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Détournements d’actifs, fraudes comptables… Ce type de dérive a eu tendance à augmenter ces derniers mois. En cause, la crise et ses conséquences : une pression de plus en plus forte, la crainte de ne pas atteindre les objectifs et la réduction des effectifs, y compris dans le contrôle.

Une entreprise sur deux dans le monde, comptant plus de 1.000 salariés, est touchée par la fraude. Un tiers d’entre elles ont d’ailleurs dû faire face à ce type d’incident, au cours des douze derniers mois. C’est ce qui ressort de la dernière étude de PricewaterhouseCoopers (PwC) sur la fraude en milieu professionnel et les effets de la crise (1). Mais les grandes entreprises ne sont pas les seules victimes : « Quelle que soit leur taille, elles sont toutes concernées par ce phénomène. S’il semble moins prononcé dans les PME [seules 26% des sociétés de 200 salariés à 1.000 salariés y sont sujettes et 15 % pour celles de moins de 200 collaborateurs : NDLR], cela s’explique essentiellement par l’existence ou non de dispositifs permettant de détecter les fraudes, » remarque Jean-Louis Di Giovanni, associé chez PwC.

Autre constat partagé, 43% des entreprises victimes de fraudes ont remarqué que ces actes de malveillance avaient augmenté par rapport au passé. A quoi l’imputent-elles ? Essentiellement à la crise qui, pour 68% d’entre elles, a accru la pression exercée par le management local : les objectifs sont plus difficiles à atteindre, la crainte de ne pas toucher ses primes ou, pire, de perdre son emploi, est plus grande… Or, cela contribue à développer la fraude. D’autant qu’avec les politiques de réduction des effectifs, y compris au sein du contrôle interne, il est devenu plus facile de passer à travers les mailles du filet.

La nature des fraudes a, elle aussi, changé. Si les détournements d’actifs – falsification de notes de frais, fausses facturations, vols de créances clients ou parmi les stocks – demeurent les plus répandus (67% des cas dans le monde, 53% en France), la fraude comptable s’est toutefois nettement développée.

Cette pratique qui consiste à travestir, de manière plus avantageuse, les résultats d’un portefeuille clients, d’un service ou même de l’entreprise tout entière est passée, en deux ans, de 23% à 33% en France. Autre constat, le profil du fraudeur a également évolué. S’il a toujours une certaine ancienneté, connaît très bien les procédures et sait comment les contourner, la nouveauté est qu’il appartient de plus en plus au « middle management » [aux cadres moyens]. En 2009, 42% des fraudes perpétrées l’ont été par des managers, sans doute pour maintenir leur niveau de vie, contre 26% en 2007. « Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que la direction se repose sur cette population pour donner l’exemple mais aussi pour contrôler et identifier les dérives, » poursuit Jean-Louis Di Giovanni.

Limiter les opportunités

Dans ce contexte tendu, rares sont les entreprises, comme AXA France, où le sujet n’est pas tabou. L’assureur a recruté, en 2003, un commissaire de police, Nadia Chelghoum, comme directrice de la sûreté. Parmi ses attributions se trouve la lutte contre la fraude. A son arrivée, une quinzaine de salariés étaient dédiés à cette mission. Aujourd’hui, elle est à la tête d’un département de 70 « correspondants sûreté, » répartis sur l’Hexagone et dont le rôle est de sensibiliser les managers sur les outils permettant de détecter les dérives, les indices qui doivent les alerter… « Nous ne cachons pas l’existence de ce département, bien au contraire. C’est le meilleur moyen de dissuader des collaborateurs qui seraient tentés par des actes de malveillance, » explique-t-elle.

Autre moyen de les dissuader : mettre en place une organisation du travail qui limite les opportunités de fraude. « Pour cela, il faut éviter de laisser entre les mains d’une seule personne des tâches qui, réalisées les unes derrière les autres, peuvent permettre une dérive. Il convient de maîtriser la séparation des tâches pour renforcer le contrôle interne, » observe Jean-Louis Di Giovanni. C’est la voie qu’a suivie Benoît Sim, directeur commercial d’une entreprise de télécommunications, après avoir été confronté à un commercial qui multipliait les faux contrats pour gonfler ses commissions. « Les commerciaux gèrent les transactions mais ce sont désormais les managers qui valident les contrats et un autre département qui actionne la mise en place du service demandé. Par ailleurs, les primes ne sont plus payées à la commande mais dans les trois mois qui suivent, ce qui laisse assez de temps pour repérer les dérapages, » explique Benoît Sim.

A ces procédures s’ajoutent les contrôles informatiques, qui identifient automatiquement dans les bases de données, comme chez AXA, les scénarios suspects : c’est le cas, par exemple, lorsqu’un contrat d’assurance-vie fait l’objet de retraits successifs qui sont ensuite transférés sur plus de trois comptes différents ou lorsqu’il apparaît sur les fichiers qu’un client change très souvent d’adresse, ce qui laisse penser qu’un salarié effectue ces modifications pour que ce dernier ne reçoive pas les avis qui lui montreraient que l’on est intervenu de manière frauduleuse sur ses placements…

Des dispositifs renforcés

Même si les entreprises communiquent peu sur le sujet, un chiffre prouve qu’elles renforcent leurs dispositifs : aujourd’hui, une fraude sur deux est détectée par le contrôle interne (contre 35% en 2007). Les autres étant dénoncées par les clients, lorsqu’ils constatent une anomalie, ou par les fournisseurs qui, par exemple, n’apprécient pas vraiment qu’un commercial leur réclame une « petite compensation » pour continuer à les garder dans son portefeuille. Si cela représente un certain coût, mettre en place une politique de prévention et de contrôle a un réel avantage, selon Nadia Chelghoum : « Cela permet de décourager la plupart des fraudes potentielles et de découvrir plus rapidement celles qui se sont tout de même réalisées. » Et ainsi d’éviter qu’elles se soldent, comme il est arrivé dans le passé, même chez AXA, par une perte de 1 million d’euros ou de 2 millions d’euros.

Le profil-type du contrevenant

Méfiance. De l’avis des plus fins observateurs, il faudrait sans doute se méfier des salariés qui rechignent à prendre leurs vacances et restent tous les soirs tard au bureau. La raison ? Ils risquent fort d’avoir des choses à cacher. Nombre de fraudes ont en effet été découvertes en l’absence d’un salarié du fait d’un changement d’habitudes, d’une question anodine posée, de la découverte de choses bizarres et inexpliquées.

Nouveauté : le fraudeur est de plus en plus issu des rangs du management intermédiaire. Plus précisément, d’après Pricewater-houseCoopers, le contrevenant type en entreprise est à 93% un homme et quasiment une fois sur deux (46%) un salarié de l’entreprise. Dans une moindre mesure, il peut aussi être un client ou un fournisseur (22%) ou encore un tiers (32%). Un fraudeur sur deux possède un niveau d’études scolaires de fin de collège ou de lycée ; 27% sont titulaires du baccalauréat et 23% ont effectué des études supérieures.

Autre caractéristique : il a, en général, un certain niveau d’ancienneté dans la « maison » qu’il connaît bien dans plus d’un cas sur deux (53%) et où il totalise plus de six années d’ancienneté. Dans presque deux tiers des cas, son âge varie de 30 à 50 ans (seulement 4% des fraudeurs ont moins de 30 ans et 8% plus de 50 ans).


Le « whistle-blowing » [dénonciation] ou le 22 à Asnières

Alerte. L’an dernier, dans un édito de « Synergie », le journal d’entreprise, Jean-François Roverato, le PDG d’Eiffage, a présenté son projet d’alerte professionnelle à l’ensemble des salariés du groupe. Après soumission aux instances représentatives du personnel et obtention de l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ce système est désormais en place. Mais il a fallu au préalable en convaincre les syndicats qui craignaient une généralisation du « flicage. »

Car, comme dans beaucoup d’autres entreprises, l’idée est d’inciter les personnes amenées à engager l’entreprise envers des sociétés externes ainsi que celles qui se retrouveraient dans des situations de conflit d’intérêts à faire preuve de la plus grande vigilance et éthique. Pour ce faire, elles doivent appeler un numéro vert qui, comme l’a souligné le PDG lui-même, se termine par 22 et se localise au siège d’Asnières pour faire part d’éventuelles révélations (le fameux « whistle-blowing » ou coup de sifflet anglo-saxon).

Pierre Munz, le conseiller du président (un ancien préfet) institué, pour l’occasion, « compliance officer » [responsable de la conformité] par le conseil d’administration, en rend ensuite compte à Bruno Flichy, un administrateur et ancien membre de la Commission de la concurrence qui en tire alors les conclusions et dispositions nécessaires. Le dispositif de dénonciation – qui n’est pas anonyme – est désormais en vigueur dans la moitié du groupe. « Mais le 22 à Asnières est resté muet à ce jour, » a relevé Jean-François Roverato lors de l’assemblée des actionnaires le 21 avril.

Les Échos

(Merci à Léonidas)

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