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En Provence, Noël se caractérise par des traditions bien particulières, dont le “gros souper” et ses treize desserts, mais aussi des rituels autour d’une (vraie) bûche qui doit brûler jusqu’au jour de l’An, ainsi que la crèche et la pastorale. Très importants sont les treize desserts, dont la liste varie en fonction des disponibilités de la famille, mais qui comprennent souvent du nougat, une “pompe à l’huile” (un gâteau), des fruits secs appelés “mendiants” (leur robe brune rappelant la bure des moines mendiants d’autrefois) et les fruits frais disponibles, souvent des pommes.

Les festivités de Noël s’insèrent dans toute une série qui commence le 4 décembre avec la plantation du blé de la Sainte Barbe, et qui s’achèvera à la chandeleur. Les vidéos montrent la fabrication de deux des treize desserts.

Le nougat :

La pompe à l’huile :

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NOËL AU SEIN DE LA PÉRIODE DES FÊTES

Un cycle annuel naturel

En Provence comme ailleurs en France, Noël est le point culminant d’une période de fêtes qui commence bien avant  et se termine bien après.

Le rythme de la vie, dans l’ancienne France rurale, tant chrétienne que païenne, était très cyclique, commandé par une nature contraignante. Deux périodes se distinguaient : la belle saison, consacrée au travail, dans laquelle les festivités étaient peu nombreuses et limitées à quelques jours précis ; et la mauvaise saison, dans laquelle on ne pouvait que vivre au ralenti, grelotter dans sa chaumière, tenter de se remonter le moral, espérer le retour du soleil, se convaincre que la terre n’avait pas perdu sa fertilité même si elle la cachait bien, penser à ses ancêtres et à la mort. Même si Noël était une fête merveilleuse, la tonalité de la période restait grave.

Quand commençait-elle, et quand finissait-elle, cette période dite “des fêtes”, ou plutôt des rites et du recueillement ? Difficile à dire, puisqu’elle était presque continue. Noël était préparé par les quatre semaines de l’Avent, qui démarraient début décembre, ce qui coïncidait donc à peu près avec des fêtes secondaires annonçant Noël, comme la Sainte Barbe en Provence ou la Saint Nicolas dans le Nord et l’Est. Cette période d’attente heureuse mais grave, on pourrait d’ailleurs la faire commencer avant, à la Toussaint, et à la Fête des morts, opportunément placées au moment où la nature elle-même parait mourir. Ou même aux vendanges, après lesquelles la terre parait bien nue et bien morne. D’ailleurs, c’est à ces dates que la fête de Noël se prépare : aux vendanges, on fait cuire  une partie du jus de raisin sans le faire fermenter, afin qu’il puisse fournir le vin cuit de Noël. A la Sainte-Barbe, on plante des graines qu’on devra surveiller quotidiennement pour qu’elles soient le plus belles possibles sur la table calendale : chaque geste en suit ou en prépare un autre, faisant de la période  une continuité.

Il est tout aussi difficile de dire quand la période se terminait. A l’Epiphanie ? A la Chandeleur ?  à Mardi-Gras ? Dans ces rituels de la mauvaise saison, on pourrait même englober le Carème, et fixer à Pâques le début de la saison joyeuse et active.

On notera que la saison sombre entendue de façon large comporte deux périodes de restrictions alimentaires relativement sévères : l’Avent et le Carême. Outre les aspects religieux, ces périodes de jeûne devaient aussi répondre à la nécessité de ménager les provisions. Les jours de bombance, tels que Noël, la chandeleur et Mardi-Gras, étaient bien minoritaires, même s’ils étaient d’une grande gaieté. La mauvaise saison, c’était d’abord une épreuve à traverser.

Sainte Barbe, ou la “sainte” inconnue

Puisque nous parlons aujourd’hui du Noël provençal, nous commencerons donc par signaler la plantation des herbes de la Sainte Barbe, blé ou lentilles : le 4 décembre, fête de cette sainte, on sème du blé ou des lentilles sur du coton imbibé d’eau dans trois coupelles que l’on posera sur la table le soir de Noël. Une bonne pousse annonce l’abondance pour l’année qui vient. On voit bien par là le caractère continu de la période des fêtes, puisque la pousse des graines sera surveillée quotidiennement et les coupelles placées sur la table familiale en tant que “plat à regarder”. De telles plantations éphémères étaient déjà connues dans l’Antiquité sous le nom de “jardins d’Adonis”. Adonis était une divinité liée à Perséphone, dont nous reparlerons et, comme elle, il passait une partie de l’année sur terre et l’autre partie aux Enfers.

Pourquoi Sainte Barbe ? Difficile de répondre, car cette vierge et martyre est peu documentée. Cette “sainte” est peu connue de l’Eglise, qui souligne son caractère probablement légendaire, et n’était peut-être pas davantage connue des chrétiens de son temps, au point qu’on ignore son vrai nom. Après son martyre, durant lequel elle montra un grand courage, les chrétiens chargés de reconnaître les corps des leurs parmi ceux des suppliciés s’avérèrent ne pas la connaître ; c’était, mêlé à  leurs propres martyrs, un corps surnuméraire qu’ils  ne surent désigner  que comme celui de “la jeune fille qui parlait une langue étrangère”, c’est à dire, en grec : Barbara (en français : Barbe).

Sainte Barbe est depuis depuis longtemps la patronne des mineurs. Peut-être a-t-on pensé que ce lien avec le monde souterrain lui permettait de veiller sur les graines enfouies pendant l’hiver ? De plus, après son martyre, son père, responsable de sa mort, fut frappé par la foudre, si bien qu’on attendait d’elle protection contre la mort subite (la “malemort” très redoutée) et contre le tonnerre et les explosions (ce qui en fait la patronne des artificiers, des pompiers et de tous ceux qui ont affaire aux explosifs, aux armes ou au feu). C’est aussi la patronne des intellectuels, car c’est d’avoir écouté les enseignements d’un sage (chrétien ?) qui a causé la colère de son père et son martyre.

Sainte Barbe vient nous rappeler que cette terre fut païenne avant d’être chrétienne. Maîtresse des graines enfouies, gardienne de la fertilité temporairement perdue de la terre, titulaire d’un pouvoir redoutable dans le domaine de la mort, Sainte Barbe la très mystérieuse nous fait plus penser à Perséphone qu’à une sainte chrétienne. Une Perséphone qui aurait volé la foudre à son oncle Zeus, oublié quelque part son Hadès de mari forcé et emprunté son jardin éphémère à son amant Adonis. Une femme qui en savait trop, une résistante qu’aucune torture ne fait fléchir, une inclassable que les païens martyrisent sans que les chrétiens du lieu la reconnaissent comme l’une des leurs, et qui ne s’en porte pas plus mal quelques siècles après.

Deux mots sur Perséphone, cette déesse grecque à la double personnalité. Fille de la déesse des moissons Déméter, l’une des rares parmi les dieux de l’Olympe qui se soucie des humains, elle est enlevée par le dieu des Enfers Hadès. Sa mère furieuse décide de priver les hommes de moissons tant que sa fille ne lui sera pas rendue. Zeus décide qu’elle passera la moitié de l’année sur terre (elle est alors la charmante et inoffensive Coré, déesse du printemps et des fleurs) et l’autre moitié auprès de son époux Hadès. Elle devient alors la redoutable Perséphone, que les poètes décrivent comme aussi inflexible que son époux, dont elle est un double féminin plus qu’une victime. Perséphone a aussi pour double masculin son amant Adonis, qui, comme elle, passe une partie de l’année sur terre et l’autre aux Enfers, partagé entre ses deux amantes Perséphone et Aphrodite.

Sainte Barbe, qui ouvre le cycle de Noël, n’est donc pas la plus inoffensive des saintes chrétiennes, à supposer qu’elle soit chrétienne.

LE GROS SOUPER

Un repas abondant, mais “maigre”

Le gros souper est précédé par la période du jeûne de l’Avent.

Le gros souper de Noël prend place le soir du 24 décembre. On doit patienter en attendant qu’il soit l’heure de la messe de minuit. En principe, on communiera, donc on doit être, dans l’idéal, à jeûn ; en pratique, on mangera un repas “maigre”, c’est à dire sans viande. Le gros souper comprend une abondance de légumes, ainsi que les fameux treize desserts, et parfois du poisson, mais pas de viande. Tout est mis sur la table en même temps. La liste des plats, ainsi que celle des desserts, n’est pas normative. Nos ancêtres faisaient avec ce qu’ils avaient.

Le vin cuit arrose le repas, aide à faire descendre la pompe à l’huile (qui serait, sinon, un peu étouffe-chrétien) et fournit la libation offerte au cacho-fio (voir plus loin) dans la plus belle tradition antique. Fabriqué au moment des vendanges à partir de moût avant qu’il fermente, ce vin cuit, que l’on peut aussi acheter en bouteilles, nous branche en ligne directe avec les saveurs les plus anciennes. Il nous rappelle que les techniques de vinification par simple fermentation n’ont pas été faciles à maîtriser. Pour conserver le vin, nos ancêtres les plus lointains devaient le faire cuire et l’aromatiser.

Après le “gros souper”, la famille se rend à la messe de minuit, sans fermer la porte à clef, sans enlever le couvert, car ” Les anges venaient manger les miettes. “

Une symbolique forte

La table de fête, dite Table calendale, devait être recouverte de trois nappes, éclairée par trois chandeliers (symbole de la Trinité) et tous les plats devaient être présentés en même temps au début du repas (desserts compris). Suivant les lieux, la première nappe était enlevée avant les desserts. Le blé de la Sainte Barbe figure évidemment sur la table. En fin de repas, la table ne devait pas être desservie, on nouait juste les coins afin qu’il ne traînent pas sur le sol et que de mauvais esprits ne puissent monter sur la table. On ne desservait pas la table car, ainsi, les ancêtres pouvaient durant la nuit venir participer au repas comme les vivants. On laisse également une place vide au cas où un pauvre se présenterait pour partager le repas, ou bien pour honorer les morts de la famille.

La bûche, ou “cacho fio”

Lorsque la table de fête est dressée, le plus âgé de la maison aidé du plus jeune choisit la plus grosse bûche possible parmi la provision de bois pour l’hiver. Ensemble, tenant la bûche chacun à un bout, ils font trois fois  le tour de la table avant de la mettre dans la cheminée, l’aïeul l’arrose d’un verre de vin cuit en prononçant les paroles suivantes : “Allégresse, allégresse ! Mes beaux enfants, que Dieu nous réjouisse ! Avec Noël tout bien vient, Dieu nous fasse la grâce de voir l’an qui vient, Et, si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.”

Cette bûche devra brûler doucement dans un coin de l’âtre jusqu’à la nouvelle année.

Ces gestes encore sont très anciens et même pré-chrétiens. Les libations (offrande aux dieux de quelques gouttes du liquide qu’on s’apprête à boire) sont déjà signalées dans Homère et sont pratiquées durant toute l’Antiquité. Le feu symbolise la vie de la famille, au point que le mot “foyer” peut désigner soit l’âtre où brûle le feu, soit la famille. La formule rituelle, qui exprime l’angoisse de la mort autant que l’action de grâces (“et, si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins”), s’inscrit dans un contexte à tonalité grave. La redoutable Perséphone n’a pas été totalement chassée par le christianisme, et il devait en être encore davantage ainsi autrefois, quand les souffrances matérielles et morales de la mauvaise saison n’avaient pas été effacées par le confort moderne.

Pas de réveillon

Voici ce que nous précise le site Marseille catholique :

“Après la Messe de Minuit, le réveillon n’est absolument pas dans nos traditions : il serait mal venu puisque le repas du 25 – où l’on sert la dinde comme (presque) partout – est encore un repas où la famille est rassemblée et où les maîtresses de maison ont encore fort à faire . Soyons logiques et conservons nos traditions, si humaines, si chargées de symboles et – malgré la caricature commerciale qui nous est trop souvent présentée – que cette fête reste la fête religieuse et familiale qu’elle a toujours été chez nous.”

Quelques recettes pour le gros souper

Voici quelques recettes :

Vin cuit

Recettes de Marion Nazet (excellentes recettes marseillaises d’aigo boulido, de morue, de cardes, d’épinards, et de desserts)

Oreillettes

Mini tartelettes aux noix

Nougat noir

SANTONS, CRÈCHE ET PASTORALE

Noël en Provence, c’est aussi, bien sur, les santons, la crèche et la pastorale (crèche vivante).

Grâce à ce lien, vous pouvez entendre la splendide Pastorale des santons de Provence, d’Yvan Audouard (durée : une heure).

C’est l’histoire de la nuit de Noël et des santons racontée par l’ange Boufaréou, celui qui sonne de la trompette chaque fois que le Bon Dieu il est content. Et cette nuit là, le Bon Dieu, il a jamais été aussi content de sa vie étant donné qu’il va être papa d’un moment à l’autre …

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