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Vivant de la prospérité de ses banques, le pays a subi durement la crise financière. Très endettés, mais prompts à s’adapter, les insulaires cherchent leur salut économique à la campagne, dans les métiers de l’agriculture, de la pêche ou de l’énergie, hier dédaignés.

En guise de protestation contre la crise, la population en colère brûlait, il y a une année, l’effigie de son premier ministre

En guise de protestation contre la crise, la population en colère brûlait, il y a une année, l’effigie de son premier ministre.

Ce n’est pas en arpentant les rues de la capitale Reykjavik que l’on verra des signes de détresse extrême. Les SDF islandais, été comme hiver, ne dorment jamais dehors: il existe des centres d’accueil pour hommes, pour femmes, mais aussi pour couples.

Chez ceux qui sont en train de perdre leur appartement parce que leurs traites, indexées sur des monnaies étrangères, ont doublé tandis que leurs revenus stagnaient, la gêne n’est pas encore visible: les banques ont reçu l’ordre de transformer les propriétaires défaillants en locataires de leur habitation. Les enfants peuvent ainsi rester dans l’école de leur quartier, et cela évite un vent de panique sur l’immobilier qui ferait encore baisser les prix. Et pourtant la crise est bien là, dans les bourses, dans les projets d’avenir qu’on abandonne, dans les têtes.

La dégringolade financière a frappé durement l’Islande, qui se considérait comme un inexpugnable havre de prospérité. A l’automne 2008, les trois plus grandes banques du pays se sont effondrées. La couronne a chuté et le gouvernement a dû demander l’aide du Fonds monétaire international (FMI) et de ses voisins européens. L’économie a reculé de 8% en 2009.

En 2009, l’association InDefence avait réuni 62 000 signatures hostiles au remboursement, soit un quart des électeurs. Deux des animateurs du groupe, Ragnar Olafsson et Eirikur Svavarson, ont fait leurs études en Angleterre. Ils estiment que les Islandais ne pourront jamais honorer une telle dette. «Nous ne sommes pas contre payer une certaine somme, nous reconnaissons une obligation (skylda) morale, mais non une dette (skulda). Nous refusons de laisser un tel fardeau à nos enfants.»

C’est dans ce contexte que Heimir Magnússon, marié, trois enfants, est en train de perdre sa maison car la compagnie islandaise qui l’employait a licencié tout son personnel le 31 décembre 2009 et proposé de le reprendre à un salaire inférieur de 15%. Difficile de refuser.

L’Islande est un pays jeune aux changements rapides. La population y est très réactive. La vie d’un habitant en contient souvent trois ou quatre. Le phénomène est si fréquent que les sociologues ont beaucoup de mal à établir des statistiques. Impossible par exemple de définir le profil des pêcheurs, car les pêcheurs le sont rarement toute leur vie.

A 58 ans, Halldor Arnason, pêcheur depuis quarante ans, cherche ainsi à se diversifier. Il est passionné par la présence des pêcheurs français dans son fjord, le Patreksfjördur, au début du XXe siècle. Il aimerait organiser des sorties éducatives de trois ou quatre heures à bord de son bateau de pêche. Il aurait déjà commencé à l’été 2009 si son embarcation n’était pas tombée en panne. Il y a deux ans, il l’auraite fait réparer en Angleterre ou en Pologne, mais, avec la crise, c’est meilleur marché de le faire sur place. L’Islande, dans ce domaine comme dans d’autres, relocalise.

A entendre Halldor Arnason, la crise ne concerne que la capitale. Il se prépare à pêcher le lump, dont les œufs seront salés en Islande puis envoyés à l’étranger pour être traités et colorés. Cette pêche est sans quota personnel, chaque bateau a le droit de pêcher cinquante-deux jours. C’est une campagne redevenue très profitable, l’espèce ayant déserté les eaux de Terre-Neuve et le marché chinois ayant découvert la saveur de ce poisson très gras qui, il y a peu, était transformé en farine quand il n’était pas balancé par-dessus bord, après avoir été délesté de ses précieux œufs.

Tout est au beau fixe à Patreksfjördur. La dévaluation de la couronne revalorise le prix du poisson dans la monnaie locale, et une mine de corail sous-marin (utilisé pour le traitement des eaux usées) embauche dans les fjords voisins. Un élevage de moules, encore expérimental, mise sur l’interdiction en Europe de la pêche l’été. Les Polonais, nombreux dans le traitement du poisson, s’intègrent à la vie locale, les maisons vides retrouvent des acheteurs, c’est la revanche sur la ville des zones rurales en déclin.

La capitale et ses banlieues s’enfoncent chaque jour dans une morosité fébrile. Dans un paysage économique dévasté où 11% seulement des entreprises peuvent se passer du soutien volontariste des banques nationalisées, chacun s’adapte. On assiste même à des renversements de situation. Les riches ruinés ou en passe de l’être arborent des mines de losers, tandis que les battus du grand jeu social, ceux qui avaient tout perdu avant la crise, se retrouvent faire jeu égal et paraissent tout guillerets en cette période de déprime hivernale.

Il y a ceux qui s’inquiètent du chômage grandissant et ceux qui voient plus loin encore, quand il faudra rembourser par milliards aux Anglais et aux Néerlandais les dettes de la banque en ligne Icesave. L’État islandais avait eu le malheur d’en garantir les dépôts. Deux fois déjà, le gouvernement a signé un accord sur cette banque en faillite avec les pays participant au sauvetage financier. Et deux fois l’accord a été dénoncé, une première fois par le parlement (Althing), la seconde par le président, Ólafur Ragnar Grimsson, qui a proposé de soumettre la question à un référendum dont rien ne dit encore qu’il aura lieu, tant l’embrouillamini est total à Reykjavik. Tous les partis font semblant de le vouloir mais le redoutent.

Malgré des mois de palabres parlementaires et le battage des médias, les Islandais, dans un sondage, avouent ne pas y comprendre grand-chose. Seuls prospèrent nationalistes et populistes, qui trouvent dans un refus de l’Europe l’illusion d’une dignité restituée. Mais que le référendum ait lieu ou non, et quel que soit le choix des électeurs, il faudra bien finir par acquitter cette dette en tout ou partie.

Le chanteur Hördur Torfason, héros de la «révolution des ustensiles de cuisine» (en janvier 2009, les protestataires tapaient en cadence sur des casseroles devant le parlement) a été le coordinateur, le catalyseur qui échauffait la foule à l’aide de slogans simples, avant de laisser la place aux grosses pointures. Hostile à toute «récupération», il n’a rien fait pour tirer profit de sa célébrité. On attendrait de lui un discours anarchisant sur Icesave, mais il n’en est rien: «Nous sommes coupables, dit-il, d’avoir joué avec l’argent des autres, et nous devons rembourser. Quand parviendrons-nous à maturité et comprendrons-nous que tout se paie, qu’on ne peut pas toujours trouver des excuses, des dérogations, au nom d’une exception qui n’existe que dans nos têtes ?»

Le prix du carburant a bondi. Vers Hveragerdi puis Selfoss, des centaines de 4×4 d’occasion invendus et invendables attendent un improbable client. Ceux qui veulent quitter le pays en voiture par ferry doivent avoir soldé le crédit de leur véhicule. Certains préfèrent tout simplement l’abandonner. La galerie marchande du centre commercial de Selfoss, avec ses magasins fermés, fait triste mine.

Stefán Jónsson voue une confiance indéfectible en l’avenir de son pays. Comme les pêcheurs, il est contre une entrée dans l’Union européenne [à l’ordre du jour d’une conférence intergouvernementale ce mardi à Bruxelles] qui marquerait la fin d’un soutien direct à l’agriculture. Mais il sait qu’il est mieux loti que ceux de la ville, en particulier ceux qui travaillent dans le bâtiment. Le carreleur Johann est au chômage, le peintre en bâtiment Hilmar a abandonné son métier, Fridrik, aménageur de jardins, n’a plus de clients.

L’Islande attend. Elle attend que la députée européenne écologiste Eva Joly, venue à son secours, retrouve l’argent caché dans les paradis fiscaux. Elle attend un mieux, un client pour son énergie bon marché, un nouveau prêt du FMI, une éclaircie.

Le Temps

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