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MIF, MTF, AMF, trading haute fréquence, tick, chambers de compensation, dark pools. Entrée en vigueur depuis l’année 2007, la directive MIF (Marchés d’instruments financiers) a fait voler en éclat le monopole des bourses traditionnelles, longtemps protégées de toute concurrence pour des raisons réglementaires.

Cette libéralisation a totalement bouleversé le paysage du secteur, notamment avec l’apparition d’une centaine de plateformes alternatives de négociation : les MTF (Multilateral Trade Facilities), au positionnement low-cost : coûts de structure réduits, technologies innovantes et tarifs agressifs.

Un phénomène qui ne va pas sans expliquer le mouvement actuel de concentration des opérateurs traditionnels visant avant tout à mutualiser et réduire leurs coûts.

Depuis 2007, des bourses d’un genre nouveau ont vu le jour. Les systèmes multilatéraux de négociation – les MTF en anglais – sont des plateformes de négociation boursière exploitées par un prestataire de services d’investissement ou une entreprise de marché. Bien que n’ayant pas la qualité de marché réglementé, les MTF organisent en leur sein la négociation de valeurs mobilières, selon des règles qui leur sont propres. En France, conformément à la directive MIF, les règles de chaque MTF sont, au préalable, transmises à l’Autorité des marchés financiers (AMF) avant leur mise en application. Il ne s’agit donc pas d’autoriser n’importe quoi sous prétexte de faire jouer la concurrence entre différents lieux de négociation pour les valeurs mobilières.

Comme le rappelle Constantinos Antoniades, président fondateur de la plateforme alternative Vega Chi, “la mise en concurrence des modes de négociation s’est accompagnée d’un ensemble de règles harmonisées en matière de transparence pré et post-négociation”, susceptibles d’améliorer l’efficience des marchés pour répondre aux besoins des investisseurs. Les MTF font ainsi l’objet d’obligations de transparence pré-négociation, notamment à travers la nécessité d’afficher les prix auxquels leurs clients peuvent acheter ou vendre ; mais aussi d’obligations de transparence post-négociation, permettant de vérifier la bonne exécution des ordres aux conditions les plus favorables pour le client.

30% de part de marché

Malgré ces contraintes, les nouvelles plateformes alternatives ont rapidement su trouver leur place dans le paysage financier, et représentent désormais une réelle menace pour les bourses traditionnelles en devenant des acteurs incontournables du secteur. Il faut dire que leur développement a été pour le moins spectaculaire depuis 2007, date de l’entrée en vigueur de la directive MIF. Selon Fabrice Couste, directeur général de CMC Markets en France, les MTF auraient ainsi réussi à conquérir environ 30 % de l’ensemble des transactions boursières du marché européen. La plateforme CHI-X Europe  s’est taillée la plus grande part du gâteau en devenant la deuxième place de négociation du Vieux Continent derrière le London Stock Exchange (LSE). En France, elle contrôle plus d’un cinquième des volumes enregistrés sur les titres de l’indice de référence de la place parisienne, le CAC 40.

Preuve de ce succès, un MTF concurrent, l’Américain BATS – gérant par ailleurs déjà deux bourses spécialisées aux Etats-Unis et contrôlé par un consortium de banques et de professionnels de la finance – a décidé de se porter acquéreur de CHI-X Europe, appartenant au courtier américain en ligne Instinet et à une dizaine d’établissements financiers. Au terme de la transaction attendue au deuxième trimestre 2011, la nouvelle entité représentera 23 % des échanges constatés sur les actions en Europe, se rapprochant un peu plus de la première place détenue par le LSE avec près de 2 000 milliards de transactions en 2010.

Il faut dire qu’avec plus de 1 500 milliards d’opérations enregistrées l’an dernier, CHI-X Europe a d’ores et déjà supplanté NYSE Euronext, prenant ainsi plusieurs longueurs d’avance sur les principales plateformes alternatives concurrentes, comme BATS Europe, Nasdaq OMX Europe ou encore Turquoise, rachetée en 2009 par le LSE. Il est vrai que la concurrence fait d’ailleurs rage, y compris au sein des MTF : plus d’une centaine de ces plateformes seraient en effet actives en Europe continentale.

Tarifs et vitesse d’exécution

Dans ce paysage en pleine ébullition, plusieurs raisons expliquent le succès des nouvelles places de négociation auprès des investisseurs boursiers. Avant toute chose, c’est bien leur avantage tarifaire qui leur a permis de se faire une place au soleil. Ces plateformes alternatives pratiquent en effet une politique de prix très agressive, avec des frais d’exécution significativement plus faibles que les bourses traditionnelles, aidées en cela par des coûts de structure beaucoup plus réduits que pour ces dernières, mais également par l’utilisation de nouvelles chambres de compensation pour le règlement livraison des titres.

De plus, “les MTF ont mis en place un système de rémunérations des apporteurs de liquidité” comme l’indique Thierry Foucault, professeur de finance à HEC. Le principe est simple : les ordres passifs, à savoir ceux qui apportent de la liquidité sur la plateforme, sont rémunérés. Les ordres dits agressifs, c’est-à-dire ceux retirant de la liquidité, sont quant à eux facturés en fonction du montant de la transaction.

Cette tarification est particulièrement attractive pour les market-makers haute fréquence, en leur permettant d’empocher une rémunération chaque fois qu’ils prennent part à une transaction”, ajoute Thierry Foucault.

La technologie avancée est sans nul doute une autre explication du succès des MTF. En offrant aux opérateurs de marché, un système de négociation permettant une vitesse d’exécution des ordres très rapide, de quelques millisecondes, ces plateformes deviennent des lieux de négociation privilégiés, notamment pour les traders haute fréquence – qui multiplient les opérations d’achat/vente dans une même journée –, dont le nombre n’a cessé de croître ces dernières années. “Il faut dire que cette rapidité est un élément clé pour ce type d’opérateurs ayant complètement automatisé leurs stratégies de placement d’ordres”, comme le précise Thierry Foucault.

Au moment de l’apparition des MTF en 2007, un autre élément, et non des moindres, a également pesé en faveur du déplacement de la liquidité vers ces plateformes alternatives. Il s’agit de la taille du “tick”, c’est-à-dire le pas de cotation minimum d’une valeur. Par exemple, là où une bourse traditionnelle proposait une action à la vente à 10,01 euros, les MTF étaient en mesure offrir au même moment un prix de 10,001 pour cette même valeur. On comprend dans ces conditions pourquoi les investisseurs ont été si vite séduits par les MTF. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les bourses traditionnelles, et en particulier NYSE Euronext, ont réclamé et obtenu en 2009 une harmonisation de ces décimales pour tous les acteurs du secteur, demandant que le marché primaire (la Bourse) détermine lui-même la limite minimale de cette décimale.

Une concurrence vécue de manière déloyale

Face à l’érosion de leur part de marché, les bourses traditionnelles tentent de réagir tant bien que mal. Pour lutter contre la concurrence des MTF, “leurs efforts se sont notamment portés sur deux axes : la technologie et les tarifs, pour le grand bonheur des investisseurs”, souligne Mark Hemsley, dirigeant de BATS Europe.

Des investissements informatiques conséquents ont notamment été réalisés par les acteurs historiques afin de réduire de façon considérable les “latences” de leurs plateformes de négociation, c’est-à-dire le temps nécessaire pour transmettre de l’information ou traiter les ordres, si crucial pour les traders haute fréquence. D’ailleurs, pour mieux les servir, Nyse Euronext n’a pas hésité à migrer ses serveurs informatiques depuis la banlieue parisienne vers Londres, où se trouvent la plupart d’entre eux sur le Vieux Continent.

Mais pour lutter efficacement contre la concurrence des MTF, c’est avant tout sur le terrain tarifaire que la bataille se livre. Les opérateurs historiques ont certes enclenché une baisse de leurs coûts de transaction, mais l’écart à combler reste encore significatif. Selon Thomas Biotteau, responsable de l’exécution au sein de Kleper Capital Markets “l’ordre de grandeur de cette baisse des tarifs est en moyenne de 25 %”. Il faut dire que la lutte est loin de se jouer à armes égales. Les contraintes réglementaires des MTF sont en effet beaucoup plus souples que celles des bourses traditionnelles.

Par exemple, à la différence de Nyse Euronext, CHI-X Europe ne propose pas l’ensemble des titres admis sur le marché français, se limitant aux mastodontes de la place parisienne, susceptibles de faire l’objet du plus grand nombre d’échanges et donc de générer d’importantes sources de revenus. En concentrant leur activité sur les valeurs les plus liquides au détriment des petites et moyennes capitalisations, les MTF risquent ainsi de créer un marché à deux vitesses, décourageant par la même occasion les entreprises de taille modeste, et en particulier les PME, d’utiliser les marchés boursiers comme source de financement.

Le principe de “meilleure exécution

Pourtant, cette réduction du périmètre des valeurs traitées sur ces plateformes alternatives ne semble pas poser de problèmes particuliers à leurs principaux utilisateurs, en l’occurrence les courtiers et autres banques d’investissement, par ailleurs principaux actionnaires des MTF. Le principe de “meilleure exécution” auxquels sont soumis ces opérateurs de marché pour leurs clients n’y est sans doute pas étranger.

En effet, l’obligation faite aux intermédiaires financiers de prendre toutes les mesures raisonnables permettant d’obtenir le meilleur résultat possible pour leurs clients lors de l’exécution de leurs ordres – compte tenu en autres du prix et du coût de l’exécution – conforte un peu plus le poids des MTF dans le paysage financier.

Toutefois, pour protéger leurs parts de marché, les bourses traditionnelles continuent de plaider l’existence d’une concurrence “déloyale” vis-à-vis des plateformes alternatives, du fait de la souplesse de leurs contraintes réglementaires. Il semble d’ailleurs que la Commission Européenne ait finalement prêté une oreille attentive à leurs revendications puisqu’une révision de la MIF est en cours et devrait voir le jour cette année. “C’est en particulier sur les transactions réalisées de gré à gré, les crossing networks des banques, et dans une moindre mesure sur les dark pools (NDLR : permettant de négocier d’importants blocs de titres en tout anonymat) que le régulateur est en train de se pencher”, indique David Angel, directeur général en France du courtier ITG.

Il faut dire que sur ces lieux de négociation, représentant près de 50 % de l’activité sur actions en Europe, les titres s’échangent dans la plus grande opacité, sans passer par une chambre de compensation, ni diffuser d’informations à l’extérieur. A contrario, comme le souligne Thomas Biotteau, “les MTF sont des marchés régulés”. L’ensemble de leurs transactions obéit à des règles de transparence et de surveillance qui protègent l’investisseur boursier en lui garantissant un service de qualité en termes d’exécution et de règlement livraison via une chambre de compensation.

Dans tous les cas, les principaux bénéficiaires de la révision de la MIF seront sans nul doute une nouvelle fois les investisseurs. Selon Fabrice Couste, “cette libéralisation du marché va leur offrir dans les années à venir une nouvelle souplesse leur permettant de bénéficier de courtages encore plus avantageux et d’une liquidité accrue”. En brisant le monopole des bourses traditionnelles, la MIF a bouleversé un pan entier du secteur financier, longtemps préservé de la concurrence pour des raisons réglementaires. Depuis son entrée en vigueur, les plateformes alternatives se sont multipliées, conquérant en quelques années une part importante des transactions boursières, dans des conditions de concurrence parfois critiquées.

Pourtant, en offrant “des services comparables à ceux des marchés réglementés traditionnels, à qui demeure toutefois réservée la fonction d’admission des titres à la négociation”, comme le précise le rapport Fleuriot commandé par la ministre de l’Economie Christine Lagarde, la place de ces nouveaux lieux de négociation semble aujourd’hui être bel et bien acquise dans un paysage boursier en pleine évolution. En assurant des délais d’exécution réduits et surtout des frais d’exécution en baisse, ces nouveaux acteurs sont aujourd’hui devenus incontournables. Pourtant, malgré tout, certains experts leur reprochent de créer une dispersion de la liquidité entre un grand nombre de plateformes et de systèmes.

En dépit de ces critiques, les acteurs historiques se sentent menacés, comme le montre leur mouvement actuel de concentration – rachat de la bourse de Toronto par le LSE ou bien le projet de fusion entre Nyse Euronext et Deutsche Börse – qui illustre leur volonté de réduire leurs coûts face à des concurrents de plus en plus agressifs. Pour se défendre, les bourses n’ont d’autres solutions que de grossir en fusionnant entre elles. La prochaine révision de la MIF ne changera probablement pas le mouvement enclenché, mais facilitera au contraire le bon fonctionnement du marché à travers une amélioration de la transparence face à la multiplication des places de négociation opaques de type dark pools.

D’ailleurs, pourquoi remettre en question l’existence des MTF ? Comme le rappelle si justement Alasdair Haynes, dirigeant de Chi-X Europe “dans le transport aérien, il existe bien des compagnies low cost au côté des compagnies traditionnelles, soumises à la même régulation, pourquoi cela ne serait-il pas possible dans le domaine des places boursières ?

Le Nouvel Économiste

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