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Quand elles ne sont pas éclair, il en va des crises comme des guerres : elles frappent d’abord l’avant-garde, ensuite le gros des troupes et jusqu’à l’arrière-garde, avant de toucher l’ensemble de la population. En l’espèce, pour cette première crise économique et financière globale – datée de la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 -, ce sont d’abord les banques d’affaires et leurs cohortes de traders qui sont tombés sous le feu. Puis les grands industriels et leurs sous-traitants, avec la litanie des plans sociaux qui ont fait exploser les compteurs du nombre de chômeurs.

A ce titre, 2009 restera dans les annales comme une « annus horribilis » pour l’emploi, avec déjà, selon l’Insee, quelque 350.000 emplois disparus en neuf mois en France. Autant de consommateurs dont le pouvoir d’achat se voit soudain réduit. Alors, bien sûr, arrive un moment où, après les concessionnaires automobiles, soutenus par une « prime à la casse », les magasins de biens d’équipement, touchés par la crise de l’immobilier, c’est la grande consommation qui, à son tour, est atteinte.

S’ils ont, jusqu’ici, généralement tenu le choc, hypermarchés et supermarchés n’en souffrent pas moins. Comme en témoignent les chiffres d’affaires de Carrefour et de Casino, seuls groupes cotés du secteur, en baisse de l’ordre de 4 % au troisième trimestre par rapport au trimestre correspondant de 2008. Sur neuf mois, les proportions de la baisse sont les mêmes. Loin, certes, de l’effondrement constaté ailleurs.

Mais, dans ce métier où, quoi qu’en disent les démagogues, les marges restent ténues, le modèle n’en est pas moins ébranlé. Les distributeurs n’ont pas tardé d’ailleurs à réagir, en réduisant leurs investissements et en mettant en oeuvre des plans d’économies. Ils ont commencé par avoir recours aux outils classiques du « cost killing », et notamment aux suppressions d’emplois.

De fait, la rentabilité opérationnelle des distributeurs n’a pas tant été affectée par la guerre des prix – encore limitée – que par l’augmentation mécanique de la masse salariale. Dans leurs hypothèses basses, les experts estiment que les effectifs siège vont diminuer de 20 % à 30 %, tandis qu’ils baisseraient de 10 % dans les magasins et les entrepôts.

Quand on sait que le secteur compte plus de 600.000 salariés, on imagine les dégâts potentiels. D’ores et déjà, dans les hypermarchés Carrefour en France, la CFDT estime à 3.000 le nombre de personnes en moins, en un an. Quant à DCF, la société qui gère les petites surfaces, les supermarchés et hypermarchés Casino de l’Hexagone, elle affiche un solde négatif en équivalents temps plein sur douze mois.

Et, si l’on en croit les analystes de la banque américaine JP Morgan, ce n’est qu’un début. Dans une récente étude sur Carrefour, ils estiment à 10.550 – dont 5.900 rien qu’en France -le nombre d’emplois qui pourraient potentiellement être supprimés dans les différents sièges locaux du distributeur dans les pays du « G-4 », à savoir, outre la France, la Belgique, l’Italie et l’Espagne.

Au-delà de ces restructurations, deux autres mouvements de fond devraient ébranler durablement la grande distribution française et, plus largement, les industries de grande consommation. Mouvements sur l’offre et sur les prix. Car le marché est sous pression. La crise, bien sûr, anéantit en partie les efforts tarifaires des enseignes, lesquels ne sont pas compensés par la faible croissance des volumes.

De plus, il faut compter avec le détricotage des lois Galland, par la loi de modernisation économique qui a mis fin aux marges arrière garanties et de la loi Raffarin sur l’urbanisme commercial, ce qui a relancé les ouvertures et agrandissements de magasins.

D’où la nécessité de regagner de la compétitivité dans les points de ventes. Ce qui passe forcément par une rationalisation de la proposition commerciale. Une question particulièrement aiguë pour les hypermarchés.

La même étude de JP Morgan estime que Carrefour pourrait ramener de 15.000 à 12.000 le nombre de références produits dans ses rayons alimentaires, tandis que, dans le non-alimentaire, il pourrait être divisé par deux, de 100.000 à 50.000. Si le mouvement prend du temps, du fait notamment des dispositions protégeant les fournisseurs d’un déréférencement brutal, les dégâts collatéraux dans les PME-PMI risquent d’être dévastateurs.

Quant aux prix, enfin, Cédric Ducrocq, président-fondateur de Dia Mart, société-conseil en stratégie et marketing, voit « la pression continuer de monter pour se rapprocher du point où il y aura une vraie guerre ». Il n’y a donc aucune raison d’être optimiste sur la dureté du combat concurrentiel à venir et l’effet de cassure qu’il aura entre les forts et les faibles.

D’autant que, à cette double crise, conjoncturelle et du modèle, s’en ajoute une troisième, liée à l’inexorable montée en puissance des sites de vente sur Internet. Or, contrairement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, où Wal-Mart et Tesco font la course en tête, en France seul le groupe Casino a su, au bon moment, prendre le train en marche. Pour les autres, là aussi, le plus dur reste à venir.

Les Echos

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