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“Aux USA, la surreprésentation des Noirs dans les prisons est un sujet porté par les défenseurs des droits civiques, en France par l’extrême-droite” (France Culture)

Après s’être intéressé au milieu carcéral en devenant gardien de prison pendant plusieurs mois (Dans la peau d’un maton, Fayard, 2011), après avoir écrit sur les conséquences de la crise de 2008 sur les ménages français (J’ai vu des hommes tomber, Don Quichotte, 2012)  et avoir enquêté sur les rouages de l’immigration clandestine (Dans la peau d’un migrant, Fayard, 2015), Arthur Frayer-Laleix fait aujourd’hui le récit de ce que dix années de terrain lui ont fait constater : la “ghettoïsation ethnique” de certains territoires français. 

Il explique que le point de départ de sa réflexion est son expérience en tant que gardien de prison en 2010. Se faisant passer pour un surveillant, il peut durant plusieurs mois voir la réalité de ces espaces et constater la surreprésentation de personnes issues de l’immigration. Arthur Frayer-Laleix déclare ainsi : “Une chose qui m’a frappé en bossant dans les prisons françaises, c’est que quelles que soient ces prisons, je me rendais compte qu’il y avait une surreprésentation des jeunes issus de l’immigration que ce soit à Fleury-Merogis ou dans une prison plus petite comme à Orléans.” Et c’est en observant le différentiel existant entre le nombre de personnes blanches, très faible, et le nombre de personnes de couleurs, très élevé, qu’il a commencé à vouloir questionner l’idée d’une fracture ethnique en France. 

“Et les blancs sont partis”

Le titre de son livre est une phrase qu’il a souvent entendue sur le terrain et qui était prononcée par les habitants des banlieues : des Marocains, des Maliens, des Sénégalais… En sillonnant banlieues et quartiers défavorisés pour ces reportages, il a pu constater lui aussi ce départ des blancs. Aujourd’hui, certains territoires ne sont plus habités que par des étrangers, des personnes de couleurs, formant des ghettos ethniques :  “Le titre de ce livre est une citation. C’était important de remettre cette phrase-là dans leur bouche. Souvent ces personnes considèrent qu’elles sont les premières victimes du départ des blancs, qui en creux a façonné cette ghettoïsation.”

Une “ghettoïsation ethnique” en France 

Cette “ghettoïsation” s’enracine principalement dans les banlieues qui se caractérisent généralement par leur séparation et leur isolement du reste de la ville. Ce sont des espaces qui sont mal desservis, dans lesquels il existe peu d’infrastructures publiques comme l’explique le journaliste : “Il y a cette dimension de fracture urbaine : en général on a des quartiers excentrés des centres-villes avec un élément urbain qui va les couper du reste, et après il y a cette question des transports en commun qui sont souvent plus réduits.” 

Pour Arthur Frayer-Laleix, cette fracture ethnique est notamment la responsabilité de l’Etat et des bailleurs sociaux qui, pendant quarante ans, ont concentré les habitants sur des critères ethniques, il précise en effet qu’“officiellement la couleur de peau n’est jamais un critère dans l’attribution des logements. Mais dans les faits ça l’est.” Une ghettoïsation qui engendre pauvreté, mauvaise représentation politique, repli sur soi, assignation identitaire, chômage, islamisme parfois, fracture démocratique.

Le tabou de la question ethnique 

Ce qui l’a le plus choqué Arthur Frayer-Laleix, ce n’est pas tant le constat de cette surreprésentation de fils d’immigrés ou de personnes d’origines étrangères dans des espaces ghettoïsés, que le refus des politiques, des journalistes, des associations d’en parler. Le projet de son livre est alors “de regarder la société dans ce qu’elle est aujourd’hui et d’essayer de le raconter de manière apaisée, de dire que la France est une société multiculturelle”.

Il explique que le silence des politiques et d’une partie de la gauche résulte du caractère sensible du sujet notamment parce que l’extrême droite a confisqué ce débat. Il est toujours considéré comme suspect d’aborder cette question de la diversité au sein de la population. 

Des quartiers condamnés? 

La mécanique mise en place par l’Etat vis-à-vis de ces quartiers ne fait qu’accentuer la fracture ethnique et sociale. Ces quartiers servent à accueillir les nouveaux arrivants, des populations souvent pauvres et précaires, et les conditions de vie difficile de ces territoires font que ceux qui réussissent veulent presque systématiquement s’en aller. Ils sont alors remplacés par des étrangers, annulant alors toute possibilité, par ce processus circulaire, de voir émerger une quelconque mixité sociale et ethnique avec les personnes blanches dans ces territoires. 

Mathieu Palain revient alors sur la nécessité de parler des banlieues pour permettre d’en comprendre la réalité autant que les conditions souvent miséreuses de ceux qui la peuplent : ” De la même manière qu’on a peu de reportages en prisons, on a peu de reportages dans les quartiers pour raconter ce qui s’y passe. On a un manque de connaissances sur ce que c’est que de grandir dans les cités, dans les quartiers. Les journalistes y sont souvent envoyés quand il se passe quelque chose de tragique. Mais la banalité du quotidien dans les banlieues est un angle mort du journalisme.”

France culture

(Merci à Tara King)

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