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En temps de crise, les exportations et les importations sont des sujets sensibles. La Chine et les États-Unis viennent d’en donner quelques illustrations et l’Europe, soucieuse de ses propres intérêts, n’est pas en reste.
A l’heure où le protectionnisme reste officiellement condamné par les dirigeants de ces trois ensembles économiques, les politiques chinoise et étasunienne font en réalité peu de cas des discours mondialistes. La mondialisation n’est peut-être pas aussi inéluctable que certains se plaisent à le répéter.

Chine – États-Unis
Le 8 septembre 2009, Washington décide de tripler les droits de douane sur les 2,6 milliards de dollars de tubes pour l’industrie pétrolière annuellement importés de Chine, et Pékin réagit avec indignation. Un porte-parole du ministère chinois du Commerce affirme que la Chine s’oppose fermement à ces actions commerciales protectionnistes. Le Quotidien du Peuple (Chine)
Le mois dernier, la Chine avait appelé les États-Unis à renoncer à une autre mesure protectionniste : la hausse de la taxation sur toutes les importations de pneus pour véhicules de tourisme et véhicules légers en provenance de l’Empire du Milieu, afin, selon Pékin, de préserver le “développement” des relations bilatérales.
Pourtant, le 10 septembre, Barack Obama signe un décret imposant des droits de douane supplémentaires sur ces produits, pour une période de trois ans, pour protéger les entreprises américaines. Ces droits s’élèveront à 35% la première année, 30% la deuxième et 25% la troisième.
Dans un communiqué publié sur internet, le ministère chinois du Commerce s’indigne : “La Chine s’oppose fermement à cette mesure grave de protectionnisme commercial des États-Unis, qui non seulement viole les règles de l’Organisation mondiale du commerce, mais aussi les engagements pris par les États-Unis au sommet financier du G20. Dans le contexte de crise économique mondiale, il s’agit d’un très mauvais exemple, la Chine se réserve le droit de réagir.” La Chine pourrait renvoyer l’affaire devant l’OMC, selon le communiqué. Aujourd’hui la Chine
La version américaine de l’affaire des pneus chinois, telle qu’on peut la trouver dans le Wall Street Journal du 13 septembre, est que la Chine pratique tout simplement le dumping, en violation des règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et que le président Obama, malgré ses engagements réitérés de ne pas recourir au protectionnisme, s’est rangé à l’avis, tant de l’US International Trade Commission (Commission étasunienne du commerce international) que du syndicat United Steelworkers (Métallos Unis), qui réclamaient de telles mesures.
Il est vrai que les chiffres sont impressionnants.
Entre 2004 et 2008, la capacité chinoise de production de pneus a bondi de 152% et devrait augmenter encore de 16% en 2010. A 235,2 millions de pneus, cette capacité de production était, en 2008, plus de trois fois supérieure au volume des expéditions de l’industrie concernée vers son marché intérieur.
Les importations américaines de pneus sont passées, quant à elles, entre 2004 et 2008, de 14,6 millions à 46 millions. Dans le même temps, la part de la Chine sur le marché américain des pneumatiques s’est accrue de 255%, passant de 4,7% à 16,7%.
Entre-temps, quatre usines de pneus américaines ont fermé en 2006 et 2007. Trois autres devraient fermer cette année. Il y avait 5168 travailleurs de moins dans l’industrie du pneu américains en 2008, qu’il n’y en avait en 2004.
Malgré cette érosion de l’industrie de son pays, Vic DeIorio, Vice-Président Exécutif américain de GITI Tire, le plus grand fabricant chinois de pneus, s’est dit “profondément déçu” par la décision des États-Unis.
“En prenant cette mesure sans précédent, l’administration Obama est désormais en contradiction avec ses propres déclarations publiques de s’abstenir d’augmenter les tarifs douaniers au-delà de leurs niveaux actuels”, a déclaré M. DeIorio. “Cette décision va coûter beaucoup plus d’emplois américains qu’elle n’en créera. Elle causera également l’accroissement des coûts et réduira le choix des consommateurs américains”.
Ses exportations souffrant considérablement de la récession mondiale, le gouvernement chinois a maintes fois exprimé son inquiétude face au protectionnisme.
Le 8 septembre, lors d’une allocution devant le Forum Economique Mondial à Dalian, en Chine, le Premier ministre Wen Jiabao a déclaré que la Chine continuera à prendre part au processus de la mondialisation économique et s’associera avec d’autres pays pour lutter contre le protectionnisme du commerce et de l’investissement. Le protectionnisme ralentira la reprise de l’économie mondiale et portera atteinte aux entreprises et aux peuples du monde, a-t-il affirmé.
“L’ombre de la crise financière mondiale persiste, et la communauté internationale ne doit pas hésiter à lutter contre le protectionnisme ni relâcher ses efforts en la matière”, a-t-il indiqué, ajoutant qu’il était nécessaire d’empêcher les activités protectionnistes sous toutes leurs formes.
“En tant qu’important participant de la mondialisation économique, la Chine ne s’engagera jamais dans le protectionnisme du commerce et de l’investissement. Nous respecterons notre parole”, a-t-il promis, rappelant que la Chine avait envoyé plusieurs missions de promotion du commerce et de l’investissement en Europe et aux États-Unis pour acquérir des marchandises et renforcer la coopération en matière d’investissement. Le Quotidien du Peuple (Chine)
Les critiques ont accusé la Chine d’être elle-même l’auteur de mesures protectionnistes, telles que le rejet par le gouvernement, plus tôt cette année, d’une offre d’achat, par Coca Cola, d’un fabricant de boissons.
Quoi qu’il en soit, le 13 septembre, la Chine a réitéré son désaccord dans l’affaire des pneus, et annoncé des représailles.
Le ministère chinois des Affaires étrangères a en effet déclaré, quant aux taxes supplémentaires américaines : “en prenant cette décision, les États-Unis ont failli au respect de leur engagement pris au sommet financier du G20” et malmené les mesures décidées à cette occasion. Ceci représente “une [forme] grave de protectionnisme qui mine les liens économiques et commerciaux sino-américains ainsi que le début de la reprise économique mondiale. Aussi, nous tenons à exprimer notre profond mécontentement et notre ferme opposition à la décision américaine.”
Plus tôt dans la journée, le ministère du Commerce avait annoncé sur internet : “en accord avec les lois nationales et les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le ministère du Commerce a ouvert une enquête antidumping concernant des pièces détachées de voitures et de la volaille importées des États-Unis.”
Selon des experts cités dimanche par Chine nouvelle, l’imposition par Washington de droits de douane sur les importations de pneus chinois pourrait entraîner la destruction de 100.000 emplois en Chine et coûter environ un milliard de dollars à l’industrie chinoise du pneu. Aujourd’hui la Chine
Les États-Unis estiment être dans leur droit, dans la mesure où, lorsque la Chine est entrée dans l’OMC, au début de la décennie, ils ont négocié la possibilité d’imposer provisoirement des mesures correctives. Ces garanties, censées donner à l’industrie américaine le temps de souffler en cas de hausse subite des produits chinois, ne pourront plus bénéficier aux entreprises américaines après 2013.
Quoi qu’il en soit, dès le 14 septembre, la Chine annonce avoir déposé une plainte auprès de l’OMC, confirmant ainsi que le temps des bons procédés et des compromis est révolu ; en tout cas, sur le terrain de la diplomatie traditionnelle.
Cette plainte ouvre la voie à des consultations entre les deux parties qui, si elles échouent au bout de 60 jours, conduiront l’organe de règlement des différends de l’OMC, à constituer un groupe spécial chargé de statuer.
Dans un rapport publié le même jour, l’OMC a reconnu que la crise et, surtout, la menace grandissante du chômage, maintenaient très présente la tentation protectionniste, appelant les pays du G20 à “rester vigilants” face à cette menace qui risque de ralentir la reprise économique. AFP
Ces différends interviennent avant une série de rencontres diplomatiques. Obama doit recevoir son homologue chinois Hu Jintao à Pittsburgh (États-Unis) au sommet du G20 les 24 et 25 septembre, puis il se rendra en Chine en novembre pour sa première visite officielle.
Les États-Unis ont grand besoin de la Chine pour soutenir financièrement le déficit américain, qui devrait atteindre 1560 milliards de dollars cette année. Les décisions douanières américaines, intervenant dans un moment aussi mal choisi, pourraient donc s’avérer extrêmement dangereuses pour les USA, à en juger par la fermeté de la réaction chinoise.
Barack Obama est également susceptible de demander de nouvelles sanctions contre l’Iran pour lutter contre son programme nucléaire, et le vote de la Chine au Conseil de sécurité des Nations Unies est crucial.
Chine – Europe
Quant aux relations entre la Chine et l’Europe, leur ton et leur forme font que la situation paraît un peu différente.
Voire.
Car on y trouvera en effet des parallèles, de nature à mettre en lumière le rôle des acteurs de l’import-export dans la mondialisation économique, ainsi qu’un identique décalage entre les discours mondialiste et anti-protectionniste, et la réalité.
Le 11 septembre, les importateurs européens de la Foreign Trade Association (FTA) ont appelé les pays de l’Union Européenne à s’opposer à toute prolongation de taxes antidumping sur les chaussures en provenance de Chine et du Vietnam.
“Aucune prolongation, sous quelque format que ce soit qui puisse être proposée par la Commission, n’est acceptable pour les détaillants et les importateurs européens”, a déclaré la FTA, qui estime qu’il s’agit de “mesures inutiles” affectant ses membres.
La Commission européenne a décidé, il y a un an, de maintenir des taxes antidumping sur les chaussures chinoises, mises en place en octobre 2006 pour une durée de deux ans, le temps de les réévaluer.
Les taxes ont été, de fait, prolongées pendant la durée du réexamen, qui peut durer jusqu’à 15 mois.
La Commission européenne doit prendre une décision d’ici la fin de l’année. Il semblerait que l’on s’achemine vers un compromis.
Ce sujet, très polémique, avait divisé les États de l’UE l’an dernier et en 2006.
Les pays “libéraux” du Nord (Royaume-Uni, Suède…), soutenus par les importateurs, s’étaient alors opposés aux pays industriels du Sud (Italie, France, Espagne…), favorables à ces taxes antidumping. Aujourd’hui la Chine
En sens inverse, le 10 septembre, la commissaire européenne au Commerce, Catherine Ashton, avait affirmé que les sociétés européennes souhaitaient un traitement équitable en Chine.
“Les entreprises européennes ont le sentiment qu’elles ne seraient plus les bienvenues pour les appels d’offre en Chine”, avait déclaré Mme Ashton lors d’une conférence de presse. Elles “ne s’attendent pas à ce qu’on leur déroule le tapis rouge, mais veulent être certaines que dans le même temps, on ne leur retirera pas le tapis de sous les pieds”, a-t-elle ajouté.
Mme Ashton a assuré avoir reçu des assurances des responsables chinois, lors de sa visite sur place, que les entreprises européennes travaillant en Chine “seraient considérées comme des entreprises chinoises”.
Cependant, elle a précisé ne pas savoir comment le gouvernement ferait en sorte que ce soit le cas.
“Nous avons besoin de clarifier avec précision ce qui est proposé”, a-t-elle dit.
La semaine précédente, dans son rapport annuel, la Chambre européenne de commerce avait dénoncé un ralentissement des réformes dans la troisième économie mondiale, voire une tendance à leur “renversement partiel” sous l’effet de la crise économique.
Elle a également insisté sur les entraves rencontrées par les entreprises étrangères, obligées dans certains domaines comme l’automobile d’être en coentreprise avec un partenaire chinois, ou bloquées sur certains marchés et appels d’offres publics, en rappelant que ces obstacles pouvaient parfois être techniques. Aujourd’hui la Chine
Le 9 septembre, le ministre du Commerce britannique Peter Mandelson avait appelé la Chine à ouvrir encore plus son marché, en autorisant notamment les entreprises étrangères à être cotées sur les places financières chinoises.
Mandelson, qui s’est rendu à plusieurs reprises en Chine lorsqu’il était commissaire européen au Commerce, était à la tête d’une délégation d’hommes affaires en visite pendant cinq jours, selon l’ambassade. Aujourd’hui la Chine
On voit bien que, si le ton diplomatique est plus feutré qu’entre les États-Unis et la République Populaire, les actes sont loin de suivre les mots d’ordres officiels.
Chacun cherche à pousser ses pions, les importateurs comme les exportateurs n’ayant à coeur que leurs intérêts, alors que la voix des États, plus discrète, se fait entendre par le biais de résistances passives fort éloignées des discours mondialistes.
Le fait que la Chine vienne de devancer l’Allemagne au rang de premier exportateur mondial (Source), ne contribuera sans doute pas à détendre ces relations.
Commerce mondial et crise économique
Appelons les choses par leur nom.
Tout cela, c’est une guerre commerciale, qui dérive vers une implication de plus en plus forte des États.
Or, dans un contexte de crise, dont nous pensons qu’il va empirer dans les prochaines années, l’idéal mondialiste du libre échange pourrait bien subir, sur le terrain, de la part des titulaires des pouvoirs régaliens, des coups d’arrêt bien plus importants encore que dans le cadre des escarmouches auxquelles nous assistons déjà, de plus en plus fréquemment.
(Article paru le 15 septembre 2009 sur fortune.fdesouche.com)

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