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Le PDG de l’agence de notation chinoise Dagong livre son point de vue sur les agences de notations américaines et revient sur leur rôle plus politique qu’économique.

L’actuariel : Que pensez-vous des notations de Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch?

Guan Jianzhong : Depuis toujours, elles utilisent le principe du « deux poids, deux mesures ». Le niveau de la dette américaine augmente rapidement et va bientôt dépasser son PIB. Sa solvabilité réelle continue de se détériorer et sa volonté de remboursement s’est nettement émoussée. Le fait d’avoir recours à la planche à billets afin de transférer la dette contribue à altérer encore davantage les intérêts des créanciers. Les trois agences ont choisi d’ignorer ces faits et conservent la notation Triple A des États-Unis (1).

En revanche, elles ont diminué de manière significative la note des pays de l’Eurozone, tels que la Grèce, l’Espagne, le Portugal, etc., auxquels Moody’s et Standard & Poor’s avaient auparavant accordé des évaluations de premier ordre. En réalité, la capacité des États-Unis à rembourser sa dette est devenue très, très faible. Cette observation à elle seule indique que ces agences cherchent à protéger les intérêts des États-Unis en exploitant leur position dominante et qu’elles ont perdu tout semblant d’impartialité et d’objectivité. Par conséquent, l’utilisation de leurs informations de notation douteuses pour réaliser des opérations de crédit provoquera un dérèglement du marché.

Vous êtes très critique envers les agences de notation occidentales?

Je pense que les agences internationales de notation devraient garantir la sécurité du système financier mondial, au lieu de diffuser des informations qui leur sont profitables du point de vue de la protection des intérêts de leur pays, car cela génère des perturbations à l’échelle non seulement européenne mais aussi planétaire. D’un côté, les agences de notation américaines adoptent une politique partiale. De l’autre, les normes d’évaluation sont criblées d’erreurs.

Nous pouvons en tirer plusieurs conclusions. Les relations internes existant entre les différents facteurs responsables de la formation des risques de crédit sont remplacés par l’idéologie et les valeurs d’ordre national, ce qui rend la notation subjective. Par ailleurs, il est totalement faux de concevoir l’évaluation d’un État comme la limite de crédit de l’ensemble de l’économie, étant donné l’absence de relation fondamentale entre les deux ; l’insolvabilité d’un État ne signifie pas que les entreprises soient acculées à la faillite. Ensuite, la définition même de la « défaillance » reste absolument favorable aux États-Unis. Les trois agences reconnaissent que les États-Unis ne pourront jamais « faire défaut », grâce à sa capacité d’émission monétaire.

Lorsque les risques d’insolvabilité apparaissent, le gouvernement fédéral américain fait marcher la planche à billets, solution classique pour défendre les intérêts américains et nuire aux prêteurs par la dépréciation de la monnaie. Autre constat, le référentiel utilisé pour vérifier la justesse des résultats lors d’une défaillance ne permet pas de donner l’alerte, et conduira les États-Unis et le monde entier à payer le prix fort de son caractère absurde.
La défaillance des débiteurs débouche sur la crise financière mondiale. C’est un crime envers la société de ne pas vérifier la rationalité des normes de notation lors d’une crise pareille. Avec une vision claire des erreurs fondamentales commises par Moody’s et S&P, il n’y aura plus lieu de paniquer à cause d’informations de notation qui ont été publiées à tort.

En quoi l’approche de l’évaluation souveraine de Dagong diffère-t-elle de celle de Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch?

Elle est totalement différente. Dagong s’intéresse à la création de valeur des économies qui empruntent ainsi qu’aux facteurs ayant un impact sur le capital interne. Alors que les trois autres agences se fondent sur l’idéologie et les valeurs nationales pour mesurer les risques financiers. Elles accordent plus d’attention à la capacité à emprunter en ignorant celle qui permet de créer vraiment de la richesse. Dagong évalue le risque de crédit d’un État à partir de cinq critères : la politique économique du pays ; sa puissance économique ; sa puissance financière ; son degré de solvabilité ; le niveau des réserves de change.

Tandis que Moody, S&P et Fitch évaluent la capacité de remboursement d’un pays à partir de l’ordre politique du pays, reconnu selon les concepts politiques occidentaux ; la puissance économique exprimée en PIB par habitant ; les perspectives de croissance économique, évaluées en fonction du degré d’ouverture économique et financier sur le monde ; l’indépendance de la banque centrale et le droit d’émission d’une monnaie de réserve internationale afin d’améliorer son niveau de notation. Mais elles ignorent le rôle fondamental que jouent les recettes fiscales et insistent sur la capacité de continuer à se financer par la dette plutôt que sur la réelle capacité de remboursement.

Les grandes différences de résultats d’évaluation entre eux et nous sont dues à des approches d’évaluation différentes. Parmi les notes de 50 pays initialement attribuées par Dagong, 54 % sont différentes de celles des trois autres agences. Au cours de cette année, ces dernières ont aligné les notes de 5 pays sur celles de Dagong, ce qui démontre l’objectivité de nos normes de notation.

Pourquoi les responsables chinois ont-ils décidé de doter le pays d’une agence de notation?

En tant que deuxième puissance économique mondiale, la Chine joue un rôle irremplaçable dans le développement économique mondial grâce à l’exportation de capitaux. De plus, en tant que premier créancier de la planète et dans un contexte de mondialisation financière, la Chine se doit d’avoir des services d’information sur le risque de crédit, c’est-à-dire une agence de notation au service du créancier. Les leçons que nous pouvons tirer de l’actuel système international de notation nous indiquent qu’il viole la théorie générale du rapport créancier/débiteur, ce qui nous conduit à une situation où les pays endettés dominent le système de notation et fournissent des informations qui leur sont favorables entraînant ainsi l’effondrement du rapport créancier/débiteur. Il va donc de l’intérêt de la Chine, en vue d’un développement stable des relations internationales, de mettre en place une agence de notation reconnue au niveau mondial, suivant la théorie du rapport créancier/débiteur.

Dagong est la première agence de notation à promouvoir une réforme du système international de notation. Pouvez-vous en dire plus?

Dagong préconise la mise en place d’un nouveau système de notation fondé sur l’économie de crédit et l’évolution des flux financiers. L’objectif est d’assurer la sécurité du système financier mondial dans le contexte de la mondialisation du crédit. Le 11 juillet 2010, l’agence a publié ses normes d’évaluation du crédit ainsi que les résultats de notation de 50 pays. Cette initiative a été très appréciée par la communauté internationale.

Quelles sont vos particularités ?

Dagong est devenue une agence de notation de premier plan au terme d’un processus de plus de trente ans de réformes et d’ouverture au monde. Elle suit l’évolution de l’internationalisation des entreprises, en s’appuyant sur les spécificités chinoises. Ainsi, Dagong révèle les risques de crédit en fonction des relations internes existant entre les différents facteurs responsables de la formation de ces risques. Elle propose ses services au marché international de notation, en exploitant son expérience et ses compétences en la matière.

Quels sont les critères principaux que vous utilisez pour évaluer les entreprises et les banques?

Les approches d’évaluation varient en fonction des secteurs. D’une manière générale, les facteurs de risque majeurs dans les entreprises industrielles et commerciales sont la rentabilité, les liquidités, le niveau et la structure du passif. En ce qui concerne les banques, les facteurs de risque sont principalement liés aux chiffres d’exploitation, au niveau de gestion des risques et à l’adéquation des fonds propres.

L’actuariel

(1). Cette interview a été réalisée avant que Standard & Poor’s ne dégrade la note souveraine américaine le 5 août 2011.

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