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Une lettre ouverte d’Aurore, qui préfère rester anonyme mais dont l’identité est connue de la rédaction.

Bonjour,

Je me présente : je m’appelle Aurore, j’ai 36 ans, suis d’origine namuroise, et vis à Bruxelles depuis près de quinze ans.

En 2011, lorsque j’ai débuté mon premier emploi, j’ai découvert Bruxelles avec curiosité, bonheur, et l’envie de plus en plus tenace d’y acheter mon premier bien immeuble et d’y rester une bonne partie de ma vie. Bruxelles était il y a quelques années encore ma ville d’adoption, de cœur.

Aujourd’hui, j’ai honte de ce qu’elle est devenue et suis triste pour elle.

J’ai vécu essentiellement à Uccle, mais également dans les communes d’Ixelles et de Bruxelles. Il y a tout juste six mois, j’ai emménagé à Forest, et le constat est amer.

A mon arrivée en novembre, je me suis rendue à la maison communale, afin d’enregistrer mon changement de domicile. Premier fait suscitant mon incompréhension : sur les six ou sept guichets ouverts dédiés au service de la population, la majorité – cinq guichets – sont réservés exclusivement aux demandes de titre de séjour. Je patiente donc et attends mon tour. J’avais pourtant pris rendez-vous à 8h10 du matin, mais l’on ne me reçoit que quarante minutes plus tard, après de nombreux demandeurs de titre de séjour. J’arriverai donc en retard au travail. Est-ce normal ?

Autre originalité de la commune forestoise : je remplis le formulaire de demande de carte riverain, le retourne avec en annexe la preuve de domiciliation et paye la redevance annuelle. Trois ou quatre mois plus tard, les contraventions tombent : une, deux, trois quatre, cinq contraventions ! Je ne comprends pas et appelle donc la commune. On m’apprend alors que la carte était provisoire, pour trois mois uniquement, et que j’aurais dû spontanément contacter la commune pour qu’elle devienne “définitive” (durant un an). Je suis dans l’incompréhension : j’ai payé la redevance annuelle, ai renvoyé le formulaire avec la preuve de ma domiciliation sur Forest. Qu’aurais-je dû faire de plus ? Au téléphone, on accepte d’annuler certaines contraventions, mais pas les premières. Bilan : près de cent euros d’amende, pour une raison qui m’échappe toujours à l’heure actuelle, propre à l’administration communale. Est-ce normal ?

Voilà pour le coté administratif. Maintenant, penchons-nous sur ma vie quotidienne. Comment définir au mieux ce que je vis ici…

Tout d’abord, j’ai l’impression que les rues et les espaces verts (je vis juste à côté du parc de Forest) se sont transformés en décharge à ciel ouvert. Apparemment, il est de coutume par beau temps de pique-niquer au parc, tout en laissant à la fin de la journée ses détritus sur la pelouse.

Par ailleurs, les appareils de raclette usagés, les matelas, chaises cassées, valises, vêtements et autres objets incongrus qui trainent quotidiennement sur les trottoirs ne m’interpellent plus (sans évoquer les dizaines de cannettes de bière qui jonchent les espaces publics). Je me demande pourquoi je prends encore la peine de ramasser les crottes de mon chien, qui me semblent particulièrement propres en comparaison. Dénivèlement par le bas, je présume… Est-ce normal ?

Ensuite, et surtout, le sentiment d’insécurité. Des individus qui rodent, des odeurs de joints de grand matin, et ce pratiquement chaque jour. De retour de soirée courant du mois de mars, passé minuit, je suis interpellée devant mon domicile par un homme qui m’extorque 50 euros. J’en parle avec mon colocataire : il s’est fait extorquer 20 euros par la même personne quelques semaines plus tôt. Mi-avril, je retrouve ma voiture garée le long du parc de Forest avec la vitre arrière brisée, sans qu’on ne m’ait rien volé (puisqu’il n’y avait rien à l’intérieur, à part le panier de mon chien). La semaine passée, je longe à nouveau le parc et vois de nouveaux bris de vitre de voiture sur le trottoir : un autre citoyen a pâti de l’insécurité du quartier. Ce 25 mai, toujours le long du parc de Forest, un peu plus haut : nouveaux bris de vitre de voiture sur le trottoir, un de plus à être victime de la délinquance forestoise. Mes sentiments sont partagés entre colère, tristesse et résignation. Je ne suis plus certaine qu’avoir une voiture tout en vivant dans ce quartier est prudent. Est-ce normal ?

Début mai, mon compagnon fait le trajet en voiture depuis son domicile à Saint-Trond jusqu’à Forest, pour me ramener des clés. Nous sommes un lundi, il restera garé dans ma rue durant quarante-cinq minutes sur le temps de midi. C’est le temps qu’il a suffi pour que l’on cambriole sa voiture, en pleine journée. Il a décidé de ne plus venir avec son véhicule à Bruxelles. “Tu comprends, Aurore, c’est trop dangereux…“. Oui, je te comprends, car moi-même je ne m’y sens plus en sécurité. Est-ce normal ?

Voilà donc quelques exemples de ce qui m’est arrivé en l’espace de six mois, un bref aperçu de mon quotidien à Bruxelles et de ce que j’y vis depuis que j’ai emménagé à Forest : de l’insécurité, de la résignation et de la honte. Je n’évoquerai même pas ce que je ressens concernant les fusillades qui sont devenues presque “habituelles” sur Forest et ses environs. Comment la capitale a pu évoluer de la sorte au cours de ces dernières années ? Non, je ne suis plus fière d’être bruxelloise. Cette ville, que je portais tant dans mon cœur, j’en ai à présent honte. Est-ce normal ?

Je suis diplômée en droit, ai étudié un an à Maastricht et suis diplômée en notariat. Malgré sept années d’étude, je ne parviens pas à épargner suffisamment pour pouvoir acheter un bien immeuble. Mon ancien désir d’acheter à Bruxelles ne se réalisera pas : je ne suis pas assez riche pour acheter dans les communes que j’affectionnais et où j’ai vécu durant près de quinze ans. Mais peu importe, car je ne m’y sens plus bien.

Je fais partie de cette classe moyenne, ni assez riche, ni assez pauvre, celle qui travaille, paye ses impôts sans un jour de retard, et pourtant ne se sent plus à l’aise dans une société où la délinquance et l’assistanat semblent avoir pris le dessus sur la force et l’envie du travail. Est-ce normal ?

Je ferai donc comme la plupart des jeunes travailleurs de mon âge, qui ne demandent qu’une chose : travailler et avoir en retour un peu de tranquillité. Oui, je ferai comme tous ces jeunes Bruxellois de la classe moyenne qui en ont assez : j’achèterai, un jour je l’espère, en Wallonie ou en Flandre, et fuirai cette capitale qui ne me laissera pas grand-chose d’autre qu’un goût amer.

A qui voudra bien expliquer en quoi le programme électoral de son parti pourra nous redonner confiance et espoir, à moi ainsi qu’aux jeunes travailleurs de la classe moyenne qui partagent ce désarroi…

Aurore.

www.lalibre.be

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