul à emprunter. L’examen des indices boursiers de New York, de Paris ou de Londres témoigne de la fièvre spéculatrice qui s’empare des principales places boursières tout au long des années 1920, fièvre dont la banque ne peut être tenue pour seule responsable. Il n’empêche : elle va, en la matière, très loin. En décembre 1928, alors que la grande croissance des années 1920 bat encore son plein, Goldman Sachs se lance dans un montage qui a toutes les apparences d’une pyramide de Ponzi.

Le premier étage est constitué par le fonds d’investissement fermé Goldman Sachs Trading Company, à partir d’actions de la banque dont celle-ci détient 90 % et dont 10 % sont placés dans le public. Après avoir fait monter la valeur des titres par des rachats massifs et les avoir revendus, Goldman Sachs crée un autre fonds, Shenandoah Corporation, qui fonctionne sur le même principe que le premier. Enfin, la pyramide est couronnée par un troisième fonds, Blue Ridge Corporation, dont tous les gains sont remontés avec effet de levier au Goldman Sachs Trading. L’effondrement de la pyramide, en octobre 1929, met à mal la banque qui manque de disparaître dans la tourmente et dont la réputation est sérieusement ternie.

Une réputation que Sidney Weinberg, l’inamovible PDG de “la firme” de 1930 à 1969, s’emploie à restaurer. Sous sa direction, la banque diversifie ses métiers, notamment dans l’émission d’obligations pour le compte des collectivités publiques ou le “risk arbitrage.” En 1970, Goldman Sachs est victime d’une nouvelle crise lorsque la compagnie de chemins de fer Penn Central Railroad se déclare en faillite. Sur les conseils de la banque, elle avait créé une structure holding afin de diversifier ses activités, ce qui l’avait amenée à emprunter massivement. Circonstance aggravante, le management avait tenu à distribuer des dividendes à ses actionnaires afin de maintenir l’illusion du succès.

Comme en 1929, la déconfiture du Penn Central met à mal la réputation de la banque. Elle la pousse également à mettre en place de rigoureuses pratiques d’évaluation des risques. Matt Taibbi n’a pas tort lorsqu’il dénonce la présence de Goldman Sachs dans toutes les grandes spéculations de ces dix ou quinze dernières années – qu’il s’agisse de la bulle Internet à la fin des années 1990 ou, plus récemment, des bulles sur les matières premières -, “la firme” a beaucoup spéculé sur le pétrole, et l’immobilier.

Mais en faire la seule responsable d’une dérive générale du système, nourrie elle-même par les cycles de croissance des années 1990-2000, est sans doute excessif. C’est également faire peu de cas du rôle de la banque dans le financement réussi de très nombreuses opérations industrielles et de la qualité de ses équipes, largement reconnue et qui explique la présence d’anciens associés dans les grandes institutions financières mondiales et dans les sphères politiques de Washington. A sa manière en fait, l’histoire de Goldman Sachs témoigne de l’emprise croissante de la finance dans la sphère économique et de la vigueur des idées de dérégulation qu’elle ne cessa de promouvoir au plus haut niveau.

Les Échos

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