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L’avocat de « Charlie Hebdo », qui plaidait lundi soir au procès en appel des attentats de 2015, oppose « l’islam des Lumières » au courant « rigoriste ». Il mettait la dernière main à sa plaidoirie, pensait pouvoir ensuite s’aérer l’esprit, quand la lecture du Monde a réveillé sa colère, ce week-end : le quotidien nous apprenait que le futur Musée-mémorial du terrorisme, qui doit ouvrir ses portes en 2027 à Suresnes (Haut-de-Seine), avait retiré de l’exposition virtuelle présentée sur son site les caricatures de Charlie Hebdo sur lesquelles avaient travaillé les élèves de deux lycées franciliens. Constituée de productions d’élèves ayant travaillé avec leurs professeurs sur des projets pédagogiques autour du terrorisme, l’expo en ligne a été expurgée ainsi des dessins de Luz (« Tout est pardonné ») et de Cabu (« Peut-on rire de tout ? »). (…) Avec l’ironie mordante dont il est capable, Richard Malka a fulminé : « Je propose que le futur musée du terrorisme ne parle surtout pas d’islamisme ; d’ailleurs, il ne devrait pas parler de terrorisme non plus. Pour ne prendre vraiment aucun risque, ce serait mieux. » Dans un SMS rageur, Richard Malka ajoutait : « C’est une honte, un déshonneur pour ceux qui ont pris cette décision. L’habituelle trahison des clercs… On ne peut pas avoir les fonctions, les médailles et, en même temps, refuser d’en assumer un tant soit peu les devoirs. »

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Au premier procès, j’avais placé le droit à la critique religieuse – et tous ceux qui l’avaient abandonné en route – au coeur de ma plaidoirie, ce qui m’avait conduit à revenir sur l’histoire de Charlie Hebdo, le procès des caricatures, le droit au blasphème. J’aurais pu me répéter sans prendre de risques, radoter, mais céder à cette facilité n’aurait eu aucun sens. J’avais évoqué les conséquences de la terreur, mais sa source, je l’avais à peine effleurée. Il s’agit d’un débat délicat, dangereux et complexe. Voltaire m’a inspiré le propos et la détermination. J’ai donc fait de la source de la terreur mon accusé, et son nom est Religion. En l’occurrence, une certaine vision de l’islam qui remonte aux origines et au nom de laquelle les crimes jugés ont été commis. « On a vengé le Prophète Mahomet ! » hurlent à trois reprises les frères Kouachi, le 7 janvier, en s’enfuyant des locaux de Charlie. C’est leur mobile et il fallait bien en parler. C’est au coeur du procès, mais comme vous pouvez l’imaginer, ce n’est pas évident d’aborder ce thème.

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Vous instruisez, en effet, le procès d’une certaine vision de l’islam, en soutenant, après vous être plongé dans les textes, que ce courant existe depuis les débuts de cette religion.
Je parle d’une croyance, pas des croyants ; d’une lecture de l’islam, non des musulmans. Oui, le germe est lointain. Dès le VIIIe siècle, une guerre totale oppose deux courants. D’une part, les mutazilites, qui considèrent que la raison et le libre arbitre doivent constituer les premiers fondements de l’islam ; ils vont considérablement influencer le judaïsme et le christianisme et participer grandement à un âge d’or culturel et intellectuel de l’islam. Face à eux, les hanbalites défendent une lecture rigoriste et littérale du Coran ; le wahhabisme saoudien et le salafisme sont les héritiers directs de ces radicaux qui estiment qu’il ne faut ni interroger les textes ni les commenter, simplement leur obéir, peu importe le bien, le mal, le juste, la raison ou la réflexion. Pour eux, le Coran est incréé : c’est directement la parole de Dieu et tout doit donc rester figé et être appliqué à la lettre. Les mutazilites, eux aussi très pieux, contestent dès le départ cette vision d’un Coran incréé.

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Les rigoristes ont triomphé, dites-vous, mais d’autres courants ont réussi à se maintenir…

Bien sûr. Il y a l’islam mystique des soufis, l’islam des philosophes et des poètes, celui décontracté des Kabyles, des Berbères et des Kurdes alévis. Il y a mille islam différents mais l’islam des Kouachi, mon accusé, veut tout écraser. L’absence de clergé, et donc d’autorité religieuse légitime, dans le sunnisme, leur facilite le travail. La nature ayant horreur du vide, le politique a pris le contrôle de la religion ; Khaled Abou El Fadl, professeur à Harvard, parle d’une « théologie du pouvoir ». On ne saurait mieux dire.
Présent depuis les origines, le courant rigoriste est non seulement dominant mais il est « tendance », comme le montre le succès récent du film à la gloire de cette chanteuse française [ l’ex-rappeuse Diam’s, NDLR], qui a renoncé à écouter de la musique. C’est ce courant qui décrète qui est mécréant, qui est un bon ou un mauvais musulman, qui culpabilise ceux qui ne le seraient pas assez et qui cherche à s’imposer, y compris au travers d’une idéologie victimaire et d’accusations d’islamophobie usées jusqu’à la corde. C’est cet islam que j’accuse ; celui que financent à coups de milliards de pétrodollars l’Arabie saoudite et le Qatar, depuis cinquante ans.

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Les djihadistes se réfèrent au verset de l’épée, qui commande aux fidèles de « tuer partout les infidèles »…
Ils y voient, en effet, une justification, un encouragement à la violence, mais c’est encore une aberration. D’abord, il y a une difficulté de traduction sur ce texte ; les verbes « tuer » et « combattre » ont la même racine en arabe, ce qui change tout. Par ailleurs, personne n’est capable de dire si ce verset vise les infidèles ou les polythéistes. Surtout, le verset suivant (le sixième de la neuvième sourate) prône le contraire en commandant d’accorder « l’asile » aux infidèles, de les protéger en les conduisant « en un « lieu de sécurité », car « ils ne savent pas ». Un autre verset très célèbre énonce qu’« il n’y a pas de contrainte en religion ». Pourquoi ignorer ces passages ? Enfin, les versets mis en avant par les terroristes ont été écrits il y a 1 400 ans. Ils ne sont « ni détemporisables ni délocalisables », comme a pu l’écrire la grande islamologue Jacqueline Chabbi ; extrapoler n’a aucun sens.

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Cent cinquante ans après la mort de Mahomet, des juristes ont commencé à écarter les versets les plus pacifiques du Coran pour n’en conserver que les plus belliqueux. Ils ont appelé cela la théorie de l’abrogation. Mais comment se prétendre littéraliste quand on décide d’occulter toute une partie du texte sacré ? C’est une tartufferie. Sous prétexte de rigorisme, ils ont choisi ce qui les arrangeait à un moment où l’islam initial des tribus était devenu un islam d’empire en expansion. Les califes avaient besoin d’un texte guerrier. Tous sont bien plus politiques que spirituels, dans cette affaire.
On comprend la logique de l’époque, mais, aujourd’hui, on en est plus là. Le salafisme, le wahhabisme, les Frères musulmans, le Tabligh (société de prédication islamiste) agissent de la même manière, confisquant une religion pour en imposer une vision politique. « L’islam sectaire est devenu l’islam, ce qui est d’abord une tragédie pour les musulmans », énonce Hamadi Redissi, professeur en sciences politiques à l’université de Tunis. « Cette absence d’approche historique du passé, et notamment du corpus religieux, est pour les musulmans une véritable catastrophe », confirme Jacqueline Chabbi, dont on devrait lire les livres.

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Dans votre plaidoirie, vous faites ce constat lugubre : l’islam des Kouachi est en train de « dévorer les esprits »…
L’islamisme radical n’est pas le fait de quelques loups solitaires, de quelques brebis égarées qui commettraient des attentats au nom d’un fanatisme ultraminoritaire. Les Kouachi, les Coulibaly, Abdoullakh Anzorov [l’assassin de Samuel Paty, l’enseignant à qui l’on rendait hommage, dimanche, pour le deuxième anniversaire de sa mort, NDLR] s’appuient sur un corpus identitaire et religieux qu’on ne parvient plus à contrôler ni à interroger, pas même à l’université. Pourquoi ? Parce qu’on a peur ; c’est la tétanie. En Angleterre, un film produit par des musulmans, et retraçant dans une approche totalement historique et respectueuse, la vie de la fille de Mahomet, Aïcha, a été déprogrammé en 24 heures, sous la menace de dizaines de milliers de pratiquants qui hurlaient au blasphème et à l’islamophobie. Aucune voix, dans le monde culturel, n’a protesté alors qu’un déluge de réactions indignées s’était exprimé – à raison – pour défendre La Dernière Tentation du Christ de Scorsese. C’est ça, être complice : se taire, ne pas parler, laisser la censure s’installer, avoir des indignations à géométrie variable pour surtout ne jamais prendre aucun risque de déplaire. Pouvez-vous me citer une oeuvre qui, aujourd’hui, s’autorise à critiquer l’islam et la religion, comme le faisait Voltaire au XVIIIe siècle ?

Le Point

Merci à BB.

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