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Rémi Carayol est journaliste, spécialiste de l’Afrique et du Sahel en particulier, coanimateur du site Afrique XXI. Il est l’auteur du Mirage sahélien. La France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane et après ? (La Découverte, 380 pages, 22 euros, à paraître).

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L’une des raisons de l’échec de la France au Sahel n’est-elle pas que l’analyse par l’armée des dynamiques locales reposait sur une perception datée ?
Les officiers français sont arrivés au Sahel avec un regard biaisé, hérité de la guerre coloniale. C’est une zone qu’ils disaient connaître parce qu’ils l’avaient conquise il y a un peu plus d’un siècle. Au-delà de l’aspect moral, qui est problématique, cela explique en partie les erreurs commises. Comme celle, par exemple, de croire que, pour soumettre certaines communautés, il faut s’allier à d’autres qui sont prêtes à les combattre. Cette idée issue de la conquête coloniale a été recyclée durant l’opération « Barkhane » lors de l’alliance nouée avec deux groupes armés, le Mouvement pour le salut de l’Azawad et le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés, constitués sur des bases communautaires. Tous deux opèrent dans la zone des trois frontières, entre Burkina Faso, Niger et Mali, où les Touareg sont en conflit avec les Peuls, notamment.
La France a cru bien faire en s’alliant avec ces deux milices parce qu’elles combattent les djihadistes. Sauf qu’elle n’a pas vu qu’elles avaient leurs propres agendas. Les officiers réfléchissaient avec un logiciel issu de la ­colonisation. Cela a été une grave erreur, et, quand les exactions de ces milices ont été rendues publiques, l’exécutif a immédiatement demandé à l’armée de mettre fin à cette collaboration.

Une guerre globale contre le djihadisme, qui ne prend pas en compte la dimension locale de l’insurrection, est aussi, selon vous, une erreur…
La mission de « Barkhane » était vouée à l’échec. Son objectif était double : empêcher que les groupes djihadistes ne regagnent du terrain, et appuyer les armées des pays ­concernés pour que celles-ci prennent le relais. Or, beaucoup de temps sera encore ­nécessaire pour que les armées sahéliennes se reconstruisent. Quant aux groupes djihadistes, l’analyse de l’armée française n’a pas évolué avec leur transformation. En 2013, ceux-ci disposaient d’un petit nombre de combattants, pour la plupart étrangers. Leurs chefs, comme leurs figures principales, étaient presque tous algériens. Mais au fil des ans, ils se sont reconstitués en recrutant sur place, et en proposant un mode de gouvernance alternatif. La France s’est alors retrouvée mêlée à une guerre qui ne visait plus des « groupes terroristes », mais des insurrections locales, parfois microlocales. Dans le cas du Mali, on peut même parler de guerre civile. Dans ce contexte, Paris, à mon sens, n’avait plus à intervenir.

Pourquoi, malgré des critiques émanant aussi des rangs de l’armée, la stratégie militaire a-t-elle continué à prévaloir sur tout autre type d’action ?
Il s’agit, selon moi, d’un aveuglement. Pour Paris, les ennemis sont des terroristes avec lesquels on ne peut pas discuter. On ne peut que les éliminer. La réalité est plus complexe. Les djihadistes portent un projet politique, que l’on peut juger néfaste mais qui pourrait être combattu politiquement. C’est une opinion répandue depuis quelques années au Mali, au Burkina Faso et au Niger. En [avril] 2017, la Conférence d’entente nationale au Mali a demandé l’ouverture de négociations avec les chefs djihadistes maliens, mais la France s’y est aussitôt opposée. J’explique cet aveuglement par le fait que, ces dernières années, le courant de ce qu’on peut appeler les néoconservateurs a pris les rênes au sein des ministères français des armées et des affaires étrangères, avec une vision du monde proche de celle de l’administration Bush [2001-2009] aux Etats-Unis. Ils estiment que ces groupes djihadistes se battent dans le seul but de détruire la civilisation occidentale. L’agenda des groupes sahéliens liés à Al-Qaida ou à [l’organisation] Etat islamique a certes une dimension globale, mais les ressorts sur lesquels ils s’appuient, et les enjeux, sont locaux ou nationaux. Aucune solution ne peut être trouvée sans négociations entre gens de ces pays, mais la France n’a pas voulu le voir.

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Le Monde

« Scandale démocratique », « approche coloniale », « fuite en avant », « bavures »… Dans son ouvrage « Le Mirage sahélien », le journaliste Rémi Carayol décrypte, sans complaisance, neuf années d’opérations militaires françaises au Sahel.

Si la résurgence de ce que l’on nomme « le sentiment anti-français » au Sahel, et la détérioration des relations entre Bamako et Paris n’y sont pas totalement étrangères, la dégradation de l’image de la France, à travers ses interventions, s’explique également par les erreurs stratégiques et les perceptions faussées de ses responsables. C’est en tout cas la thèse que défend le journaliste Rémi Carayol, animateur du site Afrique XXI, collaborateur de Mediapart et ancien de Jeune Afrique, dans son ouvrage Le Mirage Sahélien – La France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane, et après ? 

Dans son ouvrage, Rémi Carayol s’applique à démonter le « mythe » des colonnes de jihadistes fondant vers Bamako, motif invoqué par les autorités françaises pour justifier l’intervention, faite à la demande des Maliens. Il dénonce également la place de l’idéologie d’Hubert Lyautey, ministre de la Guerre à l’époque coloniale, dont l’héritage demeure, selon lui, encore très présent chez certains gradés français.

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Au-delà du bilan, Rémi Carayol s’interroge aussi sur l’incapacité de la France à s’être retirée de la poudrière malienne avant d’y être contrainte. « Il y avait probablement deux bretelles de sortie, répondait le général Didier Castres dans un documentaire diffusé sur la chaîne Arte. La première, c’est quand on avait libéré tous les centres de populations maliens [en mars 2013]. On ne l’a pas fait. Ensuite, après les élections de 2013 [présidentielle en juillet-août, puis législatives en novembre]. On ne l’a pas fait non plus pour une raison principale, c’est qu’il n’y avait pas d’État, il n’y avait pas d’armée, il n’y avait rien. On s’est dit : “On va attendre un peu, attendre un peu, attendre un peu…”  »

Jeune Afrique

Quatrième de couverture : 

L’intervention militaire engagée par la France au Sahel tourne au fiasco. Lancée en janvier 2013, l’opération Serval ressemblait au départ à une success story. Les quelques centaines de djihadistes qui avaient pris le contrôle des principales villes du Nord-Mali furent mis en déroute. Des foules en liesse, brandissant ensemble les drapeaux français et malien, firent un triomphe à François Hollande lorsqu’il se rendit à Bamako.
Tout cela n’était pourtant qu’un mirage. En quelques mois, l’opération Barkhane, qui prend le relais de Serval en juillet 2014, s’enlise. Les djihadistes regagnent du terrain au Mali et essaiment dans tout le Sahel : des groupes locaux, liés à Al-Qaïda ou à l’État islamique, se constituent et recrutent largement, profitant des injustices et de la misère pour se poser comme une alternative aux États déliquescents. Au fil des ans, la région s’enfonce dans un chaos sécuritaire et politique : les civils meurent par milliers et les coups d’État militaires se multiplient. Impuissante, la France est de plus en plus critiquée dans son « pré carré ».
L’armée française, imprégnée d’idéologie coloniale et engluée dans les schémas obsolètes de la « guerre contre le terrorisme », se montre incapable d’analyser correctement la situation. Prise en étau entre des décideurs français qui ne veulent pas perdre la face et des dirigeants africains qui fuient leurs responsabilités, elle multiplie les erreurs et les exactions. Des civils sont tués. Des informateurs sont abandonnés à la vengeance des djihadistes. Des manifestations « antifrançaises » sont violemment réprimées.
Sous couvert de la lutte contre la « barbarie », la France a renié les principes qu’elle prétend défendre sur la scène internationale. Le redéploiement du dispositif militaire français au Sahel, annoncé par Emmanuel Macron, n’y change rien : la France poursuit en Afrique de l’Ouest une guerre qui ne dit pas son nom, et sur laquelle les Français n’ont jamais eu leur mot à dire.

La Découverte

Merci à Tara King. 

En Lien : 

La France retire ses derniers soldats, Bamako ne pourra plus compter sur l’appui de la force Barkhane face à Al-Qaïda et Daesh (MàJ : Le Mali saisit l’ONU et accuse la France de fournir renseignements et armes aux terroristes)

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