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L’euro est tombé le 4 juin sous les 1,20 dollar, pour la première fois depuis plus de quatre ans. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la croissance européenne.

“Rêve du chevalier”, peinture à l’huile de Raffaello Santi ou Sanzio, dit Raphaël

La monnaie unique européenne continue sa dégringolade face notamment au dollar. Elle est tombée vendredi 4 juin sous les 1,20 dollar pour la première fois depuis quatre ans.

Mais on verse d’un excès dans un autre en pensant qu’après avoir été la raison de nos maux quand il était fort, l’euro faible est la solution à tous nos problèmes. Certes, il peut aider à compenser l’impact récessif de l’austérité. Mais on est loin d’un retour à une économie normale qui créé des emplois.

Du grand doute sur la construction européenne au procès d’une Allemagne égoïste et dominatrice, de la crainte de voir la Grèce faire défaut au risque d’une faillite d’une caisse d’épargne espagnole, de la peur de l’effet de dominos sur les autres États du sud de l’Europe à la litanie des plans de rigueur, les économistes rebondissent de modes en théories éphémères, de lectures partielles de la crise en affirmations sans lendemain.

Ces derniers jours, la dernière mode a consisté ainsi à poser une équation : d’un coté, les risques récessifs des plans de rigueur adoptés par les pays européens; de l’autre coté, le ballon d’oxygène offert par la baisse prononcée de la valeur relative de l’euro par rapport aux autres monnaies. Le tout, pour en déduire que le rapport relativement équilibré entre l’un et l’autre va permettre à la Vieille Europe d’échapper au pire, à une nouvelle récession. Les bienfaits d’un euro plus faible (il a déjà perdu plus de 10% de sa valeur en six mois) vont compenser les inconvénients d’un trop plein d’austérité fatale à une reprise flageolante. Ouf !

Cette vérité une fois révélée, tout serait affaire de curseur. Et là, chacun y va de ses calculs. Un euro qui se stabiliserait face au dollar offrirait un regain de croissance de 0,2 , 0,3 à 0,4 point de PIB (Produit intérieur brut) en plus. Qu’il se maintienne sous les 1,20 dollar pendant un an, ce serait 0,5 point de bonus. Soit presque assez pour compenser, en face, l’impact des plans d’austérité dont le coût est estimé entre 0,6 à 0,7 point de PIB.

Il serait malvenu de reprocher aux gouvernements européens de prendre enfin à bras-le-corps le problème du déséquilibre vertigineux de leurs dettes et de leurs déficits publics. Même si, une fois de plus, il faut regretter que ce n’est que sous la pression de l’extérieur – de leurs créanciers – que le mouvement est engagé. A Madrid, Lisbonne, Dublin, Londres ou Paris, chacun a parfaitement compris que la crédibilité de la signature financière de son pays est un édifice qu’il faut des dizaines d’années à construire et quelques instants – le temps d’un communiqué de dégradation de sa note par une agence de notation – à ruiner. Autant de pas trop jouer avec cela. L’Espagne, en dépit du plan d’austérité de 15 milliards d’euros, vient d’en faire la cruelle expérience avec la dégradation de sa note de AAA à AA+ .

La France elle-même commence à s’inquiéter tout haut. Avant de tenter d’effacer sa maladresse, François Baroin, son ministre du Budget, avait qualifié de «tendu» l’objectif du maintien de la note de la dette française à AAA. Plutôt gênant, puisqu’il s’agit de la condition de réussite du plan de remise en ordre des finances publiques qui prévoit le retour du déficit à 6% en 2011, à 4,6% en 2012, et à 3% en 2013.

Les gouvernements sont aujourd’hui comme les Tartuffe de Molière. «Serrez ma haire avec ma discipline…». Après avoir pendant des années favorisé et profité du l’endettement public et privé, au point de provoquer des bulles du crédit, ils sont devenus, sous la pression des agences de notation, des parangons de vertu budgétaire.

Encore ne faudrait-il pas, là encore, tomber d’un excès dans un autre. Et savoir s’il n’est pas encore plus dangereux, maintenant, que la majorité des pays de la zone euro se lancent comme un seul homme dans ce grand concours de privation. L’affaiblissement continu de l’euro leur offre une certaine garantie puisqu’il devrait permettre d’éviter d’éteindre les feux de la relance sous le coup d’une trop forte cure d’amaigrissement généralisée. Mais là encore, le manque de stratégie budgétaire concertée empêche la zone euro de mettre en oeuvre une répartition raisonnable des efforts et des sacrifices consentis par les uns et les autres pour rendre le remède efficace et non mortel.

La France et, dans une moindre mesure, l’Allemagne, ont tout intérêt à montrer l’exemple de la rigueur. Pour crédibiliser leur propre signature financière, vis-à-vis de leurs créanciers. Et pour faire accepter la rigueur imposée aux Grecs et aux Espagnols. Reste qu’à le faire trop fort et trop vite, les deux locomotives de la zone euro risquent de rendre le pire service à Athènes et Madrid, privés de débouchés pour écouler leurs produits et soutenir leur croissance.

S’ajoute à cela la situation particulière de chaque pays, qui appelle à relativiser l’impact d’une baisse de l’euro. L’économie française, par exemple, ne se remet à créer des emplois qu’à partir d’un taux de croissance d’au moins 2,5%. Pas avant. On en sera loin en 2010 et en 2011. Même si l’OCDE table désormais pour notre pays sur une croissance de 1,7% en 2010 (et 2,1% en 2011), et le gouvernement projette 1,4% cette année, et – magique ! – 2,5% l’an prochain.

La reprise actuelle liée à la fin du déstockage des entreprises et au rebond des exportations (40% sont hors zone euro) ne suffira pas à faire baisser le taux de chômage en France, qui s’est s’est encore alourdi en avril et pourrait atteindre un pic à 9,8% cette année. La baisse sensible de la dépense publique aura aussi un impact sur la consommation, qui dépend en large partie de cet argent redistribué sous forme d’allocations et de subventions. S’ajoute encore à cela, conséquence indirecte de la baisse relative de l’euro, un regain d’inflation importée, sur le prix des carburants par exemple. Enfin, si les entreprises exportatrices retrouvent du tonus et de la compétitivité, il faudrait encore calculer l’impact de ce ballon d’oxygène sur les emplois en France même. Nos constructeurs automobiles fabriquent déjà, dans les pays à bas coût de main d’oeuvre de la zone euro, des voitures pour les vendre ensuite en France. Ne seront-il pas tentés de profiter de la parité plus intéressante de l’euro pour aller les vendre ailleurs, sans que cela permette un mouvement massif de relocalisation des fabrications dans l’hexagone ?

Renault, rappelons-le, ne fabrique déjà plus qu’à peine un quart de ses voitures sur le sol français.

L’impact de l’euro plus faible peut, au mieux, permettre d’éviter une nouvelle récession. Ce qui n’est déjà pas si mal. Il ne saurait être suffisant pour assurer une relance de la croissance, et derrière elle de l’emploi, ce qui reste tout de même le principal objectif. Sur ce point, rien ne pourra remplacer l’adoption de mesures structurelles d’amélioration de la compétitivité, socle d’une retour à une croissance minimum et durable. Il est grand temps de se pencher sur cette question, plutôt que de sauter de l’inquiétude au soulagement au gré des soubresauts de la monnaie unique.

Slate

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