Fdesouche

Le regard du responsable des emprunts européens chez BNP Paribas AM.

Supervisant l’investissement obligataire du plus gros fonds institutionnel de la zone euro – 106 milliards d’euros lui sont confiés –, Patrick Barbe décrypte qui sont ces «financiers» auxquels font face les pays européens.

Le Temps : Les responsables européens ont conspué les «spéculations» à l’origine de la crise les affectant depuis un an…

Patrick Barbe : En réalité, la spéculation sur les emprunts des Etats européens – celle des « hedge funds » – est aujour­d’hui limitée. Pour une raison simple : la liquidité sur ces marchés s’est totalement asséchée. Il est cependant vrai que ce sont les flux financiers sur ces obligations – tout autant que l’inquiétude sur la situation financière de chaque pays – qui font maintenant la loi sur les taux d’intérêt de ces Etats. Depuis un an, on a en effet assisté à un véritable basculement de l’équi­libre entre les détenteurs de ces titres.

– Au profit de qui a eu lieu ce mouvement de balancier ?

– Au printemps dernier, les institutions et banques centrales hors zone euro se sont séparées en masse de leurs titres. Elles se sont mises à vendre les emprunts de tous les pays du sud de l’Europe, qu’elles associaient à la Grèce. Par simple rapprochement géographique. Tout en gardant leurs emprunts irlandais, un pays situé à leurs yeux au « nord ». Et donc du bon côté.

C’est à ce moment que des pays comme la Grèce et l’Irlande se sont mis à emprunter des montants astronomiques par rapport à la taille de leur économie. Les agences de notation ont alors fait un mal terrible en revoyant à la baisse la note [ndlr : estimation de la capacité de remboursement] de ces pays. Accélérant ainsi les cessions de ces institutions.

– Quid du rôle des banques ?

– Toutes les grandes banques d’affaires menaient depuis des années des activités destinées à « optimiser » les dettes de ces Etats. Celles-ci étaient essentiellement en hors-bilan, comptabilisées avec un risque zéro. Avec la crise, ces établissements ont dû subitement couvrir ces positions sur des titres soudain risqués. Soit en vendant. Soit en achetant en masse des contrats de protection (CDS) ; ce qui a contribué à affoler un peu plus le reste du marché.

Les pays les plus touchés ont été ceux qui géraient le plus leur dette avec l’aide de ces banques. Au final, au­jourd’hui, les principaux détenteurs de ces emprunts européens dégradés sont les grandes institutions et des fonds de placement européens.

– A vous entendre, cela signifie que la volonté exprimée par la chancelière Merkel de faire payer les investisseurs en cas de défaut ne concernerait plus guère les grandes banques ou ceux présentés comme des spéculateurs ?

– Regardez la Grèce. Sur un total de 268 milliards d’euros de dette publique, environ un tiers est aux mains de ses citoyens, un autre tiers détenu par les banques centrales, le reste étant souscrit par des institutions privées quasi exclusivement situées en zone euro. Celles-ci sont surtout des caisses de retraite et des assureurs, qui ont moins de contraintes pour détenir des titres d’Etats moins bien notés.

Cette évolution fait qu’aujourd’hui le débat politique n’est plus de savoir s’il faut faire participer les milieux financiers aux pertes encourues par les contribuables européens. Mais s’il faut faire participer, au final, les épargnants européens eux-mêmes.

– La même situation règne-t-elle actuellement sur les emprunts irlandais ?

– Non, car ce pays présente un cas atypique. Seuls 15% de ses emprunts sont aux mains d’entités locales. Dublin les a placés auprès d’investisseurs du monde entier ces derniers trimestres encore. Avec succès. Il y a trois ans, le gouvernement était sans dette. Et il était difficile de prévoir la crise qui allait balayer son secteur bancaire. Contrairement à la Grèce, les banques sont au cœur du problème. Et c’est pour les sauver que le pays s’est ainsi endetté.

Le Temps

Fdesouche sur les réseaux sociaux