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Un Algérien en situation irrégulière est interpellé à la frontière franco-espagnole le 3 janvier 2021. Il fait immédiatement l’objet d’une OQTF puis d’un arrêté d’expulsion, qu’il conteste devant le Tribunal administratif de Paris :

Or, selon les services de renseignements, il aurait prêté allégeance à Daech en 2014 et serait en lien étroit avec les djihadistes de Jund al-khilafah (JAK-A). C’est ce groupe terroriste algérien qui avait revendiqué en 2014 la décapitation du niçois Hervé Gourdel :

Exécution d’Hervé Gourdel: que sait-on sur le groupe Jund Al-Khilafah?, Nice-Matin, 24/09/2014

Parmi ses moyens de défense, il ose invoquer les risques pour sa sécurité en Algérie à cause de la réputation qui lui aurait été faite par les autorités françaises de “musulman radicalisé faisant l’apologie du terrorisme” :

Sa requête a toutefois été rejetée par le Tribunal administratif de Paris mais seulement … le 24 octobre 2022, soit près de 2 ans après son OQTF.

Or, il peut encore faire appel puis un recours devant le Conseil d’Etat. Soit encore de nombreuses années de procédure…

Ce jugement soulève plusieurs questions :

▶️ Qu’est devenu cet affilié à Daech depuis la fin de sa rétention administrative le 04/03/21 ?

Son dernier laissez-passer consulaire est du 22/04/22. Il est donc resté en France a minima plus d’un an.

A-t-il été expulsé depuis ?

▶️Pourquoi a-t-il fallu presque 2 ans pour que le Tribunal confirme enfin l’expulsion d’un étranger en situation irrégulière proche des djihadistes qui ont décapité un français ?

▶️Pourquoi 18 mois ont été nécessaires au ministre de l’Intérieur pour enfin répondre aux arguments pour contester son arrêté ?

▶️Enfin, comment cet Algérien en situation irrégulière, affilié à Daech a pu débarquer en Espagne et traverser ce pays sans se faire arrêter ?

Jugement du Tribunal administratif de Paris du 24 octobre 2022 n°2103991

Tribunal Administratif de Paris

N° 2103991

4e Section
lecture du 24 octobre 2022

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 26 février 2021, M. A D demande au tribunal :

1°) d’ordonner la communication de son entier dossier administratif ;

2°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

3°) d’annuler l’arrêté du 17 février 2021 par lequel le ministre de l’intérieur a ordonné son expulsion du territoire français avec possibilité d’exécution d’office, ensemble l’arrêté du même jour fixant l’Algérie comme pays de destination ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

– les arrêtés contestés sont entachés de l’incompétence de leur signataire ;

– ils sont insuffisamment motivés ;

– ils sont entachés d’un défaut d’examen sérieux de sa situation personnelle ;

– ils sont entachés d’un vice de procédure ;

– l’arrêté d’expulsion est entaché d’une erreur manifeste dans l’appréciation de son comportement, qui ne représente pas une menace pour l’ordre public ;

– il est entaché d’une erreur de droit, le ministre ayant fondé à tort sa décision sur les dispositions de l’article L. 521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– les arrêtés attaqués méconnaissent les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2022, le ministre de l’intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu’aucun des moyens invoqués n’est fondé.

Par une ordonnance du 24 août 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 9 septembre 2022.

Par décision du 11 mai 2021, la demande d’aide juridictionnelle de M. D a été déclarée caduque.

Vu :

– les autres pièces du dossier.

Vu :

– la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– le code des relations entre le publique et l’administration ;

– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. B,

– et les conclusions de […] , rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A D est, selon ses déclarations, un ressortissant libyen né le 21 juin 2002 et entré irrégulièrement en France le 2 janvier 2021. Le 3 janvier 2021, il a été interpelé à la frontière franco-espagnole par les autorités françaises puis placé en centre de rétention administrative. Il a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ce même jour. Au cours de sa période de rétention, prolongée jusqu’au 4 mars 2021 par le juge des libertés et de la détention, il est apparu aux de services de police que M. D s’était présenté sous une fausse identité et qu’il se dénommait en réalité M. E C, ressortissant algérien né le 23 juin 2001. Par un arrêté du 17 février 2021, le ministre de l’intérieur a pris un arrêté d’expulsion à l’encontre de M. E C, alias A D, et a fixé l’Algérie comme pays de destination. Le requérant demande l’annulation de ces décisions.

Sur les conclusions à fin de communication de l’entier dossier administratif :

3. L’affaire est en état d’être jugée, le principe du contradictoire a été respecté et il n’apparaît pas nécessaire, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la communication de l’entier dossier détenu par l’administration. Dans ces conditions, ces conclusions doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur des actes :

4. Aux termes de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration : ” Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. / Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d’actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l’anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l’original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l’administration. “. Aux termes de l’article L. 773-9 du code de justice administrative : ” Les exigences de la contradiction mentionnées à l’article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration. /Lorsque dans le cadre d’un recours contre l’une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L. 212-1 ou de l’incompétence de l’auteur de l’acte est invoqué par le requérant ou si le juge entend relever d’office ce dernier moyen, l’original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l’administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l’identité du signataire dans sa décision. “.

5. Il ressort des pièces produites en défense et non soumises au contradictoire en application de l’article L. 773-9 que le signataire des arrêtés attaqués, dont le prénom, nom et signature figurent sur ces actes, est un agent du ministère de l’intérieur et bénéficie d’une délégation de signature de son ministre à l’effet de signer, notamment, de tels actes. Par suite, les moyens tirés du défaut de signature et de l’incompétence du signataire de l’arrêté attaqué manquent en fait et doivent être écartés.

En ce qui concerne les moyens tirés de l’insuffisance de motivation et du défaut d’examen :

6. Les arrêtés mentionnent les considérations de droit et de fait sur lesquelles ils se fondent et sont, ainsi, suffisamment motivés.

7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n’aurait pas examiné la situation personnelle du requérant.

En ce qui concerne le moyen tiré du vice de procédure :

8. Si le requérant soutient que les décisions contestées sont entachés d’un vice de procédure résultant de la méconnaissance des dispositions des articles L. 522-1 et suivants, R. 22-1 et suivants, il n’assortit son moyen d’aucun élément permettant d’en apprécier le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l’erreur de droit :

9. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa version applicable au litige : ” Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l’expulsion peut être prononcée si la présence en France d’un étranger constitue une menace grave pour l’ordre public “. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code : ” Ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l’article L. 521-3 n’y fassent pas obstacle : 1° L’étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; 2° L’étranger marié depuis au moins deux ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; 3° L’étranger qui justifie par tous moyens qu’il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant ; 4° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention ” étudiant ” ; 5° L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % “. Aux termes de son article L. 521-3 : ” Ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : 1° L’étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ; 2° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; 3° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé ; 4° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; 5° L’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi “.

10. Le requérant fait valoir que le ministre de l’intérieur a commis une erreur de droit en fondant l’arrêté d’expulsion contesté sur les dispositions de l’article L. 521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, alors que sa situation personnelle relève des dispositions des articles L. 521-2 et L. 521-3 du même code. Toutefois, le requérant n’apporte aucun élément permettant d’établir, au regard de l’ancienneté de sa présence en France, de son état de santé ou de sa situation familiale, qu’il relèverait effectivement des cas énumérés par les articles L. 521-2 et L. 521-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile cités ci-dessus. Par suite, le moyen tiré de l’erreur de droit doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l’erreur dans l’appréciation de ce que son comportement représenterait une menace pour l’ordre public :

11. Aucune disposition législative ni aucun principe ne s’oppose à ce que les faits relatés par les ” notes blanches ” versées au débat contradictoire et qui ne sont pas sérieusement contestées, soient susceptibles d’être pris en considération par le juge administratif.

12. Pour contester l’arrêté d’expulsion dont il fait l’objet, le requérant fait valoir qu’il s’appelle M. A D, qu’il est ressortissant libyen et non algérien, qu’il n’a pas de lien avec le réseau terroriste ” Jund al-Khilafah “, qu’il ne fréquente aucun individu en lien avec une mouvance terroriste et que les contacts téléphoniques qui ont pu lui être reprochés s’expliquent par la circonstance que le téléphone qu’il utilise lui a été prêté et qu’il l’a lui-même prêté à un individu dont il ne connaissait pas l’identité. Toutefois, d’abord, il ressort des pièces du dossier que les autorités libyennes n’ont pas reconnu M. D comme un de leurs ressortissants alors que, à l’inverse, les autorités algériennes lui ont délivré un laissez-passer consulaire les 17 mars 2021 et 22 avril 2022. Ensuite, il ressort de l’audition du requérant par le juge des libertés et de la détention que M. D a modifié plusieurs fois sa version des faits et entaché son récit d’incohérences en ce qui concerne sa date de naissance, ce qui a fait conclure au juge que ” les éléments de la procédure laissent penser qu’il tente de mentir sur son identité (notamment sa nationalité) pour tenter d’échapper à sa mesure d’éloignement “. Enfin, la note blanche des services de renseignement, soumise au débat contradictoire et à laquelle le requérant n’a pas répliqué, indique qu’il est en contact régulier, via les réseaux sociaux, avec des membres du groupe terroriste JAK-A / Zone Ouest, qu’il a prêté allégeance à l’organisation terroriste Etat islamique en 2014, qu’il a été contacté à trois reprises lors de sa période de rétention par un individu connu des services de police pour sa participation à des activités de nature terroriste et qu’il a lui-même diffusé des vidéos de propagande djihadiste à partir de son compte Facebook. Dans ces conditions, et au regard des tentatives de l’intéressé de se soustraire à la mesure d’éloignement dont il fait l’objet, le ministre de l’intérieur n’a entaché sa décision d’aucune erreur manifeste dans l’appréciation de la menace pour l’ordre public que représente le requérant. Le moyen ainsi invoqué doit donc être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

13. Aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : ” Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants. “. Ces stipulations font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé s’y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l’Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.

14. Le requérant invoque les risques pour sa sécurité qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine et les mauvais traitements qu’il est susceptible de subir en raison de la réputation de ” musulman radicalisé faisant l’apologie du terrorisme ” qui lui a été faite par les

autorités françaises. Toutefois, il n’apporte aucun élément susceptible d’établir la réalité de ces risques. Dès lors, le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. D doit être rejetée en toutes ses conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A D est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A D et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l’audience du 13 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

[…]

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2022.

[…]

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

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