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La Cour administrative d’appel de Nantes considère qu’il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et annule le transfert d’une clandestine vers ce pays (MàJ)

03/10/23

02/10/23

CAA de NANTES – 6ème chambre

  • N° 23NT01470
  • Non publié au bulletin

Lecture du mardi 26 septembre 2023

Président : M. GASPON

Rapporteur : Mme Valérie GELARD

Rapporteur public : Mme BOUGRINE

Avocat(s) : PHILIPPON

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A… C… a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler l’arrêté du 24 janvier 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l’examen de sa demande d’asile.

Par un jugement n° 2303067 du 14 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 mai 2023, Mme C…, représentée par Me Philippon, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 avril 2023 ;

2°) d’annuler l’arrêté du 24 janvier 2023 ;

3°) d’enjoindre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d’asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation, dans le délai de 48 heures à compter de la notification de l’arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, d’une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :

– il n’est pas établi que M. B… disposait d’une délégation du président du tribunal administratif de Nantes ;
– il n’est pas établi que la minute du jugement attaqué aurait été signée par les autorités visées à l’article R. 741-8 du code de justice administrative ;
– le magistrat désigné a omis de répondre au moyen tiré du risque de renvoi par ricochet au Nigéria ;
– la décision contestée méconnaît les stipulations de l’article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;
– le préfet n’a pas procédé à l’examen du risque de renvoi par ricochet dans son pays d’origine ;
– cette décision méconnaît les stipulations des articles 3.2 du règlement du 26 juin 2013 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– cette décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article 17 du règlement du 26 juin 2013 ;
– les autorités italiennes n’ont pas été informées de la naissance de son second enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C… ne sont pas fondés.

Mme C… a été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l’aide juridique ;
– le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Gélard,
– les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
– et les observations de Me Philippon, représentant Mme C….
Considérant ce qui suit :

1. Mme C…, ressortissante nigériane, relève appel du jugement du 14 avril 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 24 janvier 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l’examen de sa demande d’asile.
Sur les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté de transfert aux autorités italiennes :

2. En premier lieu, aux termes de l’article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : ” 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux (…). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (…) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l’examen. / Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. “.

3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et notamment son article 4, et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 3.

4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l’Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l’absence de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile ou les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l’intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu’à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l’intéressé serait susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

5. La requérante, qui soutient que le préfet a refusé à tort de reconnaitre l’existence de défaillances systémiques en Italie, doit être regardée comme invoquant la méconnaissance des dispositions précitées du 2. de l’article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Dans son arrêté contesté du 24 janvier 2023, le préfet de Maine-et-Loire a relevé que les autorités italiennes, saisies le 25 novembre 2022 d’une demande de reprise en charge de Mme C… en application du règlement précité, avaient fait connaître leur accord explicite le 5 décembre 2022, qu’elles devaient être regardées comme étant responsables de l’examen de sa demande d’asile et que l’intéressée n’établissait pas ” de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d’asile en cas de remise aux autorités responsables de l’examen de sa demande d’asile “.

6. Toutefois, indépendamment des considérations liées à la situation sanitaire du pays, la requérante produit une lettre circulaire du 5 décembre 2022, adressée à l’ensemble des services des autres Etats chargés de l’application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l’intérieur italien a indiqué à ces Etats qu’ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l’Italie, à l’exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l’indisponibilité des installations d’accueil. En application des dispositions précitées de l’article 3-2 du règlement n° 604/2013, il appartient à l’autorité préfectorale, lorsqu’elle détermine l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, d’apprécier s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile ou dans les conditions d’accueil des demandeurs. En produisant la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l’Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l’indisponibilité des installations d’accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022, la requérante apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées, alors que le préfet de Maine-et-Loire n’établit ni même n’allègue que l’indisponibilité des installations d’accueil invoquée par l’Italie avait cessé à la date du 24 janvier 2023 à laquelle il a décidé le transfert de Mme C… vers ce pays. Il s’ensuit que doit être accueilli le moyen tiré par la requérante de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2. de l’article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu’il n’y avait pas de sérieuses raisons de croire qu’il existait sur tout le territoire de la république italienne des défaillances systémiques dans la procédure d’asile ou dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête et notamment sur ceux relatifs à la régularité du jugement attaqué, que Mme C… est fondée à soutenir que c’est à tort que, par ce jugement, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d’injonction :
8. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : ” Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. / La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure. “. Aux termes de l’article L. 911-2 du même code : ” Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d’office l’intervention de cette nouvelle décision. “.
9. L’annulation de la décision de transfert vers l’Italie de Mme C… est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2. de l’article 3 du règlement n°604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu’il y avait de sérieuses raisons de croire qu’il existait en Italie, à la date de l’arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d’accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d’annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à Mme C…, ainsi qu’elle le demande, une attestation de demande d’asile en procédure normale, sous réserve d’un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l’article 3 précité du règlement. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction de l’astreinte sollicitée.

Sur les frais liés au litige :
10. Mme C… a été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Aussi, et dans la mesure où l’Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, la somme de mille (1 000) euros, à verser à Me Philippon avocat de la requérante. Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu’il perçoive la part contributive de l’Etat à l’aide juridictionnelle dont bénéficie l’intéressée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2303067 du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Nantes et l’arrêté du 24 janvier 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de Mme C… aux autorités italiennes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d’enregistrer la demande d’asile de Mme C… en procédure normale, sous réserves d’un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l’article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L’Etat versera la somme de mille (1 000) euros à Me Philippon en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A… C… et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l’audience du 15 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
– M. Gaspon, président de chambre,
– M. Coiffet, président-assesseur,
– Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 septembre 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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