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Tribune libre de Paysan Savoyard

La triste période de la seconde guerre mondiale continue de susciter, malgré les années qui passent, un nombre toujours considérable de livres, films, articles et témoignages. Un des principaux thèmes traités est celui du comportement des Français pendant la guerre et la thèse est toujours la même : « Les Français n’ont pas à se féliciter de leur attitude  ; en dehors d’une petite minorité résistante, la plupart sont restés passifs – et plutôt lâches – face à l’occupant et à la politique de collaboration ».

Nous ne sommes pas d’accord avec cette analyse (qui participe au demeurant d’une entreprise plus générale de culpabilisation collective).

Quelle a été l’attitude des Français pendant la guerre ? On peut résumer les choses de la façon suivante : pendant cette période, les résistants ont été peu nombreux ; le nombre des collaborateurs actifs est resté lui aussi limité ; certaines personnes ont cherché à profiter de la situation (en se livrant par exemple au « marché noir » ou à la délation). Ces choix et ces comportements « extrêmes » de résistance, de collaboration ou d’opportunisme n’ont concerné qu’une minorité de Français.

Dans leur grande majorité, les Français ont avant tout essayé de continuer à vivre, dans un pays occupé, en cherchant notamment à prendre soin de leurs enfants et de leur famille, acceptant dès lors de se plier aux injonctions données par le pouvoir. C’est ainsi que la plupart des Français requis ont rejoint le STO. Dans la fonction publique, dans la police, dans les chemins de fer, la plupart ont continué à assurer leurs fonctions et à obéir aux ordres, afin de ne pas encourir de sanctions.

La majorité des Français, donc, ni résistants ni collabos, ne se sont pas comportés en héros. Y a-t-il lieu de les en blâmer ? Ce n’est pas notre sentiment :

De façon générale, il nous paraît abusif et infondé de faire peser une condamnation morale sur des gens qui n’ont pas été héroïques : le statut de héros est par nature réservé à quelques uns ; dès lors que les gens « ordinaires » parviennent à vivre dans la dignité, à éviter de commettre de graves fautes morales, à accomplir leurs principaux devoirs sociaux et familiaux, ils ont réussi leur parcours d’homme et n’ont aucunement à rougir.

Nous trouvons donc injustes les accusations portées contre les Français vichystes moyens, les Français « ordinaires » qui n’ont été ni résistants, ni collabos (et dont nous aurions probablement fait partie) : nous pensons qu’on ne peut pas exiger des individus qu’ils fassent preuve d’un courage héroïque lorsque leur pays est occupé et que leur vie, leur survie et celles de leur famille sont en jeu (notons que l’on trouverait probablement dans la population la même proportion de résistants, de collaborateurs et de gens ordinaires si des évènements comparables se produisaient de nouveau).

Pour autant, cela ne veut pas dire que les « Français moyens » n’ont pas de responsabilité dans ce qui s’est passé. La responsabilité selon nous existe bien : mais elle ne se situe pas où on le dit généralement. Les Français n’ont pas été héroïques : ce n’est pas en cela qu’ils ont été fautifs.

La responsabilité des gens ordinaires – celle de chacun d’entre nous – n’est pas d’être héroïque. Ce n’est pas lorsque la guerre est perdue, que le pays est occupé, que la catastrophe est survenue, ce n’est pas alors que nous devenons responsables : notre responsabilité porte avant tout sur la période qui précède. Elle est d’abord de faire en sorte que la catastrophe, la guerre ou l’invasion ne se produisent pas.

C’est dans les temps ordinaires (« en temps de paix »…) que les responsabilités pèsent réellement sur nous ; c’est alors que chacun a une responsabilité dans la marche des choses, dans son secteur professionnel, dans son entourage social, et en tant que citoyen. Nous avons d’abord le devoir de nous intéresser à l’avenir de notre communauté nationale, ainsi qu’à celui, plus général, de la communauté humaine. Nous devons nous donner les moyens de procéder à une analyse informée et lucide de la situation que nous vivons et des directions collectives qu’il conviendrait de prendre. Nous devons enfin nous efforcer d’agir pour que les choses aillent dans le meilleur sens, que les bonnes décisions collectives soient prises, que les erreurs soient rectifiées. « Chercher la vérité, disait Jaurès, et puis la dire ».

C’est en agissant ainsi que l’on évite les catastrophes, les invasions, les guerres. C’est en contribuant à améliorer les choses pendant qu’il est encore temps que l’on est véritablement utile. Après, quand il est trop tard, même les héros ne peuvent plus grand chose (c’est ainsi que la résistance n’a sans doute joué qu’un rôle mineur dans la défaite du nazisme, ce qui n’enlève rien à la valeur morale des choix faits par ses membres).

Chercher la vérité, la dire, agir pour que les choses s’améliorent, voilà en quoi consiste, dans les temps ordinaires, notre responsabilité. Celle-ci peut être alors exercée pleinement, parce qu’on n’encourt pas de risque vital et qu’on n’en fait pas courir à son entourage. Même alors certes, on prend tout de même certains risques : le risque de se tromper (qui n’est pas le moindre) ; le risque d’être incompris de son entourage ; le risque de voir sa carrière en souffrir voire de perdre son emploi. Ces risques ne sont pas négligeables ; mais ils sont tolérables, et chacun d’entre nous peut et doit les affronter. Si l’on n’affronte pas ces risques dans les temps ordinaires, alors on peut parler d’aveuglement, d’inconscience, d’égoïsme, de démission et même de lâcheté. C’est alors que nous pouvons être blâmés.

Nous ne reprocherons donc pas à la majorité des Français leur attitude pendant la guerre. Nous mettrons plutôt en cause leur comportement dans la période précédente : sans aucun doute alors, les Français et leurs dirigeants n’ont pas fait preuve individuellement et collectivement de la lucidité et du courage qui auraient été nécessaires pour éviter la catastrophe. C’est à ce moment là que les erreurs ont été commises : les historiens nous expliquent par exemple que les conditions de paix trop drastiques imposées à l’Allemagne après la Première guerre ont entretenu chez nos voisins un désir de revanche ; par exemple encore, les démocraties ont certainement fait preuve d’un manque de lucidité et d’une passivité coupable face à « la montée des périls ». C’est à ce moment-là que chacun, chaque dirigeant mais aussi chaque Français ordinaire, devait se montrer lucide et courageux.

Aujourd’hui notre monde et notre société sont confrontés à des enjeux et à des risques de grande ampleur. Il y a les risques écologiques. Les risques liés à l’expansion incontrôlée de la démographie dans plusieurs régions du monde. Les risques liés à l’immigration et aux difficultés d’intégration grandissantes des immigrés. Les risques de fragmentation de notre société, en raison de la libéralisation économique et de la mondialisation, de l’enrichissement indécent d’une minorité, de l’installation d’une autre forte minorité dans l’assistanat. Tous ces risques sont en interaction et peuvent entraîner des catastrophes : l’accroissement des tensions, le délitement de la société, le désordre, la barbarie, la guerre.

Pour conjurer ces menaces, pour rectifier les erreurs, pour améliorer les situations, il faut s’engager, agir, notamment par la voie électorale, prendre des risques.

Nous n’avons pas vocation à devenir des héros : nous sommes en revanche appelés à agir pendant qu’il en est temps.

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