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A quoi bon continuer de payer ? C’est la question que se posent de plus en plus d’Américains, exsangues financièrement, au sujet de leur crédit immobilier. Maintenant que la valeur de leur logement est devenue inférieure à ce qu’il leur reste à rembourser, ils seront un nombre croissant à cesser de payer leurs traites. Une réaction tout à fait rationnelle.
D’après l’expert immobilier First American CoreLogic, environ un quart des prêts immobiliers américains porte sur des logements dont la valeur est inférieure aux traites restant à rembourser. Pour la moitié de ce quart, soit 5,3 millions de débiteurs, la valeur du bien est, au plus, égale à 80 % de la dette résiduelle. Pour 2,2 millions d’entre eux, elle est inférieure à 50 % du montant restant dû.

Le titre de “propriétaire immobilier” convient bien peu à ces emprunteurs-là. Il serait plus juste de les appeler “propriétaires de dettes”. Tout ce qu’ils possèdent, c’est l’obligation de rembourser leur crédit. Tout se passe comme s’ils payaient un loyer supérieur au prix du marché pour se loger.

Les Américains étant élevés sur le principe que rembourser un prêt est une obligation d’ordre moral, l’idée de s’y dérober pourrait leur sembler relever d’un comportement indigne. Pourtant, cela n’a rien d’un péché. Dans des États comme la Californie ou l’Arizona, où les créanciers ne peuvent exiger de se faire rembourser sur d’autres biens détenus par le débiteur, on peut même se le permettre sans grand risque.

Dès lors que les propriétaires pris à la gorge se rendront compte qu’ils n’ont aucune chance de récupérer quoi que ce soit, nombre d’entre eux choisiront d’arrêter les frais. En se débarrassant de ces dettes encombrantes, ils retrouveront des marges de manoeuvre financières et réussiront dans la plupart des cas à se loger dans des conditions similaires pour moins cher. La perspective d’un tel soulagement devrait l’emporter sur la crainte de manquer à la morale.
L’intérêt bien compris est contagieux. Une étude menée par trois universitaires – Luigi Guiso, Paola Sapienza et Luigi Zingales – montre que, lorsque des propriétaires d’un même quartier ont décidé de sauter le pas, leurs voisins ont toutes les chances de les suivre.
Les établissements créanciers font donc tout ce qu’ils peuvent pour empêcher l’épidémie du bon sens de progresser. Ils essaient de faire croire que la meilleure solution est de rééchelonner les crédits à des taux plus faibles. Bref, de faire en sorte que rien ne puisse amputer le principal du prêt.
Les scrupules des emprunteurs ont jusqu’à présent contribué à préserver l’équilibre du bilan des banques. Cela ne devrait pas durer, et le jour où le mouvement sera lancé, la crise financière connaîtra un nouveau développement bien douloureux.
Le Monde

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