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La nouvelle bourgeoisie française n’est plus homogène. En s’agrandissant, cette classe sociale s’est diversifiée quant à ses origines sociales, religieuses, nationales et culturelles. Si la bourgeoisie traditionnelle, dans ses deux composantes évoquées plus haut, existe et constitue de solides sous-groupes sociaux – pour schématiser, la bourgeoisie catholique versaillaise et des métropoles, versus la bourgeoisie intellectuelle libérale parisienne -, de nouveaux sous-groupes ont émergé et se sont renforcés. Le capitalisme français, fécond et imaginatif pour explorer et développer de nouveaux métiers et secteurs économiques (les fameux entrepreneurs d’Olivier Babeau), a promu la bourgeoisie du loisir et de la sphère culturelle ; celle de l’industrie financière ; celle des milieux de la publicité et de la communication ; l’énorme secteur de la santé, qui a considérablement multiplié ses praticiens et de riches entrepreneurs afférents ; et plus récemment le groupe issu de la « culture Sciences Po », cette sphère internationalisée de communicants et de directeurs de projets à l’international, qui a créé une bulle hors sol, passée sans transition au globish, qui impose ses standards, ses critères et ses modes de communication à des secteurs en forte croissance (ONG, aide internationale, communication d’entreprises, accueil des migrants, organisations internationales, secteur culturel mondialisé, etc.). La France des bac + 5 se déploie dans ces domaines où se reconvertissent son inventivité et son internationalisme missionnaire.

Disons-le tout net, cette nouvelle bourgeoisie ne se sent investie d’aucune responsabilité nationale à l’égard des classes populaires et moyennes françaises. (…) Il en résulte une dévitalisation progressive des fonctions qui tenaient la société : la fonction publique peine à recruter ; la santé publique est en crise, tributaire d’un flux croissant de médecins issus du tiers-monde ou d’Europe orientale, tandis que la jeunesse médicale, désormais souvent issue de milieux privilégiés, refuse de s’installer auprès des malades des régions pauvres ; il en est de même de l’Éducation nationale, qui a renoncé au dur métier d’inculquer les fondements de la langue et des mathématiques ; ou de tous ces services publics transformés en agences concurrentes qui suppriment à tour de bras les métiers de contact au profit d’ordinateurs mutiques et de téléconseillers non localisables. D’autres éléments d’ambiance existent : la rapacité du système bancaire, dur envers les pauvres et les faibles, sur lesquels il opère néanmoins une plus-value conséquente ; ou l’abandon du secteur productif français, bien documenté. Nul ne s’inquiète apparemment des pénuries de médicaments, y compris les plus simples, voire les plus essentiels, depuis trois ans maintenant.

Pour le peuple – 25 à 40 millions de Français selon les critères – qui se sent abandonné, la question n’est donc pas de regimber par principe contre la frange de la bourgeoisie qui a fait sécession, mais de se demander quel destin lui réserve l’avenir. La chute rapide de la natalité, qui n’intéresse personne – où est le Michel Debré de notre temps ? -, est un symptôme du sentiment d’abandon des classes populaires, tout comme le discrédit de la classe politique ou le retrait de millions de citoyens du système électoral. Observant l’individualisme jouisseur de certains néobourgeois tel qu’il se déploie dans les médias et sur les réseaux sociaux, les classes populaires s’interrogent : dérives individuelles, isolées et sans signification particulière comme il y en eut toujours ou fait de société, à savoir la fascination pour l’argent et les addictions d’une frange ostentatoire des nouvelles élites internationales ? Il ne leur a pas échappé que Paris est devenue un des hauts lieux de consommation de la cocaïne voire de la prostitution de luxe internationale. Plusieurs scandales touchant de hautes personnalités dans des institutions estimées ont défrayé la chronique, comme la condamnation de l’ancien directeur de l’Institut Montaigne, Laurent Bigorgne, reconnu coupable par la justice d’avoir drogué une collaboratrice en vue de commettre « un viol ou une agression sexuelle » ( Le Figaro du 8 décembre 2022) . L’audience a jeté une lumière crue sur les addictions du prévenu. Par ailleurs, si les deux affaires sont naturellement très différentes, tout un chacun peut questionner l’étrange paradoxe qui consiste à enseigner doctement l’État de droit à la ville, tout en fréquentant des soirées cocaïnées qui impliquent des contacts avec des réseaux de délinquants (on se reportera à la biographie de Raphaëlle Bacqué, Richie , Grasset, 2015, consacrée à la vie de Richard Descoings, directeur de Sciences Po de 1996 à sa mort, en 2012).

Comment les classes populaires peuvent-elles en outre comprendre l’indifférence des élites envers des entreprises criminelles qui détruisent des millions de jeunes, comme le déplorent tant de praticiens (qu’il s’agisse du libre accès à une pornographie de plus en plus sauvage, ou de l’accès très simple sur notre sol à tous les psychotropes) ? Enfin, les thématiques du wokisme et les obsessions sexuelles qu’il charrie ne rassurent pas. Les gens du peuple savent que ce n’est pas leur monde. De sorte que la question de ce temps n’est pas de rejeter par principe les classes dirigeantes, auxquelles tant de Français auraient aimé s’agréger. Elle interroge en revanche les sentiments et les oeillères d’une fraction non négligeable de la bourgeoisie de ce temps qui a rejeté toute notion de patriotisme et de solidarité avec le peuple d’où elle est issue, quand ce même peuple, désormais sans utilité sociale évidente, souffre et s’inquiète. Cette question renvoie moins à des remugles ataviques ou haineux qu’elle ne repose le noble rôle du politique dans notre démocratie fatiguée.

Le Figaro

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