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En 2002, de nombreux évêques s’étaient prononcés publiquement contre un vote Front national. Mais depuis 2017, ils refusent de donner publiquement une consigne de vote contre l’extrême droite. Entre-temps, les catholiques ont changé, la société aussi, et il leur est de plus en plus difficile d’avoir une parole publique. Avec le risque que l’Église renonce à parler.

Selon un sondage Ifop pour le journal La Croix, les catholiques ont plus voté à l’extrême droite que l’ensemble du pays. Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan récoltant 40% de leurs suffrages.

Les évêques catholiques ne donneront pas de consignes de vote avant le 24 avril afin de faire barrage au Rassemblement national. Déjà, en 2017, ils étaient restés silencieux avant le duel Macron-Le Pen. D’ailleurs, pourquoi parleraient-ils ? Parce qu’ils l’ont longtemps fait. Jusque dans les années 1960, évêques et prêtres donnaient des consignes de vote à leurs ouailles. C’était une époque où ils incarnaient une parole d’autorité et décourageaient de voter pour les partis anticléricaux. Ce temps est révolu. Après le règlement de la question scolaire avec la loi Debré, et la reconnaissance par l’épiscopat du pluralisme au sein du catholicisme en 1972, cette parole a évolué.

Mais elle a continué à s’exercer, à travers toute une génération d’évêques, Mgr Jean-Marie Lustiger, Mgr Albert Decourtray, Mgr Gabriel Matagrin, qui intervenaient régulièrement dans le débat public. En jeu, la conception d’une Église incarnée dans un monde où elle voit l’œuvre de Dieu, ce qui ne l’empêche pas d’entretenir un rapport de « distance critique » avec la société. […]

Ce n’est plus le cas. Les évêques ont publié un document en janvier, auxquels ils continuent de renvoyer les fidèles, pour rappeler quelques principes. Le refus de voter pour l’extrême droite n’en fait pas partie. Qu’est-ce qui a changé ? Sans doute d’abord les catholiques eux-mêmes. Comme le reste de la société, ils sont nombreux à voter pour les partis d’extrême droite. C’est nouveau. De plus, toujours comme la société, ils sont divisés et les évêques craignent de briser un peu plus cette unité fragile.

A changé aussi le rapport de l’Église au débat démocratique. Les lois sociétales (PMA, révision des lois de bioéthique…) sont passées par là. Domine le sentiment que le christianisme n’a plus la possibilité de peser sur les grandes ­décisions. Surtout, les évêques sont confrontés aux mêmes difficultés que les hommes publics. On le voit bien avec cette campagne électorale : comment avoir une parole audible, se faire entendre ? Quel est le statut de la parole aujourd’hui ? Qui peut parler ? Comment ? Redoutable question pour les hommes politiques, mais aussi pour les hommes d’une institution ecclésiale qui a toujours considéré que la Parole faisait partie de sa mission, et notamment prétend avoir une « parole de Vérité ». Difficile au temps des fake news.

Faut-il pour autant renoncer à toute parole prophétique ? Non, mais sans doute les évêques doivent-ils l’ancrer dans un dialogue commun. « Quelle est, face à la terre, au sol, au ciel, à tous les êtres que nous y rencontrons qui nous permettent d’être, la parole de Dieu à entendre ? », demandait la semaine dernière le président de la conférence épiscopale, Mgr Éric de Moulins-Beaufort dans une méditation sur la politique qu’il terminait ainsi : « Notre pays ne se définit pas par la nostalgie de ses grandeurs passées, il ne se grandit pas en prétendant s’entourer de murs, il ne se grandirait pas non plus s’il en venait à renoncer à accompagner les êtres humains jusqu’au bout de leur vie en les entourant de fraternité. » Ne serait-ce que pour ces raisons-là, il serait terrible que l’Église renonce à parler.

La Croix

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