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Dans le vaste paysage agricole français, c’est le premier maillon de la chaîne. Celui qui donne le feu vert à un agriculteur pour acheter un champ à cultiver, une parcelle pour élever ses poules ou ses canards, ou même un bâtiment agricole. Créées dans les années 1960, les Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) avaient pour mission de réorganiser l’agriculture, de favoriser l’installation de nouveaux paysans et de maîtriser les prix des terres. Une mission « trop large, et largement dévoyée depuis », selon l’avocat Me Bernard Mandeville, qui place aujourd’hui les Safer au cœur d’un scandale de prise illégale d’intérêts et d’abus de pouvoir.

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Rentrons dans le dispositif juridique. Direction, cette fois, Paris, rue Drouot, au cabinet d’avocats Lachaud-Mande-ville-Coutadeur. Quel que soit le bien agricole, les notaires ont l’obligation d’informer la Safer de tout projet de vente. Elle peut, dans un délai de deux mois, exercer un droit de préemption, avec ou sans révision de prix. Elle peut aussi acheter des terres à l’amiable ou jouer le rôle d’intermédiaire entre le vendeur et un acheteur en lançant un appel d’offres. « Dans la plupart des cas, elle monnaye la renonciation au droit de préemption contre le fait que la transaction immobilière lui soit confiée », nous explique Me Mandeville. Avec un argument de poids : toutes les cessions effectuées par une Safer sont exonérées de droits d’enregistrement, autrement dit des frais de notaire (5 % au maximum). Mais rien n’étant jamais gratuit, la Safer applique un barème variable de “prestations”. Le taux de la Safer Normandie est de 6 % hors taxes si le bien est cédé à un jeune exploitant, sinon 7 %, auxquels s’ajoutent divers frais de dossier. Il peut s’envoler au-delà dans d’autres Safer. (…)

« Des dossiers à charge contre les Safer accusées d’ingérence permanente et qui se montrent invasives et agressives, j’en ai des dizaines », confie le juriste. Il cite pêle-mêle une personne âgée qui voulait vendre un terrain près d’Alençon à une voisine éleveuse de chevaux. En plein confinement, la petite dame reçoit la visite de la Safer qui menace de préempter le terrain si elle ne lui confie pas une promesse de vente unilatérale. Ou encore, en Isère, un propriétaire confie la vente d’un grand étang de 18 hectares à une agence immobilière qui trouve un acquéreur pour 620 000 euros. La promesse est bloquée, la Safer menaçant de faire intervenir des associations écologistes afin de paralyser la vente. L’affaire a été confiée à l’avocat. « En réalité, peu de propriétaires osent attaquer la Safer en justice car se mettre à dos le gendarme des transactions, c’est se condamner dans les affaires futures. C’est pour cela que le scandale n’éclate pas », lâche l’avocat.

Voilà pour le pouvoir d’intimidation de l’institution. Mais, plus grave, il y a les transactions illicites avec prise illégale d’intérêts. À Cosne-sur-Loire (Nièvre), Thierry Saint-Cerin dirige un centre équestre. En face de sa propriété, une parcelle de 2,4 hectares qu’il souhaitait acquérir pour sa fille, jeune agricultrice. Le terrain a été vendu sans publicité. « Non seulement on s’est fait souffler le terrain en toute illégalité, mais on a appris que les acquéreurs avaient le projet d’y installer un gros méthaniseur », explique le propriétaire du centre équestre. Les acquéreurs ? Quatre associés, dont Cyrille Forest, le président du comité de la Safer de la Nièvre, réunis dans une société, Val de Loire Biogaz, qui entend transformer 10 000 tonnes de déchets par an. Pour permettre les va-et-vient des camions, les associés ont aussi acheté un bois de 1, 5 hectare, toujours sans publicité et alors que la loi indique que, pour toute parcelle inférieure à 4 hectares, le propriétaire limitrophe est prioritaire à l’achat. « Tout est magouille. Ce fameux Cyrille Forest, c’est un Napoléon, un César… », estime Thierry Saint-Cerin. On comprend à mi-mot que la municipalité est, elle aussi, et comme souvent, à la botte de la Safer. « En réunion à la mairie, en présence du sous-préfet, Cyrille Forest m’a dit : je suis intouchable, j’ai décidé que cette opération se ferait, elle se fera », dit-il. Il l’attaque en justice sur l’installation du méthaniseur qui, comble du comble, se situe à 50 mètres de son exploitation alors que la nouvelle législation applicable à partir du 1er janvier 2023 prévoit une distance minimale de 200 mètres. « Sur le bois, on a juridiquement cinq ans pour se retourner », lâche-t-il. Interrogé par Valeurs actuelles, Cyrille Forest n’a pas souhaité s’exprimer.

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