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ENQUÊTE – En 1982, les premières lois de décentralisation donnaient aux maires de nouveaux pouvoirs en matière d’urbanisme. Depuis, les paysages des villes et des campagnes ont été envahis par une modernité bête et méchante. Comment en est-on arrivé là?

La ville de Foix, au cœur du ­département de l’Ariège, ­découvre parfois son décor pittoresque à l’occasion du Tour de France. En temps ­ordinaire, l’activité modeste de cette ville de 9500 âmes tourne autour de l’administration et du tourisme. Le château médiéval se dresse sur les ­hauteurs, contemporain des Cathares ; le centre qui borde la rivière mériterait une franche rénovation. Mais le maire, Norbert Meler (PS), a décidé de détruire ses immeubles de caractère pour édifier un lotissement moderne d’habitat social.

L’architecte des Bâtiments de France s’y est opposé, jugeant que « l’état du bâti ne justifie pas en lui-même une démolition, car il ne représente aucun défaut structurel ». Il a ajouté que « la destruction de cet ensemble constituerait une perte irrémédiable sur le plan architectural, historique et patrimonial ». Reste que le représentant du ministère de la Culture n’a qu’un avis consultatif, et le maire a eu beau jeu de rappeler que la loi Élan, votée sous le quinquennat de François Hollande, l’oblige à augmenter de 20 à 25 % la part du logement social dans sa commune. Cette loi lui permet, de surcroît, de financer son projet en construisant du neuf, censé être moins coûteux que l’ancien rénové.

(…) On moque souvent la Chine pour son indifférence à la conservation du patrimoine architectural. Il est vrai que du vieux Shanghai ou du vieux Pékin, il ne reste presque plus rien aujourd’hui. La patrie de Mérimée et de ­Malraux n’en est pas là, mais quarante ans d’adaptation au règne de la voiture et à l’américanisation de nos modes de vie ont tout chamboulé. Et il ne faut pas croire que la nouvelle vague écolo est nécessairement de bon augure. L’état des églises de Paris en témoigne. Ce phénomène de « la France moche » * a été enfanté par cinquante ans de profondes et puissantes mutations au cours desquelles l’État a perdu son traditionnel pouvoir d’orienter la politique urbaine sans toujours plier face aux clientèles locales.

On a fini par mesurer les dégâts et corriger le tir, mais le manque de coordination entre le législateur et les territoires continue de fournir son lot d’exemples absurdes. Nous découvrons chaque jour que ce n’est pas parce que trop d’usines réputées laides ont fermé que la France est plus belle. Le citoyen producteur, relique du vieux monde industriel, a hélas laissé la place au citoyen consommateur. Consommateur d’espace et de produits du monde entier. Les usines ont donc été remplacées par des routes, des échangeurs, des hôtels de région et de ­département, des médiathèques, des banlieues pavillonnaires, des hypermarchés et des grands ensembles à loyers modérés.

Civilisation du rond-point

Les ronds-points sont devenus l’épicentre de cette nouvelle laideur française. « On en recense plus de 50.000 sur tout le territoire, et ils représentent plus de la moitié de ceux installés dans le monde. Ils ont coûté 30 milliards d’euros au bas mot depuis quarante ans. Et il s’en construit encore plus de mille chaque année », écrit l’association Tous contri­buables, qui propose régulièrement sur son site un palmarès désopilant des ronds-points les plus moches. Cet ­inventaire inspire Houellebecq aujourd’hui, et tant d’autres demain. Il y a tant à dire sur cette prédilection française pour la butte giratoire surélevée.

La modernité n’est pas laide en soi, mais la modernité bas de gamme l’est le plus souvent. Le débat sur la laideur ne se limite pas à un « clash » entre les conservateurs et les progressistes, mais aussi à une bataille entre progressistes et défenseurs de la nature et de ses paysages. Prenons l’exemple de Vauréal, petite cité francilienne. Sylvie Couchot, maire EELV, devenue Divers gauche, a ordonné en octobre 2016 la destruction d’un bois pour y construire des logements sociaux. Les riverains de ce quartier à loyer modéré s’y sont opposés, arguant de l’importance de cet écrin de verdure dans leur vie quotidienne : l’accès à la nature apaise, le luxe pas cher est d’y avoir accès à côté de chez soi, comme le ­démontrent d’innombrables études et un dossier du ­Figaro Magazine consacré à ce sujet.

La maire n’a alors écouté que ses convictions… écologiques : elle a requis les forces de l’ordre pour que les bûcherons exécutent l’ordre d’abattage. L’affaire portée en justice par les associations de quartier l’a condamnée pour déboisement illégal. Cette anecdote n’est pas une exception. Les défrichements de bois communaux pour construire des logements sociaux sont devenus une triste habitude. À Paris, qui est pourtant la métropole la plus dense de France, la mairie préfère ­supprimer un espace vide entre deux immeubles, comme le démontre le livre de Didier Rykner publié cette année, La Disparition de Paris (Les Belles Lettres). Le cas d’Auvers-sur-Oise est un autre exemple récent. Le préfet a mis la mairie à l’amende car elle n’a pas réussi, dans un centre historique saturé, à y homologuer des logements sociaux. Il faudra donc construire dans les hauteurs de la ville, et là encore, couper du bois.

Éloge de la haie

(…) Intimidés par la complexité des enjeux, les élus locaux ont souvent jugé plus simple de déléguer à des promoteurs privés le soin de faire surgir de terre les quartiers pavillonnaires ou les ­lotissements à loyers modérés. Il en est résulté un habitat hors sol, ­indifférent à l’esprit des lieux. « Ce n’est pas à la maison individuelle que j’en veux, c’est au lavage de cerveau des promoteurs qui ont réussi à ancrer dans la tête des Français que la seule solution était la maison “péripatéticienne” : isolée, sur une butte, avec son petit jardin tout autour », ­résumait, il y a quelques années pour le magazine Télérama, l’architecte David Mangin, auteur du livre culte La Ville franchisée.

« On n’a pas su développer en France un urbanisme intermédiaire, fait de petits immeubles, ou de maisons individuelles accolées les unes aux autres comme on le voit chez nos voisins anglais ou allemands qui ont été plus éco­nomes d’espace car la terre agricole coûtait cher, et on a ­massivement préféré soit les grands ensembles pour les plus pauvres, soit les maisons ­individuelles pour la nouvelle classe moyenne », continue le sénateur Claude Malhuret, qui fut maire de Vichy pendant vingt-huit ans et qui fait partie des contre-exemples – il y en a aussi – d’une décentralisation réussie, lui qui s’est battu pour préserver l’ancien dans une ville connue pour son ­patrimoine exceptionnel.

(…) Le Figaro

(Merci à BB)

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