Fdesouche

26/07/2023

Sa petite sœur, pour avoir demandé à deux adolescents de bien vouloir faire la queue comme tout le monde au supermarché, avait été rouée de coups jusqu’à perdre connaissance, faire une hémorragie crânienne et rester plusieurs jours dans le coma. Les deux adolescents étaient repartis débonnaires, ricanants et triomphants de ne pas s’être laissé manquer de respect par une femme. Ils avaient par la suite été arrêtés et inculpés pour coups et blessures. La différence entre coups et blessures et homicide n’avait pourtant été fonction que de la compétence des médecins.

Quand le procès se tint, la sœur, encore défigurée, vint raconter ce qui lui était arrivé. Au cours de l’audition, les deux adolescents retrouvèrent leurs ricanements et lui lancèrent en plein tribunal : « T’avais déjà une sale gueule de toute façon. » Chacun ressortit du tribunal comme il y était entré. Sans odorat, sans goût, le visage déformé et incapable de sortir de chez elle pour la petite sœur. Libres, pour les deux adolescents.

Le verdict n’avait pas été moins destructeur que les coups. Quelle différence pour la petite sœur comme pour sa famille que ces deux criminels aient été mineurs ou majeurs, primo-délinquants ou multirécidivistes ? « Je n’ai pas la haine. Je suis la haine. » Ne pas être consumé par la haine après un tel verdict aurait été l’indice d’une profonde et préoccupante tendance à l’autopunition. Dans certains cas, la haine peut être un signe de santé psychique, et l’indulgence celui d’une pathologie lourde. Dans certains cas, les pardonneurs ne pardonnent que dans la lâche illusion qu’ils n’auront ainsi plus à devoir se protéger de leur agresseur. Dans d’autres, ils le font par pur et simple dolorisme.

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Ceux qui prennent les êtres cruels en pitié traitent avec cruauté ceux qui méritent la compassion. Une justice faible envers les barbares est une justice barbare envers les faibles. Une justice seulement inspirée par la pitié envers les coupables est une justice qui porte préjudice aux victimes. La justice ne peut être une justice de la réinsertion des coupables qu’après avoir été une justice de la réparation et de la protection des victimes.

La responsabilité est l’âge adulte de l’homme, envers soi-même comme envers les autres. Qu’une justice soit injuste envers les victimes est une chose grave, mais qu’une société tolère une justice injuste envers les victimes est une chose plus grave encore. Cela nous renseigne sur son cœur indifférent et hébété devant la souffrance des siens. Une société qui intègre le crime au cours ordinaire du monde n’est pas une société charitable, mais une société malade. Car il est des charités qui vont jusqu’à baiser les pieds des bourreaux.

Le Point

22/07/2023

Un psychologue sur les émeutes : « La société doit prendre la mesure de l’éboulement psychique des institutions et de l’Etat, ainsi que se déprendre du masochisme qui est le sien »

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Qu’avez-vous compris de leur psyché à cette occasion ? A quel point est-ce, selon vous représentatif de ce qui traversent ces individus ? 

Les individus que j’ai été amené à rencontrer n’avaient pas accès à la culpabilité. Ils ne regrettaient pas les actes qu’ils avaient commis, mise à part devant les juges, qui dans leur majorité faisaient semblant d’y croire. Pour se sentir coupable, encore faut-il pouvoir se mettre à la place de l’autre, ce qui n’est pas le cas de ceux que j’ai pu croiser. Il y a une seconde chose à laquelle ils n’ont pas accès, c’est à la logique cause/conséquence. Ils comprennent bien intellectuellement que s’ils ont affaire à la justice c’est parce qu’ils ont commis des actes répréhensibles par la loi – par la loi, et non par eux. Mais s’ils le comprennent intellectuellement ils ne le métabolisent pas psychiquement. Ils parlent de leurs peines de prisons comme séparées de leurs actes. Ils n’éprouvent pas de culpabilité, mais seulement l’inconfort de s’être fait attraper.

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Vous soulignez leur hostilité à la police a priori, mais quel regard portent-t-ils sur la justice ? 

Si la police est l’objet de haine, la justice est l’objet de mépris. Pour m’être rendu par curiosité à des audiences pénales, le président de la cour pose fréquemment ces questions : « Êtes-vous stable dans la vie ? Avez-vous des attaches ? Une relation de longue durée ? » Les individus de ces meutes ultra-violentes racontent avec amusement préparer à l’avance les réponses toutes-faîtes qui siéront au juge. Ils ont des lettres en système judiciaire et connaissent son fonctionnement, ses fragilités, ses faiblesses et ses angles morts. Pour le reste, la prison est surtout un insigne d’honneur.

Que faire face à ces individus et ces clans, ultra violents mais fondamentalement faibles ? 

Concernant ces phénomènes, il faudrait, comme aurait dit Charles Péguy dans Notre jeunesse, que la société commence par dire ce qu’elle voit et, plus difficile encore, par voir ce qu’elle voit. Continuer à vivre en République n’est pas une rente. Cela exige de la société qu’elle repense une éthique républicaine, qu’elle prenne la mesure de l’éboulement psychique des institutions et de l’État et qu’elle parvienne à se déprendre du masochisme qui est le sien.

Atlantico

12/07/2023

Un psychologue sur les émeutiers : « Ce n’est pas que les pères sont absents (…) c’est qu’ils n’ont jamais souhaité l’être et quand ils s’impliquent, c’est comme un grand frère caïd initiant les enfants à la criminalité »

La première chose que je puis dire c’est que penser que la pauvreté engendre la violence est une considération de bourgeois. La bourgeoisie se flatte en supposant chez ceux qui ne bénéficient pas des mêmes conditions matérielles qu’elle une détresse qui pousserait légitimement à tous les crimes. La pauvreté aggrave bien des situations, à n’en pas douter, mais elle n’en est pas à l’origine, jamais.

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La seconde chose est que les enfants que j’ai pu voir n’étaient pas nécessairement tous battus mais que tous étaient des enfants qui avaient vu leur mère prendre des coups. La violence envers les femmes est pour ainsi dire consubstantielle à la mentalité de ces meutes ultra-violentes. C’est même une condition d’appartenance et de reconnaissance entre pairs.

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Les pères ensuite, venons-y donc. Ils ne sont pas si absents qu’on veut bien le dire. Les enjeux sont autres. Les pères n’ont souvent pas souhaité l’être. Ils voulaient des relations sexuelles et refusaient de mettre des préservatifs parce que leur plaisir doit toujours l’emporter sur toute autre conséquence. Il leur arrive certes d’être absents, mais il leur arrive plus souvent encore de faire de leurs enfants les complices de leurs activités illégales. Un certain nombre ne s’identifie pas psychiquement comme des pères pour leur fils mais perversement comme les grands frères caïds de leurs petits frères apprentis caïds. Je me souviens d’un autre petit garçon dont le père avait volé devant lui à d’autres enfants leurs jouets pour les lui offrir. Le petit garçon lui avait répondu interdit : « Mais c’est à mon copain ? » En l’insultant, le père lui avait répondu que ce n’était plus à son copain puisqu’il venait de le lui prendre et avait cassé le jouet devant son fils pour ne pas avoir pris immédiatement part à son association de malfaiteurs.

Le petit garçon avait bien reçu le message : à l’avenir, il aurait le choix entre être le complice ou la victime de son père. Les pères ne désirent pas que leurs fils s’en sortent et dévient du chemin de la brutalité et du gangstérisme qui est le leur. À l’inverse, toute émancipation de leur progéniture serait vécue comme un désaveu personnel et une offense faite au groupe auquel ils appartiennent. Ce n’est pas que « l’ascenseur républicain » soit « en panne » mais que l’école, méprisée et haïe, n’est pas un lieu par lequel leurs enfants pourraient s’émanciper, mais l’enclave insupportable d’un clan rival sur leur territoire : le clan de l’État. L’organisation familiale de ceux dont l’impulsivité n’a aucune barrière est montée psychiquement sur le modèle du clan et non sur celui de la famille nucléaire (papa, maman et les bambins). Ne pas prendre la mesure de la différence entre ces univers mentaux serait jeter la discipline anthropologique et le legs de Maurice Godelier aux ordures.

Ces meutes ne sont pas composées de communautés rassemblant des individus mais de clans dont les membres forment un même corps, un même organisme. Le clan est travaillé par des fantasmes de fusion. Dès lors, comme l’a lumineusement décrit le psychiatre Maurice Berger, ceux qui en font partie ne sont pas libres de s’éloigner physiquement, géographiquement ou intellectuellement. Toute séparation serait vécue pour le membre comme pour le clan lui-même comme une amputation intolérable et une trahison insupportable.

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Marianne

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