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Tribune libre de Paysan Savoyard

Dans la série que nous consacrons à la délinquance, cette troisième tribune poursuit la description des six formes différentes que prend le laxisme des pouvoirs publics et porte sur la quatrième d’entre elles : le laxisme de la justice pénale.

La cause majeure de l’impunité dont bénéficient les délinquants est celle-ci : la loi pénale et l’appareil judiciaire sont laxistes. Nous voulons maintenant le montrer.

La sanction pénale poursuit en principe quatre objectifs. Punir le délinquant, en lui appliquant une sanction juste et adaptée (et l’obliger lorsque c’est possible à réparer le tort causé aux victimes). Conduire le délinquant à s’amender et préparer par là-même sa ré-insertion. Prévenir la délinquance, la sanction étant notamment destinée à exercer un effet dissuasif. Protéger la société, l’emprisonnement permettant la mise à l’écart de personnes dangereuses. Les deux premiers objectifs – punir et amender – s’adressent au délinquant lui-même ; les deux autres sont destinés à protéger la population en évitant la commission de nouvelles infractions.

Le parti-pris laxiste de la justice conduit celle-ci, c’est ce que nous voulons ici mettre en évidence, à privilégier les deux premiers objectifs, centrés sur la personne du délinquant, et à sacrifier les deux autres, destinés eux à protéger la société.

La loi et la justice pénales, en effet, sont aujourd’hui conçues et organisées dans une perspective « humaniste », qui revêt trois aspects. Les conceptions humanistes se traduisent d’abord, comme on le sait, par un attachement particulier à la valeur cardinale qu’est la liberté individuelle : c’est ainsi que le système pénal a pour souci majeur de protéger les droits des personnes susceptibles d’être confrontées à l’appareil policier et judiciaire. En second lieu, conformément à la position philosophique et à l’état d’esprit humaniste qui sont les siens, la justice pénale prend le parti de « l’optimisme sur l’homme » et ses capacités de rédemption.

Cela la conduit à prendre des décisions inspirées par le souci de ne pas commettre d’erreur judiciaire, de tenir compte des circonstances atténuant la responsabilité des coupables et de ne pas placer les délinquants en situation de relégation définitive. Enfin l’état d’esprit humaniste est accompagné et renforcé par l’analyse, partagée par la classe dominante dans son ensemble, selon laquelle les délinquants sont, au moins pour partie, des victimes (voir une prochaine tribune) : cet état d’esprit conduit une proportion importante des acteurs du monde judiciaire à adopter une attitude mesurée voire bienveillante à l’égard des délinquants.

Il faut relever que la hiérarchisation des priorités constitue au demeurant pour la justice une démarche inévitable, dans la mesure où les quatre objectifs de la sanction pénale rappelés ci-dessus apparaissent souvent difficiles à concilier. Par exemple la volonté de laisser une chance aux délinquants de s’amender et de se réinsérer conduit à limiter la durée des peines de prison (tandis que le parti de privilégier la protection de la société conduirait au contraire à mettre à l’écart durablement sinon définitivement les délinquants). Par exemple encore le souci de délivrer une sanction juste conduit à relaxer des personnes faute de preuves suffisantes et au bénéfice du doute, en prenant ainsi le risque de laisser un coupable en liberté (la volonté de privilégier la protection de la société conduirait au contraire à condamner malgré le doute, au risque de punir parfois des innocents).

Les différents objectifs de la sanction pénale étant difficilement compatibles, la justice pénale, c’est-à-dire la loi servie par l’appareil judiciaire, a choisi de privilégier les deux premiers en se préoccupant avant tout, dans une perspective humaniste, de respecter les droits individuels des personnes mises en cause et de traiter les délinquants avec mesure.

Ce parti pris « humaniste », nous allons le voir, débouche sur le laxisme, qui prend, aux différents stades du cheminement pénal (l’arrestation du délinquant ; la décision de poursuivre ou non ; le jugement ; les types de condamnations infligées ; les modalités d’exécution des peines), les formes suivantes :

  • La procédure pénale vise à protéger les droits des personnes mises en cause

Le souci de protection des droits et des libertés individuelles débouche tout d’abord sur un encadrement et une limitation des activités de surveillance de la population : contrôles d’identité sur la voie publique, fichage, écoutes, vidéo surveillance… (c’est ainsi par exemple que les personnes qui ont été suspectées mais qui n’ont pas été condamnées sont effacées, sur leur demande, du fichier des empreintes génétiques).

De même ont été établies des règles de procédure pénale détaillées et rigoureuses (procédure et durée de la garde à vue, procédures de conduite des enquêtes, documents à transmettre au magistrat ou à établir par lui…), dans le but de protéger les personnes mises en cause contre le risque d’être victimes d’actes arbitraires de la part des policiers ou des juges.

Ce souci de protection est évidemment légitime. Cependant la complexité des règles de procédure pénale permet aux avocats d’obtenir fréquemment des remises en liberté et des annulations de poursuites et de procédures, en se fondant sur le fait que telle ou telle règle de procédure (portant par exemple sur le délai de transmission au juge de tel ou tel document) n’a pas été respectée. Or parmi les personnes qui bénéficient de cette situation, certaines sont mises en cause pour la première fois ; mais d’autres sont des délinquants confirmés, qui, compte-tenu de leur passé judiciaire, ne devraient pas, selon-nous (nous y reviendrons), bénéficier des protections dues à des personnes présumées innocentes.

  • Les délinquants mineurs bénéficient d’une législation protectrice

La loi accorde aux mineurs un régime protecteur en matière pénale (ordonnance de 1945). Elle prévoit notamment que les mineurs de moins de 13 ans ne peuvent se voir infliger de peines mais seulement des mesures éducatives (remise à un parent, placement…) et des sanctions éducatives (confiscation…). Pour les mineurs de 13 ans et plus, les peines encourues sont atténuées par rapport à celles auxquelles les majeurs sont susceptibles d’être condamnés : le maximum de la peine encourue par le mineur correspond à la moitié du maximum encouru par le majeur. D’autre part le mineur de moins de 13 ans ne peut être placé en garde à vue (il peut toutefois être « retenu » pour une durée de 12 heures).

On peut penser que cette protection particulière dont ils bénéficient contribue à expliquer la part croissante prise par les mineurs dans la délinquance (en 2008, 218 000 mineurs ont été mis en cause par la police ou la gendarmerie). Le régime pénal des mineurs explique sans doute par exemple qu’ils soient fréquemment utilisés comme « petits soldats » par les « grands frères » des cités.

Différents ministres de l’intérieur ont envisagé de durcir la législation des mineurs : ils ont jusqu’ici toujours reculé devant l’opposition “humaniste” des milieux judiciaires (l’actuel gouvernement avait lui aussi annoncé son intention de réformer profondément l’ordonnance de 1945. La loi du 5/03/07 a certes quelque peu durci le régime s’appliquant aux mineurs de 16 à 18 ans. Par exemple elle a limité le recours aux mesures de remise aux parents et de rappel à la loi lorsque le délinquant mineur est récidiviste. En revanche la refonte annoncée ne paraît plus à l’ordre du jour).

  • Un certain nombre d’affaires de délinquance sont « classées sans suite »

Dans une partie des affaires de délinquance, le magistrat (du parquet) décide « en opportunité » de « classer sans suite » c’est-à-dire de ne pas engager de poursuites judiciaires.

La décision de classement peut résulter du fait que le magistrat considère que l’affaire est de peu de gravité ; ou du fait que la recherche de l’auteur de l’infraction élucidée est restée infructueuse ; ou encore du fait que le plaignant s’est désisté (NB : les classements sans suite ne concernent pas les cas dans lesquels l’auteur n’a pas été identifié, ni les cas dans lesquels les charges contre les personnes mises en cause sont insuffisantes : les affaires de ce type sont pénalement « non poursuivables »).

Une loi de 2004 est venue encadrer la pratique des classements sans suite. Elle oblige tout d’abord les magistrats à motiver désormais ces décisions de classement. D’autre part la victime de l’infraction pourra former un recours hiérarchique contre la décision de classement. Cette loi a eu pour effet de réduire le nombre des classements (en 2007, ce sont tout de même 241 000 affaires qui ont été classées sans suite par le parquet).

Dans le même registre, il semble que certains commissariats, dans le souci d’améliorer les statistiques, cherchent à dissuader les dépôts de plaintes. Il semblerait même que certains d’entre eux, de façon irrégulière, ne transmettraient pas certaines plaintes au parquet et les « classeraient » de leur propre initiative.

  • Les procédures alternatives aux poursuites sont de plus en plus utilisées

La loi de 2004 évoquée plus avant a donné la possibilité au parquet de ne pas engager de poursuites pénales mais de mettre en oeuvre, pour les infractions de faible gravité, des procédures alternatives :

-Le rappel à la loi : l’auteur de l’infraction ne sera pas poursuivi mais il devra entendre de la bouche du juge le rappel de la législation en vigueur ;

-La médiation : l’auteur de l’infraction ne sera pas poursuivi mais devra indemniser la victime ;

-la composition pénale : l’auteur de l’infraction, échappant ainsi aux poursuites, devra par exemple effectuer un stage de citoyenneté, un stage de sensibilisation aux dangers des stupéfiants ou encore suivre un traitement psychiatrique ;

– La reconnaissance préalable de culpabilité peut être assimilée aux procédures alternatives : elle constitue en effet une modalité permettant de ne pas organiser de procès. L’auteur de l’infraction qui reconnait sa culpabilité se verra proposer une peine par le magistrat du parquet (si le délinquant donne son accord, la peine devra ensuite être validée par un juge du siège). Dans ce cas les peines encourues sont diminuées de moitié par rapport à celles que prévoit le code pénal.

Les procédures alternatives peuvent s’appliquer aux infractions telles que les violences contre les personnes ou les biens, les menaces, les vols simples, les outrages, les dégradations, les usages de stupéfiants et les ports d’armes. Elles ne peuvent en revanche concerner les infractions les plus graves (punissables de plus de 5 ans d’emprisonnement).

Les procédures alternatives aux poursuites, qui permettent d’alléger l’activité judiciaire en diminuant le nombre de procès, sont de plus en plus utilisées.En 2007, 490 000 affaires ont fait l’objet d’une procédure alternative aux poursuites (auxquelles il faut ajouter les 60 000 affaires de composition pénale). Dans la moitié des cas, la procédure alternative a consisté en un rappel à la loi.

  • Une partie des personnes jugées sont relaxées « au bénéfice du doute »

Dans le cadre des procès pénaux, les tribunaux sont amenés à acquitter ou à relaxer des personnes dont il n’a pas été possible de prouver la culpabilité.

Le souci de la sanction juste conduit en effet les juges, on l’a dit, à redouter tout spécialement la condamnation d’un innocent et l’erreur judiciaire. Les accusés dont la culpabilité n’a pu être prouvée sont ainsi acquittés ou relaxés, le tribunal appliquant la règle selon laquelle le doute doit profiter à l’accusé (alors même que ces personnes, même innocentées des faits qu’on leur reprochait dans le cadre du procès, peuvent être par ailleurs des délinquants récidivistes déjà condamnés antérieurement).

  • Les peines de prison fermes ne constituent qu’un tiers des condamnations

Dans une perspective humaniste, la loi et les tribunaux s’efforcent de ménager une gradation dans les condamnations. Pour les premiers délits un délinquant ne sera condamné qu’à un « rappel à la loi ». Après récidive, il sera condamné à une peine de substitution (travail d’intérêt général, suspension du permis de conduire, jours-amendes…). Il faudra de nouvelles récidives pour qu’il soit condamné à un emprisonnement avec sursis. Sauf s’il commet un crime, un délinquant ne sera finalement condamné à une peine de prison ferme qu’après de multiples récidives (et ce contrairement à ce que prétendent les « humanistes » et les libertaires, qui dénoncent le « tout répressif » et la « surenchère carcérale »).

Les juridictions pénales peuvent infliger aux condamnés les peines suivantes : des peines d’emprisonnement fermes ou partiellement fermes ; des peines d’emprisonnement avec sursis total ; des amendes ; des peines de substitution (telles que les travaux d’intérêt général) ; des sanctions et des mesures éducatives (qui sont réservées aux mineurs) ; des dispenses de peine (S’agissant des peines de prison avec sursis, notons qu’elles sont la plupart du temps prononcées « avec mise à l’épreuve », c’est-à-dire que le condamné devra se plier à un certain nombre d’obligations définies par le juge, comme par exemple, l’obligation d’indemniser la victime ; le sursis sera révoqué si les obligations ne sont pas respectées).

Or le Code pénal indique sans ambiguïté que pour les délits la prison ferme doit rester l’exception. L’article 132-24 du code pénal mérite d’être cité en intégralité : « … En matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale (…), une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate… ».

Signalons qu’indépendamment des dispositions du code pénal, la situation de surpopulation carcérale incite probablement les juridictions à limiter le nombre de peines de prison ferme infligées (le nombre des détenus est depuis plusieurs années toujours supérieur à 60 000, alors que le nombre de places n’est que d’environ 50 000). Les juridictions cherchent également à limiter les décisions d’emprisonnement afin de contenir les coûts importants liés à l’incarcération.

Les chiffres sont les suivants :

–  Le nombre des personnes condamnées pour un crime ou un délit est d’environ 405 000 (chiffre 2008) (NB : le total des condamnations était en réalité, en 2008, de 638 000. Cependant, pour pouvoir rapporter ce chiffre aux 3,5 millions de crimes et délits constatés, il convient de déduire les condamnations correspondant à des délits liés à la circulation routière, ce type de délinquance n’étant pas, comme nous l’avons vu dans une précédente tribune, comptabilisée dans les 3,5 millions).

– Sur ce total de 405 000 condamnations, les juges ont prononcé 320 000 peines d’emprisonnement. (NB : ce chiffre et ceux qui suivent sont approximativement les mêmes chaque année)

-196 000 condamnations à une peine d’emprisonnement étaient assorties d’un sursis total (soit 61 % des peines d’emprisonnement)

– 124 000 environ comportaient une part de prison ferme (soit 39 % des condamnations à une peine d’emprisonnement et 30 % des condamnations).

Autrement dit, les personnes condamnées pour un délit ne se voient infliger une peine de prison ferme ou partiellement ferme que dans moins d’un tiers des jugements de condamnation (NB : en revanche une peine d’emprisonnement est presque toujours prononcée pour les crimes, qui ne représentent que 0,5 % des condamnations).

(Source : Ministère de la justice. Infostat Les condamnations en 2008);

  • La durée des peines de prison ferme prononcées reste modérée

Ne représentant qu’une part minoritaire des condamnations, comme nous venons de le voir, les peines de prison fermes ou partiellement fermes sont en outre généralement de faible durée (sauf dans les cas extrêmes pour lesquels elles peuvent s’accompagner d’une période de sûreté pouvant aller jusqu’à trente ans, période durant laquelle l’individu ne pourra bénéficier d’aucun aménagement de peine).

La durée limitée des peines de prison fermes prononcées résulte des éléments suivants :

L’individualisation des peines

Les juges se prononcent dans le cadre du principe général d’individualisation des peines : leurs décisions doivent prendre en compte la personnalité de l’accusé, son parcours, les garanties de réinsertion qu’il présente ou non, les circonstances atténuantes ou au contraire aggravantes dans lesquelles l’infraction a été commise. La prise en compte par le tribunal de circonstances atténuantes peut ainsi l’amener à minorer fortement les peines, même dans le cas d’un crime ou d’un délit grave.

En raison de ce principe d’individualisation, le tribunal, dès lors qu’il juge un accusé coupable, n’est pas pour autant tenu de délivrer une peine automatique. Le code pénal fixe pour chaque type d’infraction une échelle de peines à l’intérieur de laquelle le juge devra se situer s’il prend la décision d’infliger une peine. Cette échelle cependant fixe le maximum de la peine qui pourra être infligée par le juge pour le type d’infraction dont il s’agit (par exemple le montant maximal de l’amende ou la durée maximale de la peine de prison). En revanche, l’échelle de peines n’oblige pas le juge à infliger une peine, et ce même si l’accusé a bien été reconnu coupable : le juge peut par exemple décider de le dispenser de peine (dans le cas par exemple où l’auteur du délit a réparé le dommage qu’il a causé).

Le législateur a récemment décidé (loi de 2007) de limiter quelque peu la liberté du juge, en prévoyant que des peines minimales (ou « peines planchers ») devront être appliquées aux condamnés récidivistes. La portée de cette mesure de durcissement est cependant limitée : les juges ont en effet la possibilité de décider, en motivant spécialement leurs décisions, de ne pas appliquer les peines planchers.

Relevons que si le principe posé par le code pénal était celui de l’automaticité des peines et non, comme c’est le cas actuellement, celui de l’individualisation, il en résulterait probablement un alourdissement important des peines de prison infligées.

– La définition stricte de la récidive.

La loi prévoit la possibilité de sanctionner plus sévèrement les récidivistes : par exemple elle permet au juge de ne pas procéder à la confusion des peines (voir ci-après) ; par exemple encore elle impose en principe au juge, comme nous venons de le voir, l’application de peines planchers.

Cependant la définition stricte de la récidive légale (voir la précédente tribune) limite la portée de ces dispositions.

-La confusion des peines.

La loi fait bénéficier les personnes qui sont jugées pour plusieurs infractions de nature différente (situation de « concours d’infractions ») de la confusion de leurs peines : si le délinquant encourt au titre de plusieurs infractions plusieurs peines de prison par exemple, la peine qui pourra lui être infligée ne pourra être supérieure à ce qu’elle aurait été s’il n’avait été jugé que pour une infraction seulement (par exemple si le délinquant encourait 5 ans de prison au titre d’un délit et 2 ans au titre d’un autre, il ne pourra être condamné qu’à 5 ans de prison au maximum). (Les récidivistes, eux, ne peuvent bénéficier de la confusion des peines).

Donnons les chiffres. La durée moyenne des peines d’emprisonnement fermes qui sont prononcées pour sanctionner un crime est d’environ 5 ans (5,1 an en 2008). En matière de délits, la durée moyenne de la partie ferme des peines privatives de liberté est d’environ 7 mois (7,2 mois en 2008).

  • La loi prévoit que la plupart des courtes peines d’emprisonnement ferme doivent être « aménagées »

L’article 132-24 du code pénal prévoit que, dans le cas où une peine de prison sans sursis est prononcée,  « … la peine d’emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues (par le code)… ».

Les articles 132-25 et 26, qui concernent les courtes peines, vont dans le même sens et prévoient que lorsque le juge prononce une peine égale ou inférieure à deux ans d’emprisonnement, il peut décider que cette peine sera exécutée en tout ou partie sous l’un des trois régimes d’aménagement.

Les mesures d’aménagement prévues par le code sont :

-la semi liberté (le condamné est incarcéré la nuit mais peut travailler hors de la prison dans la journée) ;

-le placement à l’extérieur (le condamné effectue sa peine dans une structure d’insertion non carcérale) ;

-le placement sous surveillance électronique (le condamné n’est pas incarcéré mais doit porter un « bracelet électronique »).

On le voit : ce que le code pénal dénomme « aménagement » constitue en réalité une transformation de la peine de prison ferme en une autre peine, cette autre peine ne comportant pas nécessairement de dimension carcérale (par exemple le port d’un bracelet électronique).

Lorsque le tribunal a pris la décision d’aménager la peine de prison ferme, le condamné n’est pas incarcéré à l’issue de l’audience. Il revient ensuite au juge de l’application des peines (JAP) de décider dans un délai de 4 mois des modalités d’exécution de cet aménagement.

Le juge de l’application des peines peut également décider d’aménager de sa propre initiative les courtes peines d’emprisonnement.

Nous avons vu plus haut qu’environ 124 000 condamnations à de la prison ferme étaient prononcées par an. Dans le contexte d’opacité statistique qui caractérise le ministère de la justice, nous ne sommes pas parvenus à réunir des données probantes concernant le nombre de ces peines de prison ferme qui sont exécutées sous une forme aménagée. Il semble cependant possible d’affirmer que, conformément au voeu du législateur, la plupart des peines de prison ferme de moins de deux ans font aujourd’hui l’objet d’un aménagement : autrement dit, elles ne donnent pas lieu à une incarcération pure et simple (un récent rapport du sénat indique ainsi que sur les 82 000 peines de moins d’un an de prison ferme qui, début 2009, attendaient d’être exécutées, 75 % d’entre elles allaient probablement faire l’objet d’un aménagement  (examen du budget de la justice 2010-rapport de M. Jean-René Lecerf sénateur, au nom de la commission des lois du sénat).

  • Les condamnés incarcérés bénéficient de divers mécanismes de réduction de leur peine

-La réduction des peines

Chaque condamné bénéficie à son entrée en détention d’un crédit de réduction de peine. Ce crédit pourra être retiré en cas de mauvaise conduite au cours de la détention (l’utilité première de ce dispositif de réduction est en effet d’inciter les détenus à adopter un bon comportement).

Ce crédit est calculé sur la durée de la condamnation prononcée, à hauteur de trois mois pour la première année et deux mois pour les années suivantes. Pour une peine de moins d’un an le crédit est de sept jours par mois.

Par exemple, un condamné à 6 mois d’emprisonnement ferme bénéficiera d’une réduction de peine d’1,5 mois. Un condamné à 5 ans d’emprisonnement ferme bénéficiera d’une réduction de 11 mois (La durée du crédit de réduction de peine est moins élevée pour les personnes condamnées en état de récidive légale).

Une réduction supplémentaire de la peine peut en outre être accordée aux condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale (par exemple en passant un examen scolaire, en suivant une thérapie ou en s’efforçant d’indemniser la victime). Cette réduction supplémentaire peut aller, pour les non récidivistes, jusqu’à 3 mois par année d’incarcération restant à subir, cumulables avec le crédit de réduction ordinaire.

-La libération conditionnelle

Les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement peuvent en outre demander à bénéficier d’une libération anticipée (dite « libération conditionnelle »). Cette libération anticipée peut intervenir à compter du moment où le condamné a effectué la moitié de sa peine (les deux-tiers pour les condamnés en état de récidive légale).

Le juge de l’application des peines peut décider d’accorder cette libération si le condamné manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale : il apprécie la réalité de ces efforts en fonction de la personnalité du détenu, de son comportement en détention et de son projet de sortie (situation familiale, professionnelle et sociale).

La libération anticipée est conditionnelle, c’est-à-dire que le condamné sera de nouveau incarcéré pour purger le reste de la peine s’il ne respecte pas les obligations qui ont pu lui être imposées par le juge ou s’il se rend coupable d’une nouvelle infraction.

Il est à relever que les règles relatives à la libération conditionnelle se combinent avec celles qui concernent les réductions de peine : les durées de peine accomplies et restant à accomplir servant de base de calcul pour la libération conditionnelle tiennent compte de la réduction. Par exemple, un condamné à une peine d’emprisonnement de 6 mois fermes va bénéficier, comme on l’a vu plus haut, (sauf cas de mauvaise conduite) d’une réduction de peine de 1,5 mois au minimum : il pourra donc bénéficier d’une libération conditionnelle à partir de 2 mois et deux semaines (c’est-à-dire la moitié de 4 mois et demi). Un condamné à 5 ans fermes va pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle à partir de 2 ans et deux semaines (c’est-à-dire à la moitié de 4 ans et 1 mois, voir plus haut). Si une réduction supplémentaire a été accordée en plus de la réduction ordinaire, la libération conditionnelle peut intervenir encore plus tôt.

On voit que, par le jeu de ces différents mécanismes, les condamnés peuvent bénéficier, si le juge en décide ainsi, d’une libération anticipée avant d’avoir accompli la moitié de la peine de prison ferme à laquelle ils ont été condamnés.

Il faut noter que le nombre de personnes demandant à bénéficier d’une libération conditionnelle est en baisse ces dernières années (de nombreux condamnés en effet ne souhaitent pas s’engager dans une démarche d’insertion et préfèrent se contenter de bénéficier des mesures de grâce (voir ci-après) qui, elles, sont accordées de façon automatique).

En 2006, 6 436 personnes incarcérées ont bénéficié d’une libération conditionnelle.

-La grâce

Par décret, le président de la république dispense chaque année les condamnés de l’exécution d’un certain quantum de peine (en général 2 mois). (NB : Cette mesure aboutit à ne pas mettre du tout à exécution les peines n’excédant pas cette durée).

Il est à noter que ces mesures de grâce, qui consistent en quelque sorte en une érosion automatique de la peine, s’appliquent à tous les détenus, quel que soit leur comportement en détention.

– L’amnistie

Tous les cinq ans à l’occasion de l’élection présidentielle, le parlement vote une loi d’amnistie qui efface, pour les condamnés entrant dans le champ de la loi, les peines restant à effectuer.

Dans une étude de 2005 portant sur les condamnations à de la prison ferme prononcées en 2001, le ministère de la justice a constaté que, sur l’ensemble des peines à exécuter, 10 594 peines soit 13,3 % ont été concernées par le bénéfice des mesures de grâce (6 308 peines) ou d’amnistie (4 286 peines).

Selon un rapport parlementaire de 2003, grâce à ces différents mécanismes de réduction de peines, les condamnés pour un crime ou pour un délit qui sont incarcérés n’effectuent en moyenne que 69 % environ de leur peine de prison ferme. Les réductions de peine obtenues représentent 27 % de la durée des peines prononcées. Enfin les peines de prison ferme prononcées s’effectuent sous le régime de la libération conditionnelle pour 4 % de leur durée (rapport de M. Jean-Luc Warsmann, député des Ardennes, 2003, p. 42) (NB : notons que ces chiffres ne portent que sur les condamnations qui se traduisent par une incarcération effective. Ils ne tiennent pas compte du fait que certaines « courtes peines » sont « aménagées » et ne donnent pas lieu à incarcération ; voir plus haut).

Insistons sur cette constatation. Comme nous l’avons vu plus haut, la durée moyenne de la condamnation à de la prison ferme en matière de délit est de 7 mois. Les condamnés n’effectuent en moyenne que 69 % de celle-ci, comme nous venons de le voir. La durée moyenne d’emprisonnement effectif pour un délit est donc légèrement inférieure à 5 mois (ce chiffre serait encore inférieur si l’on prenait en compte les peines de prison ferme qui sont aménagées et qui ne se traduisent donc pas par une incarcération).

  • Près de la moitié des condamnations à de la prison ferme ne sont pas exécutées

Pour mesurer l’ampleur du laxisme judiciaire en matière pénale, il faut ajouter un autre élément, non négligeable. Nous avons parlé plus avant des peines de prison ferme qui bénéficient de mécanismes de réduction et de dispositifs d’aménagement. Il s’agit là de peines qui, selon différentes modalités, sont exécutées. Or il apparaît qu’une proportion appréciable des peines de prison fermes prononcées… ne sont pas exécutées.

Il existe différents motifs conduisant à la non exécution ou à une exécution très tardive des condamnations à de la prison ferme :

-Les condamnations qui ont fait l’objet d’un appel du condamné ne sont pas exécutées, l’appel étant suspensif (il faudra attendre le jugement de la cour d’appel pour voir exécuter la condamnation, si celle-ci est confirmée).

-Ne sont pas non plus exécutées les condamnations qui ont été rendues par défaut en l’absence du condamné (ou qui n’ont pu être signifiées aux condamnés dont on ne connaît pas l’adresse) : ces condamnations restent en effet susceptibles d’appel.

Insistons sur ce point. Une partie des personnes convoquées pour être jugées ne se rendent pas à la convocation. Leur absence débouche soit sur un report de l’audience ; soit sur une condamnation par défaut. Dans ce deuxième cas, le jugement ne pourra être exécuté que s’il peut être « signifié » (c’est-à-dire porté à la connaissance) du condamné. Or dans la plupart des cas l’appareil judiciaire, en permanence à bout de souffle, n’aura pas les moyens de rechercher les personnes qui ne sont pas présentées et il faudra compter sur un contrôle d’identité ou un contrôle routier pour se saisir de la personne et pouvoir exécuter le jugement. Autrement dit une partie des jugements rendus par défaut ne seront jamais exécutés. Cette situation est connue des auteurs de délits, dont une partie choisissent tout simplement la stratégie consistant à ne pas se rendre aux convocations des tribunaux. Près d’un tiers des peines sont ainsi prononcées en l’absence du prévenu (examen du budget de la justice 2010-rapport de M. Jean-René Lecerf sénateur, au nom de la commission des lois du sénat).

-Enfin certains jugements ne sont pas exécutés parce que l’autorité judiciaire… n’a pris aucun acte d’exécution (les syndicats des professions judiciaires affirment fréquemment que l’institution judiciaire est confrontée à une insuffisance de ses moyens ; c’est sans doute cette insuffisance qui explique l’inaction de l’autorité judiciaire dans les cas dont il s’agit ici).

Dans une étude (de 2005) portant sur les condamnations à de la prison ferme prononcées en 2001 par les tribunaux correctionnels (qui jugent les délits), le ministère de la justice constate que, 18 mois après le prononcé de la condamnation, près de la moitié (45,5 %) des peines de prison ferme à exécuter ne sont pas exécutées.


Outre les peines à la prison ferme dont il vient d’être question, d’autres types de condamnation débouchent elles-aussi fréquemment sur une non exécution. C’est le cas en particulier des condamnations à une obligation de suivi socio-éducatif, qui ne sont souvent exécutées qu’avec retard ou qui ne sont jamais exécutées, faute d’éducateurs disponibles ou de places dans un centre éducatif

  • La désorganisation de la chaîne pénale accentue encore le climat d’impunité

Un rapport parlementaire (rapport Warsmann déjà mentionné plus avant) avait mis en exergue en 2003 l’existence de nombreux dysfonctionnements conduisant à affaiblir l’effet des peines décidées par les tribunaux :

– Le rapport dénonce tout d’abord l’importance des délais de jugement.

– Il relève également l’ampleur des délais d’inscription des jugements au fichier du casier judiciaire. Cette situation conduit à ce que les tribunaux ignorent dans certains cas le passé judiciaire de la personne qu’ils jugent (ce qui peut conduire par exemple à ne pas appliquer les mesures prévues pour réprimer la récidive).

– Le rapport souligne également que les peines d’amendes sanctionnant un délit ou les peines de travaux d’intérêt général ne sont exécutées qu’avec un long retard par les services chargés de l’exécution (trésor public pour le recouvrement des amendes ; services de probation pour les TIG).

– Le rapport note encore que dans les cas où le condamné s’est vu infliger une peine de prison avec sursis assortie d’une mise à l’épreuve, la prise en charge du délinquant par le service de probation peut être tellement tardive que la période de mise à l’épreuve qui avait été prévue par le jugement est écoulée.

– De même encore, selon le rapport, les condamnés à une « courte » peine de prison ferme que le tribunal a décidé d’aménager (voir plus haut), attendent parfois un an avant que le juge de l’application des peines ne prenne en charge leur dossier.

Ce rapport parlementaire souligne que ces différents dysfonctionnements « ôtent l’essentiel de leur sens aux courtes peines », « … nourrissent la récidive… et développent un sentiment d’impunité ». (Rapport Warsmann p. 20 et 22)

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Pour conclure cette tribune consacrée au laxisme du système pénal, nous soulignerons les trois points suivants :

– Les différentes dispositions que nous venons de passer en revue, qui se cumulent et se combinent, le montrent : l’appareil répressif en France se situe aux antipodes de ce que serait une justice impitoyable se donnant pour objectif de reléguer et d’éliminer les délinquants. En raison de son parti pris humaniste (et également de son impressionnante désorganisation), le système pénal apparaît au contraire dans toutes ses composantes comme profondément laxiste.

En s’en tenant aux affaires pour lesquelles l’auteur de l’infraction a pu être identifié et appréhendé, l’on constate qu’une partie d’entre elles sont classées sans suite. D’autres ne donnent pas lieu à poursuites pénales. D’autres encore aboutissent à la relaxe au bénéfice du doute. D’autres à des peines de substitution ou à des peines de prison avec sursis. Quand une peine de prison ferme est prononcée, elle ne donne pas lieu nécessairement, contre toute attente, à une incarcération, puisqu’elle peut être « aménagée ». Lorsqu’il y a tout de même incarcération, le condamné bénéficie de différents mécanismes qui réduisent la durée de la peine. Enfin l’on constate qu’une partie des peines de prison ferme qui sont prononcées ne sont tout simplement pas exécutées. Quant au délinquant mineur, les risques qu’il court consistent pour l’essentiel à devoir endurer pendant quelques minutes une sévère admonestation verbale ou un solennel rappel à la loi.

Donnons ce dernier chiffre : tandis que chaque année le nombre des crimes et délits enregistrés est de 3,5 millions, le nombre des délinquants qui entament au cours de l’année une peine de prison effective (peine dont la durée, nous l’avons vu plus haut, sera en moyenne de 5 mois), est d’environ 80 000 (Rapport Warsmann p. 40). Autrement dit, en raison du jeu des différents mécanismes laxistes que nous venons de passer en revue, la délinquance ne débouche sur un emprisonnement effectif que dans 2 % des cas.

– L’accumulation ces dernières années de nouvelles lois traitant de la sécurité accompagnées à chaque fois de déclarations gouvernementales martiales peut laisser penser que le système pénal évolue vers un net raidissement. Il n’en est rien. Ces nouvelles lois ont certes introduit certains durcissements, nous l’avons vu, mais ceux-ci restent très limités. Dans le même temps d’autres évolutions législatives récentes vont tout au contraire dans le sens d’une accentuation du laxisme. C’est ainsi par exemple qu’une loi très récente dite loi pénitentiaire, votée le 24/11/09, a pour objectif, dans le contexte de la surpopulation carcérale, de diminuer le nombre des peines d’emprisonnement.

Donnons un exemple significatif des dispositions que contient cette loi nouvelle. Nous avons vu plus haut que les courtes peines de prison ferme peuvent être aménagées et s’effectuer, sur décision du tribunal, sous le régime de la semi liberté ou en prenant la forme d’une surveillance électronique, c’est-à-dire sans incarcération. Avant le vote de la loi du 24/11/09 le code pénal prévoyait que les peines qui pouvaient bénéficier de cet aménagement étaient les peines de prison ferme égales ou inférieures à 1 an : la loi du 24/11/09 vient de décider que pourront désormais bénéficier des ce système d’aménagement les peines pouvant aller jusqu’à 2 ans !

– On ne peut qu’être frappé, en dernier lieu, par l’extrême complexité de ces règles pénales, qui s’enchevêtrent, s’interpénètrent et ne se comprennent que l’une par rapport à l’autre. Qu’elle soit voulue ou non, cette complexité a en tout cas pour effet de rendre le système pénal absolument opaque pour l’observateur non professionnel. Le caractère laxiste du système pénal, dans sa conception même et dans son fonctionnement, est ainsi efficacement dissimulé aux yeux de l’opinion.

NB : Dans la prochaine tribune nous présenterons les deux dernières formes que prend le laxisme des pouvoirs publics : l’absence de suivi des condamnés ; le fait que les coupables sont également considérés comme des victimes. L’ultime article de la série proposera différentes solutions envisageables pour améliorer la situation.

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