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FIGAROVOX/ENTRETIEN – L’agression d’une octogénaire à Cannes par des individus de 14 et 15 ans a soulevé la question de la levée de l’excuse de minorité. L’essayiste propose une réflexion sur le rôle de la justice et le risque de désagrégation de la nation si celle-ci n’est plus rendue par l’État.

Ancienne élue locale, Céline Pina est journaliste à Causeur, essayiste et militante. Elle est la fondatrice de «Viv(r)e la République», elle a également publié Silence coupable (Kero, 2016) et Ces biens essentiels (Bouquins, 2021)

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Les agressions se multiplient et le maire de Cannes affirme que le système juridique et pénal est «obsolète» face à la montée de la violence. Risque-t-on une désagrégation accélérée de la société dans ces conditions ?

La montée de la violence en France parle du déchirement de notre société politique et de l’absence d’une identité culturelle partagée. Elle parle du passage de la société démocratique à la société tribale. C’est ce que construit l’idéologie multiculturaliste quand elle rejette l’idéal de nation en lui substituant le communautarisme, autrement dit, la cohabitation sur le même territoire de communautés liées par un signe distinctif racial ou religieux qui fonde une identité fermée. Les sociétés démocratiques, au contraire, construisent leur identité sur un mode délibératif (par l’échange et la discussion) qui permet d’intégrer des personnes de tout horizon à condition qu’elles partagent des idéaux, des principes et un projet commun.

La société tribale ne fait pas de la violence entre les personnes un acte illégitime, elle ne cherche pas à justifier ses liens en se référant à des valeurs universelles, à la quête d’une définition partagée du bien et du mal. La base de son organisation est ce qui est bon ou mauvais pour la tribu. Celui qui est en dehors n’a droit à aucune protection. Il n’y a aucune reconnaissance d’une dignité humaine partagée, il y a le clan auquel on appartient ou auquel on a fait allégeance envers qui on a des devoirs, et les autres qui sont des ennemis potentiels et à qui on ne doit rien. Dans ces sociétés, il y a une culture de la similarité qui impose que l’individualité soit effacée. On appartient à la tribu avant d’être quelqu’un et cette appartenance définit les manières d’être et de penser.

Les sociétés démocratiques ne fondent pas leur cohésion sur des facteurs extérieurs et ne légitiment pas le pouvoir en référence à un Dieu, à une appartenance ethnique ou à une loi qui serait naturelle, elles assument l’hétérogénéité des hommes mais croient en l’universalité de leur raison et de leur capacité de dialogue.

Céline Pina

(…) Dans ce cadre, le droit est au service des hommes et l’œuvre de leur raison, il évolue et s’adapte en fonction des défis que ceux-ci affrontent et des modifications de leur environnement. Il est au service des hommes et de leur protection. Ce n’est pas une vache sacrée devant laquelle on se prosterne sans s’interroger, car il serait l’œuvre de Dieu. C’est un organisme vivant, autant que les hommes qui le constituent et la justice doit garder les yeux ouverts sur les réalités de son temps. Ce n’est pas les normes qui sont fixes, mais la façon dont l’homme les établit, la foi dans sa raison et sa capacité de création. La justice est donc en perpétuelle tension car elle doit s’inscrire dans la durée et accepter d’évoluer, comme dans la procédure, elle est soumise en tant que concept au contradictoire, mais elle est d’autant plus stable qu’elle respecte l’esprit de la loi. Aujourd’hui, on peut parfois avoir l’impression qu’elle s’accroche à la lettre de la loi, car elle en a perdu l’esprit. Cela expliquerait qu’elle soit si critiquée et inspire si peu confiance (68% des Français la jugent trop laxiste selon un sondage CSA de 2021, 69% la disent opaque car ils ne comprennent pas la logique des condamnations, 53% déclarent ne pas avoir confiance en elle).

La violence physique est une transgression majeure. Ainsi, quand les violences contre les personnes explosent, cela témoigne d’une société qui perd son équilibre et d’une justice qui ne joue pas son rôle. Quand cette violence paraît peu sanctionnée ou sanctionnée a minima, cela témoigne d’une société qui est en train de perdre le sens du commun et qui ne sait plus au nom de quoi ou pourquoi elle est légitime à agir. Quand on ne sait plus sanctionner, c’est que l’on ne sait plus au nom de quoi il est légitime de punir. Un système juridique et pénal qui perd pied face à la montée de la violence témoigne d’une désagrégation de la société déjà à l’œuvre et même avancée. Par exemple, face à la question de la peine d’emprisonnement, le fait que nous évoquions l’idée qu’elle ne garantit pas la rédemption du condamné montre que nous n’avons pas compris le premier rôle de l’emprisonnement: ôter du corps social un élément toxique, destructeur. Que la personne puisse changer ou s’améliorer n’est pas le problème principal, le socle de la décision est la protection du collectif. Encore faut-il que celui-ci se connaisse et se reconnaisse. Quand la société se désagrège, elle commence par perdre le commun, donc le fondement de ce qui fait la légitimité de ses lois et celle de ses jugements. Elle devient incapable de punir, donc de tracer la frontière entre ce qui est légitime et illégitime.

Le Figaro

(Merci à BB)

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