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Note FDS : Le rapport “Le réseau des réseaux : Les Frères Musulmans en Europe” du groupe des Conservateurs et Réformistes Européens a été entièrement traduit ci-dessous. Les premiers chapitres rappellent qui sont les Frères musulmans, quelles sont leurs objectifs, leurs structures en Europe. Si vous n’avez pas le temps de lire l’intégralité du rapport ou que vous êtes déjà informés sur le sujet, passez directement aux chapitres 5 et 6 pour connaitre les financements de l’UE des organisations liées aux Frères musulmans.


Le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) est un groupe politique européen, regroupant à l’échelle du continent un ensemble de partis de droite et de la droite nationaliste, disposant d’un groupe au Parlement européen et à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Fondé en 2009, les CRE comptent vingt-trois partis membres de seize pays différents. Les CRE se décrivent comme « une famille se situant à droite de l’échiquier politique ».

Wikipédia


INTRODUCTION


Mettre fin au soutien européen à l’islamisme non-violent c’est défendre notre mode de vie européen

Membre du Parlement européen pour la Suède
Président du groupe de travail pour la liberté religieuse, Groupe des conservateurs et réformistes européens

« Allah est notre objectif, le Prophète notre chef, le Coran notre Loi, le Djihad notre voie, la mort sur la voie d’Allah notre plus cher espoir »

Devise des Frères musulmans

Personne ne résume mieux la vision inquiétante des Frères musulmans pour l’Europe que la figure de proue de l’islamisme non violent, Yusuf al-Qaradawi. Comme il l’a déclaré à la télévision du Qatar en juillet 2007 : “La conquête pacifique a des fondements dans cette religion, et par conséquent, je m’attends à ce que l’islam conquière l’Europe sans recourir à l’épée ou au combat. Il le fera au moyen de la da’wa et de l’idéologie.”

Les valeurs européennes communes de démocratie, de liberté d’expression, de liberté de religion et d’égalité juridique sont affaiblies à la marge pour chaque citoyen européen gagné à la cause des Frères musulmans. Nos constitutions peuvent sembler être gravées dans la pierre, mais leur signification doit être dans le cœur des gens. Si une minorité suffisamment importante – et peut-être des majorités dans certaines villes, quartiers et circonscriptions – affirme un ordre social radicalement différent, les demandes de législation spéciale islamique risquent de passer de l’impensable à une partie du jeu politique. À long terme, cela risque d’affecter les politiques des gouvernements d’un État membre de l’UE et, à plus long terme, nos constitutions et nos valeurs.


Trop souvent, cette perspective brille par son absence dans le débat européen sur l’islamisme. Heureusement, un nombre croissant de spécialistes des politiques ont pris conscience que la menace salafiste et djihadiste doit être affrontée avec détermination, même si de nombreux participants au débat politique recourent souvent à une terminologie ambivalente en utilisant, par exemple, le terme plutôt fade d'”extrémisme violent”.


Cependant, la menace de l’islamisme non violent est toujours ignorée par nos dirigeants politiques. Ou plutôt, les politiciens essaient toujours d’acheter les islamistes, ce qui accroît leur pouvoir et engraisse leurs organisations. À tous les niveaux. Des municipalités et des régions de toute l’Europe financent des associations d’études islamistes et des associations culturelles ayant des liens avec les Frères musulmans. Les États membres – comme mon propre pays, la Suède – envoient des dons de plusieurs millions de dollars au Secours islamique, dont le programme islamiste et l’antisémitisme ont été exposés ces dernières années. L’Union européenne a également financé des organisations islamistes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe.

L’objectif de ce rapport est de stimuler un débat sur les nouvelles politiques que nous devons mettre en place pour empêcher la propagation de l’islamisme en Europe. Mon ambition est de persuader la Commission européenne de changer sa politique et de cesser toute contribution aux organisations islamistes. J’espère qu’un tel changement de politique de la part de la Commission européenne sera considéré comme un exemple à suivre par les États membres, les régions et les municipalités, afin que les impôts ne soient pas utilisés pour financer des contributions à des organisations qui vont à l’encontre des valeurs qui nous sont chères, à nous Européens.

Je tiens à remercier les deux estimés chercheurs, le Dr Paul Stott et le Dr Tommaso Virgili, pour leurs recherches et analyses très approfondies. Des propositions politiques méticuleuses, bien documentées et concrètes, telles que cette recherche, sont très nécessaires pour sensibiliser les décideurs politiques, les citoyens et les forces de sécurité à la menace réelle que l’islamisme, y compris les Frères musulmans, représente pour nos sociétés.

Résumé

La compréhension des Frères musulmans en Europe est complexe. En effet, le secret qui entoure l’organisation et sa tendance à fonctionner davantage comme un idéal que comme une organisation politique formellement structurée l’ont délibérément rendu difficile. Cela a empêché les décideurs politiques européens de bien comprendre la situation. Compte tenu du nombre d’anciens activistes qui émergent aujourd’hui de ce milieu, une meilleure compréhension de la nature et des objectifs à long terme des Frères est désormais disponible. L’Union européenne doit écouter ces voix, et les comparer à ce qui a été dit par certaines des organisations représentatives des musulmans en Europe.

Enracinés dans les idéaux des mouvements islamistes mondiaux du vingtième siècle, les Frères musulmans ne sont pas des partisans de la démocratie libérale ou des valeurs occidentales. Ses moyens sont pragmatiques et comprennent des alliances tactiques avec des mouvements progressistes, mais son objectif ultime est l’acquisition du pouvoir (tamkin) pour construire un État islamique fondé sur la charia. Son attitude à l’égard de la violence est également utilitaire et le djihad est adopté lorsque les conditions le permettent.

Les Frères musulmans en Europe ne constituent pas une organisation unique et centralisée, mais plutôt une étoile de mer composée de différentes branches formellement indépendantes les unes des autres, mais liées par des modèles idéologiques, des organisations faîtières communes et des liens individuels. Le rapport examine les ONG les plus importantes liées aux Frères musulmans en Europe, avec un accent particulier sur le Secours islamique.

Les agences de sécurité et les enquêtes parlementaires de plusieurs États membres de l’UE ont fait une évaluation similaire des dommages causés par les organisations liées aux Frères musulmans à la sécurité et à la cohésion sociale. Pourtant, cela n’a pas empêché les institutions publiques d’interagir avec les Frères musulmans en tant qu’interlocuteurs privilégiés et représentants des communautés musulmanes locales – une tendance qui devrait cesser.

La Commission européenne est tombée dans le même piège, en déboursant d’importantes sommes d’argent pour financer des organisations des Frères musulmans ou en leur donnant, ainsi qu’à leurs membres, des moyens différents. Ce rapport fournit des exemples pertinents d’engagement malencontreux entre l’UE et les Frères, et il fait valoir que ce soutien devrait être réorienté vers des organisations non islamistes.

En ce qui concerne spécifiquement le Secours islamique (Islamic Relief), les institutions européennes l’ont financé à hauteur de plus de 40 millions d’euros. Cette situation s’est poursuivie à un moment où les États membres ont commencé à s’interroger, voire à s’éloigner de cette organisation, suite à des exemples répétés de commentaires extrémistes impliquant des personnalités de haut rang, et à la révélation de ses liens avec les Frères musulmans. Le rapport soutient que l’UE devrait décréter un moratoire sur tout financement d’Islamic Relief Worldwide et de ses organisations constitutives, pendant qu’une enquête est menée sur ses problèmes d’extrémisme et sur la nature précise de ses relations avec les Frères musulmans.

PREFACE

Les Frères Musulmans : Un défi clair et actuel aux valeurs européennes

Les valeurs de l’Europe reposent sur le principe de la liberté. La liberté de l’individu de s’exprimer, la liberté de s’organiser politiquement, la liberté de suivre, ou de ne pas suivre, la foi de son choix. La liberté de faire n’importe quelle action, pourvu qu’elle soit conforme à la loi reconnue du pays. Ces valeurs sont intrinsèques à l’Occident. Mais ce ne sont pas les valeurs des Frères musulmans. En offrant une plate-forme et un financement aux organisations représentatives et aux organisations caritatives influencées par les Frères musulmans, l’Union européenne n’accueille pas un ami, mais un ennemi politique. Elle accorde un statut à ceux qui n’en sont pas dignes. Pire encore, donner l’argent des contribuables à des groupes liés aux Frères musulmans, c’est risquer de financer le travail de sape, et finalement la destruction de nos propres valeurs.

L’une des fonctions des groupes liés aux Frères musulmans en Europe est de se présenter comme des représentants de la communauté et d’expliquer les événements et les problèmes à la société à partir de ce qu’ils déclarent être la perspective musulmane. Cela présente un attrait considérable pour les médias, les autorités locales et même les fonctionnaires aux niveaux national et européen. On ignore toutefois quel est le mandat d’organisations telles que la FIOE (FOIE) et ses branches nationales, FEMYSO et le Forum européen des femmes musulmanes, si tant est qu’il existe.

En s’engageant auprès de ces organisations, les institutions nationales et européennes risquent d’écouter les voix les plus fortes, ou celles qui se sont le plus habilement disputées les positions, et de passer à côté d’autres points de vue. Elles ignorent également la société civile du Moyen-Orient, qui a ses propres critiques à l’égard des Frères musulmans. En acceptant les organisations liées aux Frères musulmans comme partenaires, les démocraties libérales occidentales réduisent l’espace politique dans lequel elles opèrent elles-mêmes, notamment en ce qui concerne les communautés de migrants. Il y a moins de dialogue avec le citoyen en tant qu’individu, ce qui réduit une relation correctement ancrée dans les devoirs que l’État et l’individu se doivent l’un à l’autre. Au lieu de cela, une relation émerge entre l’État et les organisations qui “représentent” les musulmans auprès du gouvernement et de ses institutions. Et, comme nous l’avons vu sur des questions telles que les caricatures de Mahomet ou le hijab, ces organisations représentatives travailleront selon leur propre agenda.

Le milieu des Frères musulmans en Europe ne soutient pas l’État islamique ni Al-Qaida. Cependant, ils sont loin d’être pacifistes – comme nous le verrons dans ce rapport, leur soutien au Hamas et au djihad en Syrie démontre une volonté de considérer la violence comme un outil approprié pour atteindre leurs objectifs. Le flirt des Frères avec la théocratie iranienne est une autre indication de leur vision du monde. L’Union européenne et ses États membres doivent veiller à ne pas placer la barre si bas que des personnes soient embrassées simplement pour s’être opposées aux actes terroristes d’Al-Qaida ou de l’État islamique. Après tout, personne ne semble prêt à serrer la main des néonazis non violents pour contrer les violents. L’idée même est absurde

Si les institutions et les décideurs politiques européens décident de se boucher le nez et de travailler avec les groupes liés aux Frères musulmans, ils font preuve d’une pauvreté de faibles attentes. Les organisations islamistes en Europe qui ne professent pas la violence peuvent être considérées comme “modérées” ou “bonnes” et intégrées dans le courant politique dominant, en grande partie parce qu’elles sont évaluées par rapport aux groupes salafi-jihadi qui sont ouvertement violents. Il s’agit d’une erreur importante. Non seulement elle trahit les valeurs de l’Europe pour des raisons d’opportunité politique temporaire, mais elle ignore également l’effet à long terme qui consiste à privilégier les acteurs islamistes.

L’étiquette de “modéré” ou d'”orthodoxe” masque la façon dont ces groupes portent gravement atteinte à la liberté de religion, aux droits des femmes, des homosexuels, des musulmans non islamistes et d’autres minorités, ainsi qu’à la séparation vitale entre la mosquée et l’État, et rendent ainsi le terrain fertile pour leurs frères plus extrêmes.

Les Frères musulmans ont progressé au cours de ce siècle. Au Moyen-Orient, ils ont connu à la fois le pouvoir et la répression, mais sont aujourd’hui un acteur politique de poids dans de nombreux pays. En Europe, ils ont mis en place des institutions et des sources de revenus considérables, et ont développé des relations importantes avec les élites politiques. Mais comme le montrent les sections de ce rapport consacrées à certains transfuges et ex-membres des Frères en Europe, ces relations sont fondées sur la tromperie. Les Frères musulmans ne sont pas honnêtes quant à leur identité ou à leur nature.

Les différents rapports des agences et institutions de sécurité à travers l’Europe soulignent un schéma commun : malgré ses paroles chaleureuses, les Frères musulmans et ceux qui s’inspirent de leur idéologie sapent notre cohésion sociale. Par le biais d’organes tels que le Conseil européen de la fatwa et de la recherche, les Frères cherchent à s’imposer entre les citoyens européens, et entre les États-nations et leurs systèmes juridiques. On peut voir leur véritable couleur en examinant certaines des décisions de cette organisation. La série de scandales qui ont éclaboussé l’organisation caritative Islamic Relief, examinée en détail ci-dessous, exige désormais une réponse cohérente et claire des gouvernements occidentaux.

Les contribuables sont en droit de se demander si c’est le genre d’organisations que les institutions européennes devraient financer et, dans l’affirmative, quelle est leur vision de l’avenir du continent.


Les auteurs :

Le Dr Paul Stott est un écrivain et un commentateur basé au Royaume-Uni. Membre de la Fondation européenne pour les études sud-asiatiques (EFSAS), ses intérêts de recherche couvrent les domaines du terrorisme, de l’islamisme et de la frange politique. Il a obtenu son doctorat en 2015 à l’Université d’East Anglia pour la recherche ” British Jihadism : The Detail and the Denial.

Le Dr Tommaso Virgili est chercheur postdoctoral au Centre des sciences sociales de la WZB de Berlin, où il travaille sur les mouvements libéraux au sein de l’Islam en réponse au défi de l’islamisme, en particulier en Europe et dans la région MENA. Le Dr Virgili est également chercheur associé au Wilfried Martens Centre for European Studies et chercheur invité à la Fondation européenne pour la démocratie à Bruxelles.


CHAPITRE 1

Introduction

Le présent rapport examine l’organisation et les activités des Frères musulmans (ci-après dénommés MB ou Ikhwan) dans l’Union européenne. Décrit comme le “groupe islamiste le plus prospère au dans le monde”(1), les opérations des Frères musulmans en Europe peuvent être caractérisées de trois manières.


Il s’agit de :


● Groupes et individus qui se déclarent ouvertement eux-mêmes comme étant des Frères musulmans.
● Ceux qui se réunissent à titre privé en tant que membres des Frères musulmans
● Ceux qui sont actifs dans des organisations formées par les Frères musulmans ou influencées par son idéologie


Enracinés dans les idéaux des mouvements islamistes mondiaux du vingtième siècle, les Frères musulmans ne sont pas des partisans de la démocratie libérale ou des valeurs occidentales. Ils se situent en dehors de la tradition politique européenne. Toutefois, en Occident, ils tentent de revendiquer et d’occuper un espace aux niveaux local, national et supranational. Pour ce faire, les partisans de ses idéaux utilisent des concepts de liberté religieuse, ainsi que des revendications de représentation communautaire, de multiculturalisme, d’identité et des appels au “dialogue” entre et à travers les civilisations. Cette stratégie comprend des alliances tactiques avec des mouvements progressistes, mais elle ne change rien à l’objectif final d’un État fondé sur la charia. Pour citer l’anecdote vécue par Lorenzo Vidino, la même organisation qui rencontre un groupe LGBT le matin peut accueillir un imam qui appelle à l’exécution des gays l’après-midi.(2)

Ce document dévoile la duplicité des Frères musulmans, afin de démontrer que leur discours et leur programme sont en opposition avec les valeurs démocratiques libérales. Les organisations islamistes telles que les Frères musulmans, et celles qui sont influencées par ses idéaux, doivent être considérées comme des rivales, possédant une vision de l’Europe future qui est non seulement différente de celle des principaux partis politiques du continent, mais qui est également ancrée dans des valeurs opposées. L’Europe doit être consciente de l’existence d’un adversaire idéologique de ses démocraties libérales. “La tendance commune à considérer les Frères musulmans, par exemple, comme une version des démocrates-chrétiens où les hommes portent la barbe, les femmes sont voilées et prient cinq fois par jour est erronée”, notamment parce que “les démocrates-chrétiens ne croient pas que la législation soit préemptée par la divinité”(3).

Les organisations islamiques en Europe possèdent un soft power considérable, notamment, mais pas uniquement, auprès des organisations politiques de gauche. Dans les partis sociaux-démocrates, parmi de nombreux syndicats et dans la gauche révolutionnaire, il existe une sympathie instinctive pour les minorités, considérées comme faisant innocemment leur chemin dans une Europe oppressive et structurellement raciste.

Ben Cobley, dans ” The Tribe : The Liberal Left and the System of Diversity (4) “, constate que les musulmans sont l’un des groupes privilégiés d’une vision du monde de plus en plus méfiante ou hostile à ce qu’ils considèrent comme la majorité blanche dominante. L’universitaire américaine Meredith Tax a écrit sur la façon dont le soutien aux organisations islamiques, enraciné dans la politique de l’ennemi de mon ennemi, s’est étendu “de l’extrême gauche aux féministes, au mouvement des droits de l’homme et aux donateurs progressistes”.(5) Il est de plus en plus difficile d’évaluer les Frères musulmans dans ce contexte. Les faiseurs d’opinion peuvent faire preuve de scepticisme ou de suspicion à l’égard des documents qui se concentrent sur les organisations islamiques ou qui cherchent à critiquer leurs pratiques, leurs objectifs ou leurs associations. Une hypothèse de racisme ou de partialité peut être émise, ce qui ne serait pas le cas si d’autres courants politico-religieux étaient examinés.

Le soft power coopte les gens plutôt que de les contraindre, en façonnant leurs préférences et leurs décisions. Le politologue américain Joseph Nye le définit comme “le fait d’amener les autres à vouloir les résultats que vous souhaitez”(6). Comme le démontrera ce rapport, certaines institutions européennes n’ont pas besoin d’être contraintes par les groupes liés aux Frères musulmans – elles sont instinctivement sensibles à leurs préférences déclarées et prendront des décisions visant à maintenir de bonnes relations de travail avec les organisations islamiques, qui sont perçues comme représentant un groupe démographique qu’elles souhaitent soutenir.

En outre, les groupes liés aux Frères musulmans souhaitent servir d’interlocuteur entre l’autorité et les musulmans d’Europe. L’Union européenne et ses composantes y trouvent également leur compte : le fait de s’engager auprès de la communauté musulmane et de la consulter peut apporter à la fois de la crédibilité et un sentiment de confort aux hommes politiques – et, plus prosaïquement, un électorat. De plus en plus, la nécessité de consulter les organisations représentatives est renforcée par la législation, notamment dans les États membres d’Europe occidentale. Une relation mutuellement bénéfique s’instaure donc, sans que l’on tienne compte, ou presque, de la représentativité réelle de certaines organisations, du caractère libéral et démocratique de leurs pratiques et idées internes, ou de l’impact à long terme d’un tel engagement sur la société. Il est particulièrement difficile de rompre de telles relations. Ayant été développées sous le prétexte de “travailler avec la communauté”, toute perturbation du statu quo met donc potentiellement en danger les relations communautaires. Des signes significatifs montrent toutefois qu’en Europe, le défi posé par l’islamisme est de plus en plus reconnu. La récente prise de position du groupe CDU/CSU au Parlement allemand, “Die freiheitliche Gesellschaft bewahren, den gesellschaftlichen Zusammenhalt fördern, den Politischen Islamismus bekämpfen”, reconnaît que l’islamisme met en danger l’intégration et la cohésion sociale.(7) Les prises de position au sein du groupe CDU/CSU, qui demandent que les universitaires se concentrent davantage sur les structures de l’islamisme en Allemagne et qu’une unité spécialisée soit créée au sein du ministère de l’intérieur, reflètent la prise de conscience du fait que non seulement la société est actuellement mal servie par les recherches menées par les spécialistes des sciences sociales, mais que l’islamisme représente un défi radical pour les valeurs existantes de la société.

Le présent rapport comporte sept chapitres. Ceux-ci visent à introduire le sujet et à définir les termes utilisés ici, avant de donner un très bref aperçu de la littérature existante sur les Frères musulmans en Europe. Les croyances de l’organisation et leur application en Occident sont ensuite abordées, ce qui conduit à un examen des groupes liés aux Frères en Europe. Le chapitre 4 est consacré à l’influence des idéaux de la confrérie dans certaines nations européennes. Dans le chapitre cinq, nous procédons à une évaluation spécifique des liaisons dangereuses entre les Frères musulmans et l’UE en tant qu’institution, suivie d’une étude de cas portant sur l’organisation caritative Islamic Relief, longtemps associée aux Frères musulmans et récemment impliquée dans une série de scandales. Ces sections donnent forme à l’inévitable discussion sur la question de savoir si les caractéristiques décrites dans ce rapport indiquent une organisation qui représente un défi pour les valeurs civilisationnelles de l’Europe. Les conclusions du rapport sont ensuite suivies de recommandations politiques, tant au niveau européen que national.

CHAPITRE 2

Définitions : Qu’est-ce que les “Frères Frères musulmans” en Europe ?


Lorsque nous parlons des Frères musulmans, nous ne parlons pas d’une seule entité facilement identifiable. Ce rapport identifie trois courants dont il faut être conscient lorsque l’on parle des Frères musulmans :


● Un petit nombre de membres déclarés des Frères musulmans opérant dans certains pays. Il s’agit généralement de personnalités éminentes d’organisations, telles que le parti Liberté et Justice des Frères musulmans en Égypte, en exil politique du Moyen-Orient. Ils ont tendance à se concentrer principalement sur les événements dans leur pays d’origine, en utilisant les libertés démocratiques en Europe qui n’existent souvent pas dans le monde à majorité musulmane.


● Ceux qui s’organisent et se réunissent en privé en tant que membres assermentés des Frères musulmans. Ce sont les militants les plus difficiles à identifier, et une grande partie de ce que l’on sait ne provient que des observations d’anciens membres qui ont été désillusionnés et ont quitté l’organisation.


● Les personnes actives dans des organisations fondées par les Frères musulmans, ou qui sont influencées par son idéologie. Les exemples classiques sont le Secours islamique mondial (IRW) et ses branches nationales, la Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE) et ses branches nationales, et la Fédération des organisations européennes de jeunes et d’étudiants musulmans (FEMYSO).

Ces trois courants forment ce qui est en pratique un réseau de réseaux, unis par un engagement envers les principes islamistes et une compréhension de la nécessité d’opérer avec souplesse pour maintenir au mieux ces principes dans différents environnements. L’étiquette “Frères musulmans”, si elle est couramment adoptée, pourrait réduire cette flexibilité, en particulier dans les démocraties libérales occidentales, où les militants “ont traditionnellement fait de gros efforts pour minimiser ou cacher ces liens”(8).


Un terme utilisé tout au long de ce texte est celui d'”islamiste”. Si certains de ceux qui se voient appliquer cet adjectif le rejettent, de hauts responsables des Frères musulmans en Europe, comme Youssef Nada, ont déclaré : “Il est vrai que je suis un islamiste. (9) Une biographie sympathique du cofondateur du parti tunisien Ennahda, Rachid Ghannouchi, est sous-titrée “Un démocrate dans l’islamisme” (10).

Un islamiste cherche à : ” imposer une vision idéologique de l’islam dans la vie politique et sociale des sociétés musulmanes. Il a également été appliqué plus largement à ceux qui cherchent à établir des normes de comportement musulman dans les affaires de la société, sans nécessairement chercher à contester les détenteurs de l’autorité ou à encourager l’extrémisme, y compris l’utilisation de moyens violents.(11)”.

Ces objectifs peuvent être atteints de différentes manières et à différents niveaux. Le spécialiste de l’islam Elham Manea distingue deux grands types d’islamisme, l’un sociétal et l’autre politique. L’islamisme sociétal “désigne les mouvements religieux puritains qui s’attachent à modifier les comportements sociaux pour les rendre conformes à leur vision rigide du monde. Ils appellent à un mode de vie islamique, à séparer leurs adeptes de la société en général et s’abstiennent souvent de faire de la politique”. À l’inverse, l’islamisme politique “est une idéologie moderne qui recherche le pouvoir politique comme moyen de transformer la société. Son objectif est un changement révolutionnaire imposé par la vision d’une société puritaine régie par la loi de Dieu. Dans cet État, l’identité et la citoyenneté sont définies par l’affiliation et l’observance religieuses”(12).

Alors que l’islamisme sociétal caractérise principalement l’islam salafi historiquement associé à l’Arabie saoudite(13) ou l’islam déobandi d’Asie du Sud(14), l’islamisme politique est plus varié en ce qui concerne ses partisans et les moyens qu’ils utilisent :

” Des mouvements, tels que l’État islamique, Boko Haram et Al-Qaïda dans la péninsule arabique, cherchent à créer cette vision de la société par la violence pure et simple. D’autres – comme les Frères musulmans et Jamaat-e-Islami – utilisent une approche progressive. La violence reste socialement acceptable, mais la stratégie consiste en une islamisation graduelle par le biais du système éducatif, de la mosquée et des médias.(15) “

En dépit de ces différences tactiques, l’islamisme sociétal et l’islamisme politique partagent les mêmes objectifs :

” Tous deux embrassent l’objectif ultime d’un État islamiste qui met en œuvre ce qu’ils considèrent comme les lois de Dieu. Tous deux appellent à un État dirigé par un groupe suprême de musulmans choisis. Tous deux promeuvent activement les concepts de Jihad militaire et missionnaire contre les ennemis de l’Islam – y compris l’Occident. Tous deux mettent l’accent sur le contrôle des femmes dans leur prédication d’un monde islamiste idéal.(16) “

Avec le temps, cette vision idéologique de l’Islam et le désir d’établir des normes de comportement musulman sont devenus perceptibles en Occident, ainsi que dans les sociétés à majorité musulmane. Dans le cadre de ce rapport, l’islamisme est le mouvement politique des islamistes.

Des indications importantes sur les intentions de la Confrérie sont disponibles sur Ikhwanweb, leur site Internet en langue anglaise.(17) Ils y déclarent : “Les Frères musulmans sont un groupe établi pour promouvoir le développement, le progrès et l’avancement sur la base de références islamiques.” Ikhwanweb décrit un processus par lequel des individus influencés par l’organisation forment des groupes et cherchent ensuite à agir : “Ces groupes exercent [sic] leurs activités et prennent des décisions en toute indépendance des Frères musulmans et en accord avec la communauté dans laquelle ils existent”(18) Ceux qui cherchent une organisation visible des Frères musulmans dans chaque État membre de l’UE, avec des cartes de membres et des instructions opérationnelles hebdomadaires provenant d’un comité central de coordination en Égypte risquent d’être déçus.

Au Moyen-Orient, les Frères musulmans ont connu une répression considérable pendant une grande partie de leur histoire, y compris l’emprisonnement et l’exécution de leurs dirigeants. Ils sont toutefois particulièrement bien adaptés pour opérer dans des environnements politiques occidentaux sophistiqués, où une approche rigide et hiérarchique dirigée depuis le Moyen-Orient aurait peu de chances de prospérer. Comme le fait remarquer Lorenzo Vidino, l’un des plus éminents analystes internationaux des Frères, “dans chaque pays, le mouvement a pris des formes différentes, s’adaptant aux conditions politiques locales”(19).

L’ancien membre français des Frères musulmans, Mohamed Louizi, décrit ce modèle comme une “étoile de mer”, par opposition au modèle classique de “toile d’araignée” qui caractérisait la structure initiale de l’organisation :

” Initialement, l’idéologie était diffusée selon un modèle archaïque semblable à une toile d’araignée, qui courait le risque de s’affaiblir ou même de disparaître en cas de contre-attaque ; en coupant la tête de l’araignée, la confrérie – en l’occurrence le Guide suprême qui se trouve officiellement au Caire – décapitait toute la structure des Frères musulmans. Aujourd’hui, ce mode de fonctionnement a été dépassé. Les organisations de la Confrérie ressemblent à une étoile de mer, en ce sens que vous pouvez lui couper un bras, mais elle ne meurt pas ; au contraire, un nouveau bras lui pousse. Mieux encore, lorsque vous coupez un bras, une nouvelle étoile de mer indépendante naît, et ainsi de suite, dans une sorte de multiplication impressionnante et infinie.(20)

Les réseaux liés à la confrérie en Europe diffèrent donc des images stéréotypées d’islamistes fortement barbus, reclus derrière des communautés insulaires, ne s’engageant que dans une interaction limitée et réticente avec la société au sens large. En effet, une telle vision des choses rend plus difficile la compréhension de ce phénomène et des réseaux d’influence qu’il a développés dans de nombreux pays européens. Voici des individus et des groupes qui ne cherchent pas à s’isoler, mais à s’engager dans la société au sens large. Ils ont souvent un bon niveau d’éducation et sont plus susceptibles d’exercer une profession libérale que d’exercer un métier manuel.(21) Mais dans toute évaluation des Frères musulmans, il faut reconnaître que, quel que soit le nombre d’organisations caritatives auxquelles ils participent, ils ne sont pas des philanthropes. Ils cherchent à s’engager dans la société principalement pour la changer de manière islamique, et lorsque ce processus est en cours depuis plusieurs décennies, pour maintenir le caractère des zones déjà sous influence islamique. Comme l’a déclaré Jamal Morad, cadre autoproclamé des Frères musulmans en Autriche et dirigeant de la Liga Kultur Verein, “nous [les Frères musulmans] ne faisons pas dans le social à moins qu’il n’y ait derrière une direction politique claire”(22).

L’absence d’une structure déclarée rigide et le nombre considérable d’organisations islamiques qui se forment en Europe rendent opaque l’évaluation de l’influence et de la force des Frères. Ce n’est cependant pas impossible – les mêmes individus et les membres de leur famille apparaissent fréquemment, travaillant pour une liste toujours changeante d’organisations représentatives et d’organisations caritatives, établissant des liens commerciaux, opérant souvent dans les mêmes locaux, se réunissant dans les mêmes lieux, utilisant parfois la même banque, se concentrant sur des questions similaires et présentant des arguments de plus en plus familiers.

Il arrive que ces acteurs soient référencés plus directement par les médias du Moyen-Orient qu’ils ne le sont par la presse ou les organisations islamiques en Occident. Parfois, ils dérapent. En 2008, l’érudit religieux libyen Salem al-Shikhi, du Conseil européen pour la fatwa et la recherche, a fait traduire en anglais un article pour Ikhwanweb qui était remarquablement ouvert sur les progrès du mouvement. Par exemple, al-Shikhi a fait référence à la Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE), de la manière suivante : “(23) De la même manière, Jamal Morad a déclaré que, pour les Frères musulmans, il n’y a pas de séparation entre la religion et la politique, et que les activités sociales ont toujours cette dernière en tête (24).

CHAPITRE 3
Les Frères musulmans – Théorie et stratégie

Les Frères Musulmans : Une très brève histoire

La lignée des Frères musulmans montre pourquoi des questions de fond se posent quant à leur compatibilité avec l’ordre démocratique occidental. Après tout, il s’agit d’une organisation dont le logo est constitué de deux épées croisées et dont le serment d’allégeance fait du djihad le quatrième des dix attributs(25). Son fondateur, Hasan al-Banna (1906-1949), a déclaré de façon célèbre : “Allah est notre objectif, le Prophète notre chef, le Coran notre Loi, le Djihad notre voie, la mort sur la voie d’Allah notre plus cher espoir”(26) – ce qui est devenu la devise des Frères. Ce ne sont pas des mots que l’on répète volontiers à une époque où l’Occident a gravement souffert des attentats terroristes perpétrés par ceux qui cherchent à établir leur interprétation des lois de l’Islam dans les rues d’Europe. Hasan al-Banna pensait que l’histoire pouvait être comprise par la lutte entre l’Est et l’Ouest, et que le déclin de l’Est s’expliquait par la réduction progressive d’une véritable compréhension de l’Islam.(27) La vision d’Al-Banna était celle d’un mouvement revivaliste : “À ses yeux, la pire caractéristique de la colonisation n’était pas l’occupation elle-même, mais le fait que l’occupation allait de pair avec l’acceptation du christianisme et, surtout, avec la libéralisation des normes morales”(28).

L’autre grande figure historique du mouvement, l’écrivain égyptien Sayyid Qutb (1906-1966), est plus problématique encore. La division du monde par Qutb en deux catégories, l’Islam ou la jahiliyyah (en gros “l’ignorance”), laisse présager un conflit.(29) Dans son ouvrage principal, Jalons, Qutb étend le concept de jahiliyyah, qui désigne classiquement l’ère préislamique, aux régimes actuels, car ils ne sont pas régis par la loi islamique. Il redéfinit donc la dichotomie classique dar-al-Islam (la maison de l’Islam) et dar-al-harb (la maison de la guerre) pour étendre cette dernière à tous les pays où l’État islamique n’est pas établi et où la charia n’est pas l’autorité.(30) Seules deux relations peuvent exister entre ces entités : un état de guerre ou une trêve par accord contractuel.(31) Il s’agit d’une thèse sur le choc des civilisations, développée des décennies avant l’écrivain américain Samuel Huntington, et exprimée dans un langage beaucoup plus dur. Et puisque la jahilliyya est devenue, selon Qutb, une condition mondiale, un bon musulman a le devoir de se battre pour l’Islam où qu’il soit.

Alors qu’une apologie courante dépeint Qutb comme une sorte d’accident déviant dans l’idéologie autrement pacifique de la Fraternité, c’est en fait al-Banna lui-même, dans sa Lettre du Jihad, qui a clairement théorisé le jihad offensif contre les incroyants comme le devoir individuel de chaque musulman. Cet écrit est une glorification pure et simple de la violence, qu’al-Banna a reconnectée à la nature inhérente de l’Islam : “Vous ne trouverez nulle part un système, ancien ou moderne, religieux ou civil, plus préoccupé par le jihad, l’armée, la mobilisation de l’Umma pour défendre la vérité, que la religion et les enseignements de l’Islam”. (32) Al-Banna décrit le djihad comme “un devoir impératif, résolu, inévitable et inéluctable pour tous les musulmans”, à mener même contre les “gens du Livre” (à savoir les chrétiens et les juifs).(33) Chaque fois que “les musulmans sont humiliés et gouvernés par des incroyants”, le djihad devient un devoir individuel “pour chaque musulman”. Al-Banna a en outre rejeté comme un faux le hadith largement cité parlant de la lutte de l’âme comme la plus grande forme de jihad, et a conclu en disant que “l’on ne sera investi de l’honneur du martyre et de la récompense des combattants qu’en tuant et en étant tué dans le chemin d’Allah”(34).

It is crucial to bear in mind the bellicose nature of al-Banna’s ideology, insofar as mem-bers of the Muslim Brotherhood and its spin-offs frequently refer to the legacy of Hasan al-Banna without disavowing any aspect of it.

L’implantation des Frères musulmans en Europe a des racines profondes – les exilés égyptiens des Frères musulmans se sont d’abord rendus au Royaume-Uni via la Libye à la suite d’une vague de répression en 1948-49,(35) et d’autres sont arrivés comme étudiants dans toute l’Europe au cours des décennies suivantes. Au fur et à mesure que les migrations musulmanes se sont généralisées sur le continent, des communautés plus importantes ont vu le jour et, au sein de celles-ci, les émigrés des Frères musulmans ont reproduit les structures et les pratiques organisationnelles qu’ils avaient développées au Moyen-Orient. Celles-ci comprenaient le recrutement sélectif des membres du parti, un processus d’initiation visant à préparer idéologiquement les recrues aux tâches qui leur seraient confiées, et le paiement de cotisations à une organisation élue – le tout mené en privé sans reconnaissance publique.(36) Cependant, les Frères musulmans ne sont pas rigides dans leur approche tactique. À l’époque moderne, des penseurs tels que le Libanais Faysal Malawi et Yusuf al-Qaradawi, un Égyptien exilé au Qatar, ont noté la liberté accordée aux musulmans de faire du prosélytisme en Occident, et se sont orientés vers une position consistant à considérer les pays occidentaux non pas comme des terres d’hostilité, mais comme un lieu d’opportunité pour les fidèles, à caractériser comme daral-dawa – la terre de la prédication.(37) La pensée ici est que “fournir un nouveau cadre pertinent pour la vie musulmane européenne donnera une nouvelle énergie et un nouveau sens au mouvement. (38) L’éminent intellectuel musulman Tariq Ramadan se situe peut-être sur un terrain similaire lorsqu’il parle de dar al-shahadah, la “demeure du témoignage”, un terme qu’il cherche à appliquer à l’échelle mondiale car “il permet de se réconcilier avec la dimension universelle de l’islam : le monde entier est devenu un espace, une demeure, de témoignage” (39) Malgré ces développements intellectuels, les Frères musulmans n’ont jamais renié les opinions d’al-Banna ou de Qutb (40).

La vision de l’Occident comme un lieu de témoignage façonne l’approche des organisations influencées par les Frères musulmans. Elles cherchent donc à travailler en étroite collaboration avec les décideurs politiques et à développer le maximum d’influence possible sur eux.(41) À long terme, cependant, les partisans des Frères musulmans se délectent du hadith selon lequel Rome tombera de l’intérieur – lorsque les musulmans seront suffisamment forts(42) – comme le montre la section suivante.

Les piliers de la stratégie des Frères musulmans

La marque de fabrique des Frères musulmans est leur capacité à s’adapter à l’environnement externe et à adopter différentes stratégies en fonction des besoins et de la réalité sur le terrain, en poursuivant patiemment le but ultime de la mission. Mais quel est ce but ultime ?

Le terme technique utilisé par les experts des Frères musulmans est le tamkin. Selon l’un de ses principaux théoriciens, le Frère musulman Ali Sallabi(43), le tamkin désigne la “domination de l’islam sur toute autre religion et sa souveraineté sur l’humanité entière”(44). Cet objectif doit être atteint progressivement, par une série d’étapes qui doivent impliquer, d’une part, la préparation spirituelle de la société depuis la base et, d’autre part, la constitution d’une avant-garde islamiste, parfaitement formée et profondément infiltrée dans tous les domaines de la société.

En ce qui concerne le premier pilier, al-Banna a exposé les phases de l’islamisation du monde dans sa Lettre à la jeunesse, où il a décrit une structure pyramidale partant de l’individu et aboutissant à l’islamisation du monde. Selon ce plan de bataille, les Frères doivent d’abord se concentrer sur l’endoctrinement spirituel des individus ; ces musulmans pieux apporteront à leur tour les principes de l’Islam au sein de leurs familles qui, en tant que pilier de base de la société, prépareront le terrain pour l’islamisation de la société. La société prendra alors le contrôle de l’État-nation. L’étape suivante sera l’unification de la nation islamique – artificiellement divisée par l’Occident en différents pays – suivie de la reconquête des terres occidentales autrefois possédées par l’Islam. L’étape ultime consistera, finalement, en la conquête du monde : le tamkin. (45)

L’endoctrinement spirituel de la base au sommet n’est qu’une condition préalable au pouvoir. En attendant, la Fraternité doit préparer le leadership, qui sera formé et infiltré dans tous les domaines de la vie humaine : sciences, administration, politique, médias, économie, etc. Tout comme l’islamisation de la société, cette entreprise se déroule également par phases, et doit être accomplie avec gradualisme et patience. Ali Sallabi décrit minutieusement chaque phase en suivant l’enseignement d’al-Banna : 1) la présentation de l’islam, avec sa propagation auprès du grand public ; 2) la sélection des individus qui, sur la base de leurs caractéristiques spirituelles, intellectuelles et physiques, peuvent réaliser des actions spécifiques (y compris, le cas échéant, la participation au jihad) ; 3) la détection des erreurs à corriger et des lacunes à combler ; 4) et enfin, le tamkin. (46)

Pour être clair, tamkin signifie un État islamique régi par la charia. Les Frères musulmans, souvent qualifiés d’organisation “modérée”, sont certainement modérés dans leurs moyens, caractérisés par le gradualisme. Une telle approche rend souvent la violence déconseillée ; mais l’objectif final des Frères musulmans ne diffère pas de celui des factions djihadistes.

Les idéologues influents des Frères musulmans dans l’histoire récente et leurs récits

Tariq Ramadan

Avant ses problèmes juridiques et de réputation en France et en Suisse (47), Tariq Ramadan était l’une des voix islamiques les plus en vue en Europe. Il est le petit-fils du fondateur des Frères musulmans, Hasan al-Banna (48), et le fils de Said Ramadan (1926-1995), l’un des fondateurs de l’organisation en Europe (49). Tariq Ramadan “parvient à jouer à la fois le rôle d’universitaire, de militant politique, de prédicateur évangéliste et de conseiller gouvernemental” (50). Compte tenu de son influence, quel avenir Ramadan envisage-t-il pour l’Europe ?

Dans des ouvrages tels que “Ce que je crois” et “Être un musulman européen”, Ramadan expose un programme de coexistence. À la lecture de ces ouvrages, on remarque que le langage déployé ressemble de plus en plus à celui employé par les gouvernements centraux d’Europe occidentale ou même par le département des ressources humaines d’une grande entreprise. À propos de la “citoyenneté multiculturelle”, Ramadan déclare :

“The challenge of diversity requires practical solutions and compels citizens, intellectuals and religious representatives to develop a balanced critical mind, always open to evolution, analysis, empathy and self-criticism. Voicing one’s own needs while also listening to and hearing the other, accepting compromise without yielding on essentials…..(51)”

Dans un article majeur lors des manifestations du printemps arabe de 2011, Tariq Ramadan a souligné que le modèle des Frères musulmans, en Égypte et ailleurs, est la Turquie. Dans cette pensée, il y a une acceptation de la démocratie – le terme et ses variantes apparaissent une quinzaine de fois dans l’article de Ramadan (52). Cependant, rien ne suggère une compréhension ou une chaleur pour la démocratie libérale, avec ses principes de pluralisme et le droit de l’individu d’être, ou de ne pas être, quelque chose. Fait révélateur, les mots individu, libéral, libéralisme ou démocratie libérale sont tous absents de son analyse.

Lorsqu’on examine les croyances et l’approche des réseaux islamistes en Europe, un problème apparaît rapidement. Toute analyse menée peut être considérée comme problématique, dépeinte comme une attaque contre tous les musulmans et se voir attribuer le terme accusateur d'”islamophobie”. C’est le cas même de ceux qui gagnent leur vie en tant qu’intellectuels et personnalités publiques. Par exemple, l’instinct de Tariq Ramadan est de présenter les débats sur l’islamisme dans les démocraties libérales occidentales comme une attaque contre les musulmans d’Europe. Il écrit :

” Chaque pays européen a ses symboles ou ses sujets spécifiques à travers lesquels les musulmans européens sont ciblés. En France, c’est le foulard ou la burka ; en Allemagne, les mosquées ; en Grande-Bretagne, la violence ; les caricatures au Danemark ; l’homosexualité aux Pays-Bas – et ainsi de suite (53). “

Le cadrage de Ramadan n’est pas une méthode permettant de débattre des questions en toute confiance, d’en discuter et de résoudre en fin de compte les éventuelles divisions. Si le fait de considérer, par exemple, l’homosexualité aux Pays-Bas revient à “cibler” les musulmans, quelles sont les chances d’avoir un débat public ouvert sur les droits des homosexuels ? Pouvons-nous avoir un débat sur les circonstances autorisant le port, ou non, de symboles religieux en France, si la tenue de ce débat est comprise comme “ciblant” les musulmans ? Pouvons-nous débattre de la question de savoir si les règles régissant la liberté d’expression trouvent une exception dans l’Islam et ses symboles et, dans l’affirmative, pourquoi l’Islam bénéficierait d’un tel privilège (54) ?

Pourtant, la nécessité d’un débat sur le rôle de l’islam, notamment en matière de politique sociale et de relation entre l’individu et l’État, est évidente. Youssef Nada, Frère musulman égyptien exilé et possédant la nationalité italienne, a déclaré qu’à son avis, les non-musulmans vivant dans les pays islamiques ont le droit de suivre le droit de la famille conformément à leur religion, et qu’une approche correspondante doit être adoptée en Occident, où les musulmans “respecteront la loi existante, mais les choses qui concernent la famille devraient leur être laissées” (55). Cela nécessiterait un changement majeur de la loi, par exemple dans les domaines de l’héritage et du mariage, ouvrant la possibilité de systèmes juridiques multiples.

Ramadan a également exprimé des points de vue problématiques sur le jihad et les peines coraniques, qui incluent notoirement la flagellation, l’amputation des membres et la lapidation. En commençant par ces dernières, Ramadan est bien connu pour avoir suggéré un “moratoire” sur l’application de la peine de mort et des châtiments corporels dans les États islamiques, tant qu’une série de conditions sociales et juridiques préalables ne sont pas en place (56). Cette idée ne lui est pas exclusive : une suspension temporaire des peines hudud, en attendant que la société soit prête, est précisément ce que Yusuf al-Qaradawi a préconisé lorsque les Frères musulmans ont pris le pouvoir en Égypte (57), et la tactique que les Frères musulmans égyptiens eux-mêmes ont adoptée : dans un communiqué officiel, publié pendant la présidence de Morsi, ils ont souligné leur engagement en faveur de la mise en œuvre progressive de la charia dans tous les domaines (58). Comme il est évident, appeler à un moratoire sur les peines coraniques n’implique pas de s’y opposer.

En ce qui concerne le djihad, Ramadan a écrit qu’il représente un instinct inné de l’être humain, et que les musulmans “persécutés pour leur religion” doivent, en dernier recours, prendre les armes et résister à l’oppression. Les autres musulmans ont, dans ce cas, l’obligation d’intervenir pour défendre leurs frères (59).

Si la théorie de la “guerre juste” n’est étrangère à aucune culture et à aucune religion, ces déclarations sont inquiétantes si elles sont combinées à d’autres éléments. Le premier est l’obscurcissement de la théorie de Hasan al-Banna : loin de désavouer la conception du jihad de son grand-père, Ramadan prétend à tort qu’il l’a limitée à l’autodéfense (60). Le récit de l'” islamophobie ” présenté plus haut en est un autre : si les musulmans sont ” attaqués ” par les infidèles, quand leur ” résistance ” doit-elle commencer à être armée ? Les caricatures de Mahomet, l’interdiction du foulard et l’homosexualité sont-elles suffisantes, pour revenir aux trois questions susmentionnées ? Le risque de malentendus de la part de croyants zélés est encore plus élevé lorsqu’il s’agit de questions étrangères : si Ramadan n’est jamais allé jusqu’à encourager explicitement les combattants étrangers comme le fait Yusuf al-Qaradawi (61), comment interpréter ses propos sur l’obligation pour les musulmans de prendre les armes pour défendre les frères opprimés ? Il faut rappeler que Ramadan a un jour commenté de manière infâme le meurtre d’un garçon israélien de huit ans en disant : “Cet acte en soi est digne de condamnation, mais il est compréhensible dans les circonstances actuelles…. Il est interdit d’attaquer des civils, mais la politique du gouvernement américain ne laisse pas d’autre choix aux Palestiniens” (62).

Yusuf al-Qaradawi

Le plus important théologien des Frères musulmans, le vieux clerc égyptien Yusuf al-Qaradawi, a principalement passé les années depuis 1961 en exil au Qatar. Il est mentionné dans ce rapport, d’abord en raison du rôle qu’il a joué dans la création et la présidence (63 ans) de deux organisations clés liées aux Frères musulmans – l’Union internationale des savants musulmans (UISM) et le Conseil européen pour la fatwa et la recherche (ECFR) – et ensuite en raison de l’importance mondiale d’al-Qaradawi pour les membres et les partisans de l’organisation et de ses tentatives d’influencer et de diriger la vie islamique en Occident. En tant que représentant de la wasatiyyah, la “voie médiane” prétendument modérée entre l’extrémisme islamique et le “sécularisme extrémiste”, Qaradawi a charmé une partie de la gauche européenne, qui tente de le présenter comme un pont entre l’Occident et le monde musulman (64).

Al-Qaradawi résume les contradictions qui définissent les Frères musulmans et leur attitude envers la violence. Il a coordonné la condamnation internationale du 11 septembre dans le journal Al-Quds Al-Arabi basé à Londres, mais il est un partisan déterminé des missions suicides dans d’autres domaines – par exemple, contre Israël, ou contre les forces de la coalition en Irak (65). Lorenzo Vidino commente son approche : “Qaradawi rejette la confrontation violente non pas parce qu’elle est mauvaise, immorale ou contraire à son interprétation des textes islamiques, mais simplement parce qu’à l’heure actuelle, elle ne mènera le mouvement nulle part” (66).

Il a également déclaré que l’Islam conquerra l’Europe, mais de manière pacifique, par la dawah (“travail missionnaire”) et la croyance :

” Elle le fera au moyen de la da’wa et de l’idéologie. L’Europe est misérable avec le matérialisme, avec la philosophie de la promiscuité et avec les considérations immorales qui gouvernent le monde – des considérations d’intérêt personnel et d’auto-indulgence. Il est grand temps que l’Europe se réveille et trouve une issue à tout cela. L’Europe ne trouvera pas d’autre bouée de sauvetage ou de canot de sauvetage que l’Islam. L’islam sauvera l’Europe du matérialisme forcené dont elle souffre (67). “

Un exemple de cette approche est que, en 2015, al-Qaradawi a appelé à des dons pour construire une mosquée à Milan, sur les principes que l’Europe doit être sauvée (68).

Il faut noter que le concept de dawah ne remplace pas le djihad, mais n’est qu’un expédient tactique – suivant les enseignements d’al-Banna – à utiliser lorsque la oumma n’a pas les moyens d’imposer la règle de l’islam par la force. Trois éléments sont nécessaires, selon al-Qaradawi, pour provoquer un changement de régime : le contrôle de l’armée, le contrôle du parlement et une “force publique généralisée”, c’est-à-dire un large soutien révolutionnaire. Tant qu’un de ces éléments est absent, les musulmans doivent adopter une approche ascendante, fondée sur l’infiltration progressive des infrastructures sociales et politiques (69).

Cette stratégie explique également les vues d’al-Qaradawi sur l’intégration des musulmans en Occident : Les musulmans ne doivent pas se détacher de leur environnement, comme le prédisent certains salafistes, mais au contraire concourir activement à la mise en place du réseau d’organisations, d’activités commerciales et politiques qui rendront finalement la conquête possible (70). Dans le même temps, ils doivent éviter la contamination des mœurs que risque de provoquer le mélange avec les Occidentaux (“le sel qui se fond dans l’eau”, comme il décrit les musulmans qui s’intègrent (71)) ; les musulmans doivent donc vivre dans une société parallèle où ils établissent “leurs propres institutions religieuses, éducatives et même de divertissement” (72).

La décadence des coutumes occidentales est une telle obsession pour al-Qaradawi qu’il n’a pas hésité à demander l’imposition de la peine de mort aux homosexuels (73) et aux apostats (74), et à “soutenir personnellement [les mutilations génitales féminines] dans les circonstances actuelles du monde moderne” (75). Le laxisme moral, pour al-Qaradawi, est un exemple de “l’extrémisme irréligieux” qui s’est répandu jusque dans le monde musulman, et qui a provoqué la réaction de l’extrémisme religieux (76). C’est ce qui explique sa conception de la “wasatiyyah” : loin d’avancer un concept pro-démocratique, il met tactiquement sur le même plan les “excès” des laïcs et ceux des extrémistes religieux, tout en se rangeant fermement derrière les objectifs de ces derniers (77).

Quel est, en fait, l’objectif ultime d’al-Qaradawi ? Le même qu’al-Banna, Qutb et tous les idéologues des Frères musulmans, à savoir l’établissement d’un État islamique régi par la charia. Tout musulman qui ne partage pas cet objectif est, ipso facto, un apostat. Selon ses propres termes, “l’appel à la laïcité parmi les musulmans est, en fait, de l’athéisme et un rejet de l’islam, et son acceptation comme base de la règle à la place de la loi de l’islam est une apostasie pure et simple” (78). Il se montre prudent et tactique dans la réalisation de l’État islamique et, à l’instar de Tariq Ramadan, il a également parlé d’un “moratoire” sur les peines hudud (79). Cela ne change rien au fait qu’il préconise en fin de compte un État où les voleurs ont les mains coupées et où les fornicateurs sont lapidés à mort.

La nécessité pour les démocraties libérales de reconnaître l’idéologie d’al-Qaradawi pour ce qu’elle est – un rival qui cherche sa destruction – apparaît de manière frappante dans les citations ci-dessus. Ces croyances conduisent à des actions qui sapent la cohésion sociale de l’Europe. Lors de la controverse sur les caricatures de Mahomet publiées par le Jyllands Posten, al-Qaradawi et l’Union internationale des savants musulmans (UISM) ont appelé le 3 février 2006 à une journée mondiale de colère contre les caricatures et, par voie de conséquence, contre le Danemark (80).

L’approche des Frères musulmans sur la question de la violence est une approche qui nécessite une étude approfondie. Pendant la guerre civile syrienne, les autorités européennes ont cherché des moyens de dissuader les jeunes musulmans de se rendre et de combattre dans un conflit de plus en plus âpre dans la région. Au cours de cette période, le langage d’al-Qaradawi a plutôt contribué à accroître les tensions. Par exemple, il a critiqué la participation du Hezbollah chiite au conflit syrien en termes sectaires, le qualifiant de “parti de Satan” (81). Substantiellement, en 2013, al-Qaradawi a approuvé l’appel d’un collectif de religieux sunnites en faveur du djihad en Syrie (82). Toute idée des Frères musulmans et d’al-Qaradawi comme un bouclier robuste contre le djihadisme et l’extrémisme est, comme le concept de la voie du milieu de la wasatiyyah, fatalement défectueuse. Si al-Qaradawi peut s’opposer à Al-Qaida et pourrait diffuser ce message auprès des jeunes musulmans européens, son soutien aux attentats-suicides palestiniens (83), ses attitudes sectaires à l’égard des musulmans chiites (84) et son soutien au djihad syrien démontrent que les Frères musulmans sont un partenaire inadapté pour ceux qui cherchent à contrer la radicalisation et le terrorisme.

Les positions des Frères musulmans sur ces questions sont renforcées par la légitimité théologique revendiquée par al-Qaradawi et ses associés. Le défunt islamologue libanais Faysal Mawlawi était une voix importante au sein du Conseil européen pour la fatwa et la recherche des Frères musulmans. Dans des décisions religieuses diffusées sur l’important site Internet IslamOnline, Mawlawi soutenait les attentats-suicides visant des civils israéliens et observait que, si la mutilation du corps de l’ennemi en temps de guerre n’était généralement pas permise, dans le cas spécifique des Américains en Irak, elle était possible comme moyen de représailles (85).

En somme, chaque concept exprimé par Al-Qaradawi incarne la duplicité qui est la marque de fabrique des Frères musulmans. Il est pro-démocratie, mais seulement dans la mesure où elle sert à imposer la charia anti-démocratique. Il rejette le takfirisme, mais il accuse d’apostasie tout musulman qui n’adhère pas à son idée d’un État fondé sur la charia. Il recommande l’intégration des musulmans en Occident et leur prédication pacifique, mais seulement comme instruments ultimes de conquête. Il prône la “modération”, et en même temps invoque la peine de mort pour les homosexuels et les apostats. Il est contre le terrorisme, sauf s’il est utilisé contre les “ennemis de l’Islam”.

Avec ses ambiguïtés, son gradualisme et son double langage tactique, tous projetés vers le graal de l’État islamique, Yusuf al-Qaradawi incarne parfaitement l’organisation dont il est peut-être le plus important idéologue vivant.

CHAPITRE 4
La présence des Frères musulmans en Europe

Dans ce chapitre, nous allons aborder plusieurs caractéristiques générales des activités des Frères musulmans en Europe, ainsi que présenter les principales organisations liées aux Frères musulmans sur le continent. Nous donnerons ensuite un aperçu de la présence des Frères musulmans dans certains pays.

Affaires financières

Les groupes liés aux Frères musulmans en Europe possèdent un accès à des ressources financières importantes. Ce n’est pas surprenant si l’on considère qu’en 2012, Youssef Nada parlait d’un réseau comptant plus de 100 millions de membres dans le monde (86). En 1996, la Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE) a créé l’Europe Trust, afin de générer des fonds pour ses activités (87). L’Europe Trust a depuis constitué un impressionnant portefeuille immobilier. Il existe peu d’investissements immobiliers plus sûrs que le marché de l’achat-location par les étudiants dans une ville universitaire, et le Europe Trust doit être admiré pour son jugement – il détient 47 appartements près de l’Université de Leeds, dans le nord de l’Angleterre, ce qui représente au moins 8,5 millions de livres d’actifs. Le directeur exécutif de l’Europe Trust est Ahmed al-Rawi, un ancien président de l’Association musulmane de Grande-Bretagne (88). Ibrahim el-Zayat, un éminent partisan des Frères musulmans en Allemagne, a été directeur de l’Europe Trust de 2005 à 2014 (89). Il existe également un Europe Trust Netherlands, fondé par Yahia Bouyafa, qui gère des projets immobiliers et des mosquées dans ce pays (90).

Les organisations islamiques qui souhaitent développer leurs intérêts en Occident bénéficient d’un soutien important de l’étranger. En juin 2014, la Qatar Charity a ouvert un bureau à Londres pour superviser ses projets britanniques et européens (91). Son président, Cheikh Hamad bin Nasser al-Thani, a déclaré que les dépenses caritatives qataries en Europe entre 2010 et 2014 s’élevaient à plus de 500 millions de riyals qataris (92) (plus de 115 millions d’euros au taux de change actuel). La Qatar Charity UK (QCUK), connue ensuite sous le nom de Nectar Trust, a ensuite distribué des sommes importantes à des organisations islamiques en Europe. Par exemple, le Nectar Trust a financé de nouveaux bâtiments pour le campus de l’Institut européen des sciences humaines dans le centre de la France (93). La tendance est encore illustrée par le rapport des administrateurs du Nectar Trust de 2018, qui décrit le soutien apporté au centre AMAL (Association des musulmans d’Alsace) à Mulhouse, en France, et au centre ARSH (Association de la Réforme Sociale Hautepierre) à Strasbourg (94).

Dans leur livre Qatar Papers publié en 2019, les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot s’emploient à établir que l’association caritative du Qatar est un outil du soft power religieux de Doha, et dans leur analyse, ils partent du principe que si l’on finance, on exerce une influence (95). Un outil facilitant cela est la banque britannique Al Rayan Bank appartenant au Qatar – Chesnot et Malbrunot reproduisent ce qui semble être le bordereau de transfert pour le paiement de 2017 que QCUK a effectué à AMAL pour un total de 996 000 £, soit 1,2 million d’euros (96). AMAL est affiliée aux Musulmans de France (anciennement l’Union des organisations islamiques de France – UOIF), un groupe représentatif français enraciné dans les Frères musulmans (97). En effet, la relation entre AMAL et le QCUK/Nectar Trust est telle qu’un prêt de 99.151 GBP a été “accordé par AMAL pour aider QCUK à commencer ses activités opérationnelles. Ayyoub Abouliaqin, le directeur de QCUK de l’époque, était un administrateur d’AMAL”(98). L’argent a été remboursé au cours de l’année se terminant le 31 mars 2015.

La connexion iranienne

Alors que les relations entre les musulmans sunnites et chiites dans certaines parties du monde ont été fracturées, le fondateur des Frères musulmans, Hasan al-Banna, souhaitait réconcilier les divisions entre sunnites et chiites (99). À l’ère moderne, l’engagement positif entre les Frères musulmans et l’Iran remonte à l’époque de l’ayatollah Khomeini et de son exil en France peu avant la révolution iranienne de 1979. Lorsque Khomeini est revenu à Téhéran pour prendre le pouvoir en février 1979, des membres des Frères musulmans et des organisations islamistes de tout le monde sunnite se sont rendus sur place pour manifester leur soutien au nouvel Iran (100).

La République islamique d’Iran et les Frères musulmans ont pour ennemi commun l’Arabie saoudite, et les militants des Frères musulmans en Europe dénoncent régulièrement ce qu’ils considèrent comme le soutien saoudien aux despotes (101). Le fait que l’Arabie saoudite ait précédemment soutenu les Frères musulmans est discrètement passé sous silence (102). Après la prise du pouvoir par les Frères musulmans en Égypte, en décembre 2012, une réunion a eu lieu au Caire entre ses représentants et Qassem Suleimani, alors commandant de la Force Quds des Gardiens de la révolution iranienne (103). En 2019, le site d’investigation The Intercept a révélé des câbles iraniens ayant fait l’objet de fuites, qui montrent que des représentants de la Force Quds d’Iran ont rencontré à nouveau des dirigeants des Frères musulmans (aujourd’hui hors du pouvoir) en Turquie en 2014, dans une tentative infructueuse de développer une alliance contre l’Arabie saoudite. Les représentants des Frères musulmans, à cette dernière réunion étaient Ibrahim Munir Mustafa, Mahmoud El-Abiary (tous deux Égyptiens basés au Royaume-Uni) et l’Italien Youssef Nada, basé en Suisse (104). En avril 2019, les États-Unis ont ajouté le Corps des gardiens de la révolution islamique, dont fait partie la Force Qods, à leur liste d’organisations terroristes désignées (105). En janvier 2020, Suleimani devait être assassiné par les Américains.

Principales organisations liées aux Frères musulmans en Europe

Conseil des Musulmans d’Europe – anciennement Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE)

La FIOE a été créée en 1989 par le militant Ahmed al-Rawi, basé en Grande-Bretagne, pour chapeauter les organisations liées aux Frères musulmans en Europe. Elle est considérée par des analystes tels qu’Alison Pargeter comme “le réseau européen des Frères musulmans” (106), un point de vue repris par Ikhwanwiki, un site web en langue arabe géré par les Frères musulmans égyptiens (107). L’organisation a récemment été rebaptisée “Conseil des musulmans européens” (108). Tout au long de ce rapport, nous continuerons à utiliser le nom plus connu de “FIOE” pour plus de clarté.

Basée à l’origine au centre Markfield de la Fondation islamique dans le Leicestershire, la FIOE a déménagé à Bruxelles en 2007 (109), où elle est bien mieux placée pour contribuer aux débats politiques européens. Comme l’indique Martyn Frampton, “la fonction de la FIOE était d’unifier les efforts de ces branches nationales et d’agir comme un groupe de pression paneuropéen sur une série de “questions islamiques” telles que le débat sur le hijab” (110). La FIOE a contribué à la création de l’ECFR et de la FEMYSO (voir ci-dessous), entretient de bonnes relations avec le Hamas, qui figure sur la liste noire de l’UE (111), et organise des réunions du conseil de direction pour définir la stratégie au niveau paneuropéen (112).

Conseil européen pour la fatwa et la recherche (ECFR)

L’ECFR a été créé en 1997 à la demande de la FIOE, sous la direction de Yusuf al-Qaradawi (113), résident du Qatar. “Parmi ses membres notables figurent Faisal Mawlawi (vice-président), le grand mufti bosniaque Mustafa Ceric, Ahmad al-Rawi et Rashid al-Ghannouchi – des hommes tous très liés à l’idéologie des Frères musulmans” (114). Il est actuellement basé à Dublin, bien que son site web contienne relativement peu d’informations qui ne soient pas en arabe (115).

En plus de rassembler des érudits islamiques afin d’unifier la jurisprudence islamique à travers l’Europe (116), l’ECFR indique clairement comment les Frères musulmans cherchent à réglementer la conduite des musulmans vivant dans des démocraties libérales en Occident. Bien que l’approche de l’organisation puisse être ancrée dans la théologie du septième siècle, il convient de noter que l’ECFR utilise les méthodes les plus modernes pour diffuser ses idées – une partie de l’analyse qui suit est tirée du texte de l’application ECFR, disponible dans n’importe quel magasin d’applications européen.

En 2019, la controverse a éclaté au sujet de cette appli, qui aurait inclus des commentaires de Yusuf al-Qaradawi où il déclarait que les Juifs ont tendance à voler. De telles attitudes ne semblent pas rebuter les acheteurs potentiels – à un moment donné, l’appli figurait dans le top 100 des téléchargements d’Apple dans un tiers des pays européens (117).

Le premier des objectifs de l’ECFR est décrit comme étant de rassembler les universitaires qui vivent en Europe. Cependant, l’écrivain Alison Pargeter a constaté que de nombreux membres du conseil de l’ECFR résident au Moyen-Orient et ont eu des contacts limités avec l’Europe (118).

Le deuxième des quatre objectifs est décrit ainsi : “Émettre des fatwas collectives qui répondent aux besoins des musulmans en Europe, résolvent leurs problèmes et régulent leur interaction avec les communautés européennes, le tout dans le cadre des réglementations et des objectifs de la charia” (119). Pourquoi l’interaction entre les citoyens européens, quelle que soit leur confession, nécessite-t-elle une réglementation ? Et qui élit le Conseil européen de la fatwa et de la recherche, et ses organes constitutifs, pour mener cette réglementation ?

A third objective of the ECFR is to publish research on issues in Europe “in a way that achieves the objectives of the Shari’a and the interests of the people”(120). It is unclear what should happen if the objectives of sharia are not met, or if an individual or government considers that sharia does not meet the interests of the people or is not in accordance with the law.

Ailleurs, dans une section de l’application intitulée “Résolution (9/24) Normes européennes et leur impact sur les questions relatives aux femmes musulmanes”, l’ECFR semble déclarer la suprématie de son interprétation de la charia. Ils déclarent :

” Les normes et les traditions européennes sont dépourvues de valeur lorsqu’elles contredisent des dictats islamiques clairs, tels que l’appel à l’égalité totale entre l’homme et la femme dans le droit de l’héritage sous le couvert du changement de temps et de lieu. En effet, les règles de l’héritage sont déterminées par des textes clairs et sans équivoque qui ne sont pas affectés par les changements de temps et de lieu (121). Le droit successoral n’est qu’une des questions pour lesquelles l’ECFR semble vouloir placer les femmes derrière les hommes. Alors que le travail de lobbying d’organisations basées à Bruxelles, telles que le Forum européen des femmes musulmanes, se concentre sur les débats concernant le hijab en termes de discrimination à l’encontre de celles qui le portent, en soutenant que toute restriction à son égard porte atteinte aux droits des femmes musulmanes (122), il convient de considérer que l’ECFR dépeint en réalité le hijab non pas en termes de liberté, mais d’obligation. Une fatwa de 2002 enjoint aux femmes d’Europe de porter le hijab : “Ainsi, par sa tenue, elle se présente comme une femme sérieuse et honnête qui n’est ni une séductrice ni une tentatrice” (123).”

Et aussi “Nous devons convaincre la sœur que se couvrir la tête est une obligation religieuse décrétée par Allah (swt) et Son Messager Muhammad (pbuh) et acceptée par consensus par toute la Ummah” (124). Que l’ECFR s’exprime en ces termes ne devrait pas surprendre, car “dans l’Islam, de nombreux aspects de l’habillement (comme d’autres questions personnelles) sont religieusement proscrits et socialement normatifs” (125). Mais envisager le débat sur le hijab uniquement sous l’angle de la discrimination potentielle à l’encontre de celles qui le portent, c’est risquer d’ignorer le fondement théologique qui, pour certains, sous-tend cette question. L’obsession de la chevelure féminine, et une conception inquiétante de la subalternité des femmes par rapport aux hommes, apparaissent également à partir d’un avis religieux stipulant que la femme doit demander la permission de son mari pour se couper les cheveux : “Cette forme d’altération nécessite l’accord du mari et de la femme afin que leur relation ne soit pas affectée par ce changement radical de l’apparence de la femme. Étant donné qu’une femme musulmane ne montre pas ses cheveux en public ni devant des hommes étrangers, il devient vrai que le mari a le droit le plus important de jouir des cheveux de sa femme” (126).

D’autres fatwas controversées concernent la relation entre les musulmans et les non-musulmans. Un avis religieux de l’ECFR déclare : “Notre opinion est qu’un musulman ne doit jamais vivre parmi des non-musulmans en compromettant ou même en abandonnant son identité islamique, à moins que cette personne ne soit entièrement dominée et n’ait aucune autre option à choisir” (127). Ce point de vue est conforme à celui d’al-Qaradawi sur l’intégration (ou le manque d’intégration) évoqué plus haut.

Mais la plus méprisable est peut-être la fatwa de l’ECFR qui sanctionne la peine de mort pour apostasie :

” L’exécution de toute personne qui se détourne de l’islam relève de la responsabilité de l’État et doit être décidée par les seuls gouvernements islamiques. Les organisations et établissements islamiques ne peuvent pas prendre de telles décisions ni les appliquer. En tout état de cause, un nombre considérable de nos prédécesseurs (Salafs) ont convenu que tous ceux qui renient l’islam ne doivent pas être exécutés, mais plutôt ceux qui déclarent leur action en public et peuvent provoquer la Fitna en descendant le nom d’Allah (swt), de son prophète (pbuh) ou des musulmans. La punition de l’exécution dans ce cas est pour protéger et préserver la nation entière du mal que cet individu apportera sans aucun doute, et n’est pas un cas de confiscation de ses droits d’expression et de croyance. En effet, en commettant un tel acte, l’individu a transgressé les droits d’autrui ainsi que ceux de l’État et de la nation tout entière, qui passent avant les droits individuels de chacun. La législation moderne utilise le terme de “grande trahison” pour des crimes similaires à l’acte de celui qui se détourne de l’islam, l’annonce en public et mène une campagne contre l’islam et la nation tout entière (128). “

Institut européen des sciences humaines (EIHS)

Cet établissement d’enseignement a été créé par la FIOE en 1990 pour former des imams et développer les élites musulmanes (129), et a été décrit comme “le principal centre d’enseignement supérieur des Frères occidentaux” (130). Le principal théologien des Frères musulmans, Yusuf al-Qaradawi, siège à son conseil scientifique (131). Dans sa base de Château-Chinon en France, l’EIHS compte trois départements : un pour l’étude du Coran, un autre pour la théologie et le dernier pour l’arabe, mais il ne semble pas produire de travaux significatifs.(132) L’EIHS a ouvert un site en région parisienne en 2001 et à Strasbourg en 2018 (133). D’autres antennes ont également été créées en Allemagne (Francfort en 2013) et en Finlande (Helsinki en 2016) (134). Pierre Durrani, un Suédois qui a ensuite rejoint, puis quitté, les Frères musulmans, a étudié à l’EIHS en 1994, ses frais étant payés par le contribuable suédois. Il a déclaré qu’il s’était progressivement rendu compte qu’il s’agissait d’une institution des Frères musulmans, bien qu’elle comprenne des figures plus larges du “mouvement islamique” :

“Ses dirigeants et sa direction étaient des Frères ; la plupart de ses enseignants appartenaient à la Fraternité ou témoigner de la sympathie pour elle ; et la plupart des étudiants étaient des membres de la Fraternité ou des activistes prometteurs triés sur le volet par les dirigeants de la Fraternité dans leur pays d’origine (135)”.

Il existe une fertilisation croisée et un chevauchement considérables entre l’EIHS et d’autres groupes liés aux Frères musulmans. Par exemple, les seuls liens présents sur le site Web de l’EIHS de Birmingham au Royaume-Uni renvoient à sa branche parisienne et aux deux groupes paneuropéens traditionnellement associés aux Frères musulmans examinés ci-dessus – à savoir la Fédération des organisations islamiques en Europe et le Conseil européen pour la fatwa et la recherche (136).

Les membres fondateurs français de l’ECFR (à savoir Ahmad Jaballah, Al-Arabi Al-Bishri, Tahar Mahdi et Unis Qurqah) enseignaient tous à l’EISH de Château-Chinon (137). Ils sont également cités comme membres de l’ECFR dans le premier recueil de fatwas de l’ECFR traduit en anglais (138). Dans l’introduction du même ouvrage, le lien entre l’EISH, l’ECFR et le FIOE est explicité par Al-Qaradawi lui-même :

” Ces dernières années, un certain nombre de frères déterminés ont décidé de compléter la chaîne des installations et des établissements dont la communauté islamique ne pouvait tout simplement pas se passer. Ils ont donc créé la Fédération des organisations islamiques en Europe, qui a contribué à la création de l’Institut européen d’études humanitaires et islamiques en France, qui a vu sa première vague de diplômés l’année dernière et a depuis ouvert une nouvelle branche en Grande-Bretagne. En outre, le Conseil européen de la fatwa et de la recherche a également été créé, composé d’un certain nombre d’érudits respectables, qui travaillent pour délivrer des fatwas et des conseils dans certains des centres islamiques les plus importants à travers l’Europe, ainsi qu’un certain nombre d’érudits qui vivent dans le monde islamique, mais portent les inquiétudes et les angoisses de leurs concitoyens musulmans en Europe, leur rendent fréquemment visite et apprécient leurs conditions et leurs situations de vie (139). “

D’autres liens dignes d’intérêt ressortent du fait que Jaballah a été président de l’UOIF, qu’il fait partie de l’Union internationale des savants musulmans et qu’il est marié à Noura Jaballah, première présidente du Forum européen des femmes musulmanes (voir ci-dessous) (140).

Forum des organisations européennes de jeunes et d’étudiants musulmans (FEMYSO)

In 1995, the Swedish Ministry of Foreign Affairs and the Sveriges Unga Muslimer organization organized a conference on the topic of Islam in Europe. The following year, FEMYSO was established with the support of two Islamist organizations: the pan-European FIOE and the Islamic Foundation (UK) in 1996 (141). The presence of a Brussels-based organization, which claims to be representative of young Muslims, creates an important platform for lobbying all international organizations based in the European capital. FEMYSO is also a gathering in Europe of Islamist traditions from the Middle East and South Asia – the IBEW has long been associated with the beliefs of the Muslim Brotherhood, while the Islamic Foundation was established in the United Kingdom in 1973 by Khurshid Ahmad and Khurram Murad, prominent activists of Pakistan’s main clerical party, Jamaat-e-Islami (JeI) (142). The Islamic Foundation has long taken the issue of Europe seriously and has established an “Islam in Europe” center at its British headquarters. Tariq Ramadan’s book “To be a European Muslim” (1999) was researched during a sabbatical year at the center (143).

L’une des caractéristiques de FEMYSO est le nombre élevé de jeunes musulmans de tout le continent qui occupent des postes à responsabilité au sein de l’organisation et qui sont issus de familles éminentes des Frères musulmans. Cela illustre un élément central des groupes liés aux Frères musulmans en Europe : les multiples organisations représentatives, les associations caritatives et les plateformes créées et utilisées par un petit groupe d’activistes.

Le premier président de FEMYSO était Ibrahim el-Zayat, qui a ensuite occupé un nombre vertigineux de postes au sein des organisations représentatives des musulmans en Allemagne. Il représente également le lien avec la branche turque des Frères musulmans, par le biais de la société basée en Allemagne qui gère les mosquées de Millî Görüş’ dans toute l’Europe (Europäische Moscheebau und Unterstützungs Gemeinschaft – EMUG) (144). Sa fille Manal el-Zayat est diplômée de l’EIHS en France, et a épousé le fils de l’exilé des Frères musulmans basé en Grande-Bretagne Kamel el-Helbawy. En 2013, quatre membres de l’exécutif de la FEMYSO étaient les fils ou les filles de membres des Frères musulmans (145) ? parmi eux, la présidente de la FEMYSO de l’époque, Intissar Kherigi, fille du leader des Frères musulmans en Tunisie, Rachid Ghannouchi. Il s’agit d’un exemple intéressant de la manière dont la politique et les organisations étudiantes servent non seulement de terrain d’essai pour les enfants des activistes Frères musulmans, mais leur fournissent également un emploi rémunéré au sein du mouvement islamique. Cela peut ensuite contribuer à fournir les compétences, l’expérience et les alliances qui sont avantageuses pour les futures carrières dans le milieu universitaire, le lobbying ou la politique au niveau national ou européen.

FEMYSO a toutefois connu un succès plus important que celui d’être un simple véhicule d’emploi pour les familles des Frères musulmans. Elle détient un statut participatif auprès du Conseil de l’Europe et est membre de son Conseil consultatif sur la jeunesse(146). Son représentant actuel est Hande Taner, qui contribue aux mandats suivants : Coordinatrice du Conseil conjoint sur la jeunesse en matière d’antiracisme ; membre suppléant du Comité de programmation sur la jeunesse. Portefeuilles : Comité de gestion avec l’Ukraine ; Comité de gestion avec la Russie ; Coopération jeunesse UE-CoE.

FEMYSO a également bénéficié du soutien de la Commission européenne, comme nous le verrons plus en dans le chapitre suivant.

En 2019, la FEMYSO a déclaré se concentrer sur quatre principaux domaines de campagne : ce qu’elle décrit comme la citoyenneté active, les droits de l’homme et la lutte contre l’islamophobie, l’action interconfessionnelle/culturelle, et la campagne pour les élections européennes de 2019. En pratique, une grande partie de sa production semble consister à contribuer aux réunions de l’UE et/ou à faire campagne pour obtenir davantage de ressources dans des domaines tels que la lutte contre les préjugés anti-musulmans. Cela permet une coordination avec d’autres groupes islamistes. Par exemple, une lettre adressée à l’Union européenne en 2018 demandant que “le coordinateur de la Commission européenne sur la haine anti-musulmane ait un mandat clair et des ressources suffisantes” (147) comprenait la FEMYSO, le Conseil musulman de Grande-Bretagne (MCB) et CAGE, ce dernier étant surtout connu pour son travail à travers le monde pour soutenir les djihadistes présumés arrêtés pour des infractions terroristes et notoirement connu pour avoir décrit le bourreau de l’État islamique Mohammed Emwazi comme ayant été un “beau jeune homme” (148). Il reste à voir si le Brexit interrompra ces relations de travail entre le Royaume-Uni et l’Europe.

Forum européen des femmes musulmanes (EFOMW)

Cette organisation basée à Bruxelles a été créée en 2005 sous les auspices de l’UOIF (149). Elle se concentre principalement sur la défense des positions des Frères musulmans sur le hijab et sur les campagnes contre les préjugés anti-musulmans au niveau local, national et paneuropéen.

Sa première présidente était Noura Jaballah, membre de la FIOE, dirigeante de l’UOIF (150), et épouse du susnommé Ahmed Jaballah, impliquée dans l’UOIF, l’EISH, l’ECFR et l’IUMS (151). Jusqu’en 2019, sa présidente était Iman Sandra Pertek, universitaire à l’Université de Birmingham et ancienne employée du Secours islamique (152). Sa présidente actuelle est Dorsaf Ben Dhiab, de France. En 2019, le FEOMW a annoncé qu’il avait obtenu le statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC) (153).

Évaluation des pays sélectionnés

Autriche

Selon un rapport de 2017 de Lorenzo Vidino sur les Frères musulmans en Autriche, soutenu par le service de renseignement intérieur autrichien (l’Office fédéral pour la protection de la Constitution et la lutte contre le terrorisme (BVT)), les Frères musulmans en Autriche ont une présence particulièrement forte et des liens politiques comparativement plus importants que dans les autres États membres de l’Union européenne (154). Ceux-ci englobent de multiples domaines, dont la politique, les ONG et les activités commerciales.

L’organisation la plus pertinente est la Liga Kultur Verein (LKV) qui sert de branche nationale à la FIOE (155). Comme souligné ci-dessus, l’un de ses dirigeants historiques, Jamal Morad, a explicitement déclaré son appartenance aux Frères musulmans et son soutien aux objectifs de ces derniers, à savoir l’acquisition du pouvoir politique par le biais de l’activisme social. Il a également affirmé qu’aucune distinction n’existe entre la religion et la politique (156).

Selon le rapport de Vidino, la LKV a un partenariat déclaré avec des organisations interdites en Israël pour avoir fait partie du réseau de collecte de fonds du Hamas (157). En outre, la Liga a déjà accueilli une conférence de Hesham Bargash, membre de l’Union internationale des savants musulmans et déclaré persona non grata aux Pays-Bas en raison de son antisémitisme, de sa misogynie, de son homophobie et de sa glorification du djihad (158).

Liée à la LKV, la Communauté de foi islamique d’Autriche – Islamische Glaubensgemeinschaft in Österreich (IGGÖ), est reconnue par les autorités publiques comme le représentant officiel des musulmans autrichiens (159). En tant que telle, elle est financée par l’argent des contribuables.

Vidino identifie un lien entre l’IGGÖ et les Frères musulmans principalement à travers un réseau de relations familiales liées à l’Islamische Religionspädagogische Akademie (IRPA) – l’académie religieuse fondée par l’IGGÖ (160). Sa directrice, Amena El-Zayat, est la sœur de Manal El-Zayat (FEMYSO), de Bilal El-Zayat (membre fondateur de Muslimische Jugend Deutschland) et d’Ibrahim El-Zayat, qui dirigeait l’Islamische Gemeinschaft Deutschland (IGD), définie comme “la quintessence de la fraternité en Allemagne” (161). Ibrahim El-Zayat a également dirigé le FEMYSO de 1996 à 2002. Le site web officiel des Frères musulmans, Ikhwanweb, le cite comme “l’un des membres des Frères musulmans” (162).

La conclusion troublante est qu’en Autriche, l’interlocuteur du gouvernement en tant que représentant officiel des musulmans locaux est une organisation liée aux Frères musulmans.

Belgique

L’analyse récente la plus complète de l’islamisme en Belgique est le résultat d’une enquête parlementaire chargée de comprendre les circonstances générales qui ont conduit aux attaques terroristes de 2016 à Bruxelles. Le quatrième rapport, publié en 2017, est consacré à l’évaluation de la radicalisation dans le pays, et il est le résultat de plus de 60 auditions d’experts universitaires, d’agents publics, de praticiens de première ligne et de représentants d’organisations musulmanes (163).

L’image générale qui se dégage du rapport est la prédominance en Belgique de récits très conservateurs de l’islam. Selon le rapport, une personne intéressée par l’Islam dans le pays aura du mal à trouver du matériel qui ne véhicule pas une interprétation fondamentaliste de la religion (164) – un phénomène connu dans d’autres pays, parfois identifié comme une “salafisation de l’Islam” (165). Selon l’étude, le terrain a été préparé par une entreprise conjointe entre le courant wahhabisme/salafisme au sein de l’Islam et les Frères musulmans (166), qui en Belgique sont principalement représentés par la Ligue des musulmans de Belgique, membre de la FIOE (167). Le lien est à la fois personnel (les salafistes sont souvent invités à assister et à prendre la parole lors de rassemblements des Frères musulmans et vice versa) et idéologique :

“Outre une interprétation littérale et dévote, vecteur d’un conservatisme très marqué, au-delà d’un projet partagé d’islamisation, tous deux nourrissent une rhétorique victimaire et la polarisation de la société que cela entraîne inévitablement (“nous [musulmans]” la victime, “eux” le responsable) (168). “

Cette constatation est pertinente, car elle montre qu’il n’existe pas de séparation nette entre les différents courants de l’islamisme : ils partagent tous la conception selon laquelle l’islam doit dominer tous les aspects de la vie et poursuivent tous l’objectif ultime d’un État fondé sur la charia. Parfois, ils sont en concurrence, parfois ils s’allient pour atteindre cet objectif.

Un exemple pertinent de cette joint-venture est la Grande Mosquée de Bruxelles : cédée à l’Arabie saoudite par le gouvernement belge en 1969 – contrôle auquel les Saoudiens ont renoncé en 2018 (169) -, la mosquée a été traditionnellement décrite comme un foyer du salafi-wahhabisme, mais ses liens avec les Frères musulmans ont été passés sous silence. À l’inverse, l’enquête identifie ” une influence significative de la pensée des Frères musulmans sur le type d’islam propagé par la Grande Mosquée et le Centre culturel islamique “. Ceci a été confirmé par les auditions de l’imam de la mosquée et du directeur du Centre culturel islamique, qui ont tous deux admis aligner leurs fatwas sur celles du Conseil européen pour la fatwa et la recherche (170).

Avec le soutien des États du Golfe (171), les wahhabites et les Frères musulmans ont, depuis les années 1980, encouragé la polarisation entre les musulmans et les Occidentaux, en utilisant une rhétorique victimaire (172) et un discours manichéen contre les “infidèles” et les “croisés” (173). Ils ont également largement diffusé la haine et l’extrémisme, dans les mosquées et dans les rues. Une publication wahhabite librement distribuée dans la rue dans les années 1980 et 1990 suggérait de jeter les homosexuels du haut des toits – ce que l’État islamique mettra plus tard en œuvre (174).

Si, avec le temps, la rhétorique est devenue plus subtile, du moins de la part des Frères musulmans, cela n’implique pas un changement dans les objectifs mais surtout dans la tactique, affirme l’enquête. Par conséquent, si les Frères musulmans n’incitent pas à la violence “du moins de manière franche et directe”, ils adoptent également un “double langage” dans lequel la façade des déclarations publiques n’est qu’une “scène avant” et un “aimant pour une scène arrière” où les “remarques sont plus incisives, tendancieuses et, en tout cas, remarquablement moins consensuelles” (175). En outre, le rapport considère l’idéologie des Frères musulmans comme une idéologie omniprésente visant à imposer un contrôle religieux strict sur tous les aspects de la vie – individuelle, sociale et politique – tel que déterminé par une lecture conservatrice et littérale des écritures. Cette attitude est considérée comme problématique et omniprésente, dans la mesure où elle exerce une forte influence sur de nombreux musulmans qui, sans nécessairement s’en rendre compte, vivent leur foi selon l’éthique de la confrérie (176).

La Commission parlementaire accuse également les autorités belges de laxisme, et donc d’avoir une responsabilité dans la propagation des doctrines islamistes. La violence ne naît pas du néant, mais elle est la conséquence de la diffusion d’idéologies radicales. C’est pourquoi l’étude recommande un ensemble de mesures visant à endiguer les activités islamistes, en demandant à l’État de mettre immédiatement un terme au soutien accordé aux organisations islamistes, de contrôler tous les bénéficiaires de fonds publics, de surveiller les vecteurs de propagation extrémiste dans les centres religieux, culturels et récréatifs, de contrôler les financements étrangers et de promouvoir une version éclairée de l’islam pour contrer les courants Frères musulmans et salafistes dominants (177).

France

En France, le principal représentant de la FIOE est Musulmans de France, renommé comme tel en 2017 après avoir été connu sous l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, Union des organisations islamiques de France). Peut-être typiquement pour ce milieu, l’UOIF a déclaré ne pas faire partie des Frères musulmans, mais se réclamer de leur pensée (178).

Les Musulmans de France ne sont pas seuls. Un récent rapport du Sénat français, rédigé par une commission d’enquête chargée d’évaluer le phénomène de la radicalisation islamiste en France, parle des Frères musulmans dans le pays comme d’un réseau profondément enraciné, comptant 50 000 personnes réparties dans 200 organisations, 147 lieux de culte et 18 écoles (179). La description des activités et des objectifs de ces organisations suit le schéma décrit ci-dessus : selon les analystes, qu’ils travaillent sur le marché halal, le pèlerinage à la Mecque ou tout autre type d’occupations apparemment neutres, l’objectif à long terme est l’acquisition de capitaux à dépenser sur la scène politique (180).

Concernant l’aspect idéologique, le rapport décrit les Frères musulmans comme un réseau ayant ” un projet salafiste sous une couche de sucre de la modernité ” (181). Un exemple marquant : en 2000, l’UOIF a exigé le retrait d’une clause sur la liberté de changer de religion d’un document signé par le ministère de l’Intérieur avec les principaux représentants des musulmans de France (182).

Dans l’ensemble, le rapport met en garde contre l’islam politique dans la mesure où il a un projet hégémonique, qu’il poursuit en encourageant un “séparatisme islamiste”.(183) Les recommandations politiques sont donc conformes à celles d’analyses similaires menées dans d’autres pays européens, mais qui n’ont pas encore été adoptées au niveau paneuropéen : éviter d’essentialiser les musulmans sous une représentation islamiste, réaffirmer fermement les principes laïques face à l’islam comme seul moyen de garantir l’égalité des citoyens, éviter l’ingérence religieuse dans la politique et rejeter le communautarisme, qui crée des divisions et une jouissance inégale des droits.(184)

Quelques semaines après la présentation de ce rapport, le gouvernement français a annoncé un projet de loi “contre le séparatisme” et pour un Islam progressiste (Islam des Lumières) qui intègre les recommandations du rapport. Le projet de loi, officiellement intitulé “Renforcer les principes de la République”(185), est actuellement examiné par le Parlement français. Il a reçu une forte impulsion après la décapitation de l’instituteur français Samuel Paty, coupable aux yeux de son assassin, et du vaste réseau qui l’a incité, d’avoir offensé l’islam en montrant à des élèves des caricatures satiriques de Mahomet dans le cadre de son enseignement(186).

Le projet de loi décrit le danger islamiste de la manière suivante :

Un entrisme communautariste insidieux mais puissant détruit lentement les fondements de notre société dans certaines régions. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. Il est la manifestation d’un projet politico-religieux conscient, théorisé, dont l’ambition est de faire prévaloir les normes religieuses sur la loi générale que nous nous sommes librement donnée. Elle met en branle une dynamique séparatiste qui vise la division.(187)

Le projet de loi contient une série de mesures visant à lutter contre ce phénomène. Parmi celles-ci, on trouve des dispositions visant à assurer la neutralité des prestataires de services publics, à garantir que tout bénéficiaire de subventions publiques respecte les grands principes démocratiques libéraux, à lutter contre les mariages forcés et à interdire les certificats de virginité, à renforcer le contrôle des programmes des écoles privées et à limiter l’enseignement à domicile pour les enfants. Le projet de loi contient également des articles visant à assurer une protection plus efficace des agents publics menacés et à criminaliser la diffusion en ligne de données privées susceptibles de mettre une personne en danger. Les associations religieuses et culturelles ainsi que les lieux de culte font également l’objet d’un contrôle renforcé, visant notamment à éviter qu’ils ne soient contrôlés par des groupes radicaux, ainsi que le phénomène des organisations religieuses déguisées en organisations culturelles pour échapper à la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État et bénéficier ainsi de financements publics.(188)

L’effort du gouvernement français contre l’islamisme s’est également poursuivi dans le dialogue avec le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). Cet organisme, créé en 2003 en tant qu’interlocuteur officiel du gouvernement français pour toutes les questions liées aux activités religieuses islamiques, comprend plusieurs organisations, souvent en opposition les unes avec les autres, qui sont liées à différents pays et représentent différentes idéologies – y compris islamistes. (189) En janvier 2021, le CFCM a approuvé une “Charte des principes de l’islam de France” qui oblige les signataires à respecter la Constitution française et les principes de libérté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, et à ne jamais invoquer de convictions religieuses pour déroger aux obligations civiles. La Charte comporte également un engagement crucial en faveur du respect de la liberté d’apostasie à l’égard de l’Islam, elle rejette la pratique hideuse du takfir (une excommunication qui peut être assimilée à une menace de mort), ainsi que toute discrimination fondée sur la religion, le sexe ou l’orientation sexuelle. En outre, la Charte répudie “toute forme d’ingérence ou d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques”, en mentionnant explicitement le salafisme/wahhabisme, le tabligh, les Frères musulmans et les factions nationalistes qui y sont rattachées. Ce rejet clair de l’islamisme est également évident dans l’utilisation de l’expression “haine antimusulmane” au lieu de l’expression politiquement chargée “islamophobie”, et dans le rejet des concepts au cœur de l’idéologie de division des islamistes, tels que dar al-harb et dar al-islam, al-wala wa-l bara (aimer et haïr pour l’amour d’Allah), et takfir wa-l hijra (excommunication et exode de la société impie). (190)

Dans le camp des Frères musulmans, la Charte a été signée par l’ancienne UOIF et rejetée par Millî Görüş, qui s’est sentie particulièrement visée par la référence aux influences étrangères.(191) Il sera intéressant de suivre de près les prochaines phases pour voir dans quelle mesure ce clivage reflète un fossé idéologique, une rivalité géopolitique ou une divergence tactique mise en scène.

Enfin, la France a pris des mesures contre le matériel extrémiste des organisations islamistes distribué en Europe. Une succession de stations de télévision par satellite soutenant les Frères musulmans ont été lancées en Turquie ces dernières années, cherchant à diffuser à l’échelle internationale. La première à fonctionner dans ce pays, Rabea TV, a été retirée du système de diffusion Eutelsat après que les autorités françaises ont constaté qu’elle diffusait des images violentes. Sur les chaînes existantes, la violence, les thèmes anti-occidentaux et l’antisémitisme sont fréquents.(192)

République d’Irlande

L’Irlande n’est pas le premier pays auquel on pense lorsqu’on évoque l’islam ou ses manifestations politiques. Pays historiquement catholique qui s’est laïcisé au cours des dernières décennies, l’Irlande a connu des taux de migration musulmane plus faibles que d’autres États d’Europe occidentale. Cependant, l’Irlande est le pays où les Frères musulmans ont placé le cœur de leurs opérations théologiques en Europe – le Conseil européen pour la fatwa et la recherche – dont nous avons parlé plus haut dans ce rapport.

L’ECFR est basé au Centre culturel islamique d’Irlande à Clonskeagh, Dublin. Hussain Halawa, basé à Dublin, est son actuel secrétaire général. Le chercheur irlandais Mark Humphrys rapporte qu’en 2011, une Norvégienne-Syrienne, Sara Azmeh Rasmussen, a manifesté devant le centre pour s’opposer au soutien de l’ECFR à la peine de mort pour les homosexuels. À la suite d’une rencontre avec Hussain Halawa, les médias norvégiens ont rapporté qu’on lui avait dit qu’elle était malade, et que pour ceux qui “poussent” l’homosexualité sur les autres, la charia ne prévoit qu’une seule punition – la peine de mort.(193) En 2018, le Dr Ali Selim, du centre culturel islamique, a plaidé à la télévision irlandaise en faveur de la circoncision féminine, et s’est plaint de la couverture médiatique critiquant cette pratique.(194)

Malgré ces attitudes, l’État irlandais a fréquemment invité l’imam Hussain Halawa du centre à participer à des événements officiels, par exemple en 2019, lorsqu’il a lu des passages du Coran lors de la Journée nationale de commémoration de l’Irlande, au cours de laquelle la nation rend hommage à tous les hommes et femmes irlandais tués dans les conflits.(195) En 2016, le président irlandais Michael D Higgins a visité le centre de Clonskeagh et, de manière quelque peu incongrue, l’a félicité pour sa “lutte contre les préjugés”.(196)

Suède

La Suède est l’un des pays de l’UE où la présence de musulmans par habitant est la plus forte, puisqu’elle représente plus de 8 % de sa population(197). Cette situation, associée à une tradition de politiques multiculturalistes, a créé un terrain fertile pour la pénétration d’organisations islamistes dans le pays. Le réseau des Frères musulmans est actif en Suède depuis la fin des années 1970. L’une des premières campagnes des Frères musulmans a consisté à diffuser des brochures invitant les musulmans à se “soumettre” à la foi – décrite comme un système d’idées “englobant” -, à éviter de suivre les règles laïques et à exercer un contrôle étroit sur les filles.(198)

Depuis lors, les Frères musulmans ont développé un réseau d’organisations fortement soutenues par l’État et les autorités locales, tant sur le plan financier que sur le plan organisationnel(199). La plus importante est l’Association islamique de Suède (Islamiska Förbundet i Sverige – IFiS), fondée en 1987 à Stockholm “afin de donner un statut d’organisation publique aux différents organes des Frères musulmans en Suède”(200). En outre, l’un des plus éminents dirigeants du réseau suédois des Frères musulmans et chef de l’Association musulmane de Suède, Mahmoud Aldebe,(201) a déclaré explicitement :

” Les Frères musulmans sont en Suède établis sous le nom d’Association islamique en Suède … la grande mosquée de Stockholm est détenue, contrôlée et gouvernée aujourd’hui par l’Association islamique, qui a ses racines dans les Frères musulmans, Ikhwan al-Muslimun, qui est un mouvement religieux qui a une direction sociale et politique inhérente … les représentants de l’Association [islamique] sont actifs dans de grandes parties de l’islam organisé en Suède. Ils contrôlent, entre autres, les Associations islamiques unies de Suède (FIFS), l’Association d’étude Ibn Rushd (IR), les Jeunes musulmans de Suède (SUM), la mosquée de Stockholm et la mosquée de Göteborg. Par le biais de leurs organisations membres, ils gouvernent le Conseil musulman de Suède (SMR).(202) “

Cette lettre ouverte d’Aldebe fait également la lumière sur la structure et la ramification du réseau Frères musulmans en Suède.

Aldebe et l’IFiS incarnent tous deux de manière vivante les croyances des Frères concernant les musulmans et leur relation avec le reste de la société. Dans les années 1980, Aldebe, en collaboration avec l’ancien Office suédois de l’immigration, a rédigé un texte intitulé “Comprendre l’islam”, dans lequel il le décrit comme un système global de règles auxquelles l’humanité doit obéir dans tous les aspects de la vie. (203) Il a réitéré ces concepts dans une lettre ouverte envoyée en 2016 au Parlement suédois, où il est allé jusqu’à exiger un ensemble de lois distinctes conformes à la charia pour les musulmans, y compris la séparation des garçons et des filles dans les cours de natation, l’enseignement à domicile en arabe pour les enfants musulmans, et les divorces sanctionnés par un imam.(204)

En 2016 et 2017, l’Agence suédoise de contingence civile (un organe administratif relevant du ministère de la Justice et chargé de la sécurité nationale) a commandé deux rapports sur les Frères musulmans en Suède. Ces rapports véhiculent une image négative des activités et des objectifs des islamistes dans le pays. Ils soulignent le rôle de division des organisations islamistes, qui ont créé :

“une structure sociétale parallèle qui entre en concurrence avec le reste de la société pour les systèmes de valeurs des citoyens suédois. De cette manière, les militants des Frères musulmans constituent un défi à long terme en termes de cohésion sociale du pays.(205) “

Selon ces études, cela est principalement dû à une rhétorique de division qui essentialise les musulmans et les oppose au reste de la société, dans le but d’empêcher leur intégration au sein de cette dernière.(206) Les rapports soulignent également la menace que représentent les organisations des Frères musulmans pour les valeurs démocratiques libérales, et critiquent le rôle de l’État qui soutient indirectement cette entreprise :

” Le fait de donner aux organisations associées aux Frères musulmans la possibilité de développer leurs activités présente un dilemme : cela signifie que l’État (ou d’autres bailleurs de fonds) offre un financement fiscal à un petit groupe d’acteurs qui diffusent des messages portant atteinte aux valeurs dominantes de la société. Les valeurs remises en cause par les militants des organisations associées aux Frères musulmans concernent la liberté d’expression en matière religieuse, la valeur de l’égalité entre les hommes et les femmes, le regard porté sur l’homosexualité et les minorités sexuelles, ainsi que les expressions antisémites.(207) “

Les auteurs affirment que le soutien de l’État et des autorités locales aux Frères – un phénomène qui se produit partout en Europe – a atteint en Suède son “point le plus extrême”, et qu’il est directement responsable d’avoir empêché l’établissement d’autres formes d’islam différentes des “islamistes soi-disant modérés que représente les Frères musulmans”.(208)

Une autre source d’informations sur les Frères musulmans en Suède est Pierre Durrani, qui s’est exprimé publiquement sur son passage dans l’organisation.(209) Après avoir été un membre éminent du conseil d’administration des Jeunes musulmans suédois, Durrani a rejoint les Frères, après avoir étudié à l’Institut européen des sciences humaines. En Suède, les Frères musulmans “disposaient d’une structure relativement sophistiquée, mais totalement secrète, qui ressemblait à celle du groupe mère en Égypte”(210). Leurs réunions privées se tenaient en arabe, et non en suédois, et Durrani a assisté à des réunions où des propos racistes étaient tenus à l’égard des Suédois et des musulmans africains.(211) Une autre transfuge des cercles suédois des Frères, Pernilla Ouis, trouvait l’organisation anti-suédoise et misogyne. En tant que femme, elle n’a jamais été membre, “mais un rouage dans la machine du milieu des Frères suédois”(212).

Durrani déclare que la Suède est un lieu idéal pour le processus d’islamisation des Frères musulmans, les Frères se voyant accorder le statut d’expliquer l’islam à un État-nation qui a inscrit le multiculturalisme dans son approche des minorités. Lorenzo Vidino conclut que “les Frères exploitent le concept de multiculturalisme comme le meilleur véhicule pour faire avancer ce programme de création d’une société parallèle, dirigée par eux et financée par l’État suédois”(213) .

Royaume-Uni

La difficulté d’évaluer les Frères musulmans dans les pays européens est illustrée par le bilan du Royaume-Uni. L’ancien Premier ministre britannique David Cameron écrit dans ses mémoires que “l’approche du gouvernement britannique à l’égard des Frères musulmans était profondément confuse”(214), certains départements gouvernementaux ne voulant pas travailler avec lui, d’autres cherchant à s’engager avec les Frères musulmans en raison de leurs progrès au Moyen-Orient et de leur influence croissante dans certaines parties du Royaume-Uni.

En 2015, le gouvernement britannique a partiellement publié un rapport dont Cameron avait espéré qu’il apporterait une approche unifiée : ” Muslim Brotherhood Review : Main Findings.”(215) Rédigé par un ancien diplomate de haut rang, Sir John Jenkins, et Charles Farr, directeur général du Bureau de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme au sein du ministère de l’Intérieur, le rapport a révélé que dans les années 1980 et au début des années 1990, “les Frères musulmans et leurs associés ont développé une nouvelle stratégie d’engagement national dans les communautés occidentales” et que “l’objectif déclaré de l’engagement n’était pas seulement de promouvoir les Frères musulmans à l’étranger, mais aussi de préserver l’autonomie des communautés musulmanes.” Parmi les nouvelles organisations fondées au Royaume-Uni, “aucune n’était ouvertement identifiée aux Frères musulmans et l’appartenance à cette organisation restait (et reste toujours) secrète”(216).

Il est presque certain que cette politique du secret au Royaume-Uni a été reproduite en Europe continentale. Les auteurs ont également estimé que la Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE) avait été créée par la Confrérie, et que le Conseil européen pour la fatwa et la recherche (ECFR) était “un autre organe paneuropéen des Frères musulmans, destiné à fournir une orientation religieuse et sociale aux musulmans vivant en Europe”(217).

Le rapport souligne les liens idéologiques entre les Frères et le djihadisme, conséquence de l’enseignement de Hasan al-Banna : ” Hassan al Banna a accepté l’utilité politique de la violence, et la confrérie a mené des attaques, y compris des assassinats politiques et des tentatives d’assassinat contre des cibles de l’État égyptien et des intérêts britanniques et juifs durant sa vie “. Il précise également que la conception du jihad de Qutb “n’était ni uniquement spirituelle ni défensive”, et que ses vues, bien que parfois réinterprétées, “n’ont jamais été institutionnellement désavouées” par les Frères musulmans, qu’elles “continuent d’être explicitement approuvées par de nombreuses personnalités des Frères musulmans” et que les idéaux de Qutb “restent au centre du programme de formation des Frères musulmans”(218).

Les auteurs concluent : “certains aspects de l’idéologie et des tactiques des Frères musulmans, dans ce pays et à l’étranger, sont contraires à nos valeurs et ont été contraires à nos intérêts nationaux et à notre sécurité nationale.”(219)

CHAPITRE 5

Les institutions européennes et les Frères musulmans

Financement de l’Union Européenne des organisations liées aux Frères musulmans

Malgré les problèmes exposés dans les chapitres précédents et la reconnaissance, dans plusieurs pays européens, du caractère problématique des Frères musulmans, les institutions européennes continuent de s’engager et de soutenir les organisations liées aux Frères musulmans. Les exemples les plus visibles prennent la forme d’un financement direct.

Secours islamique (Islamic Relief)

Selon le système de transparence financière de la Commission européenne(220), en 2019, Islamic Relief Germany a reçu un financement européen de plus d’un demi-million d’euros. En 2018, la Commission européenne a accordé 400 000 euros à Islamic Relief Worldwide et 340 000 euros à Islamic Relief Germany. Dans le cadre du Fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique, elle a en outre apporté son soutien au Secours islamique Kenya dans le cadre d’une initiative triennale pour l’éducation et la formation des jeunes.(221)

Dans le prochain chapitre, nous fournirons une analyse spécifique du Secours islamique, de ses liens avec les Frères musulmans et l’extrémisme, ainsi que des détails supplémentaires sur l’implication de l’UE dans cette organisation.

Forum des organisations européennes de jeunes et d’étudiants musulmans (FEMYSO)

Des questions ont été posées à Bruxelles en ce qui concerne le financement de FEMYSO. En 2014, l’eurodéputé conservateur de Londres de l’époque, Charles Tannock, a écrit à la Commission européenne en notant les sommes versées à FEMYSO par le Fonds européen pour la jeunesse, un projet financé par le Conseil de l’Europe(222), et en demandant si la Commission européenne soutenait également le travail du groupe. FEMYSO a effectivement reçu des fonds importants de la Commission européenne. Le système de transparence financière de la Commission révèle ce qui suit :(223)

Les inquiétudes concernant ces sommes ont persisté. En 2017, la Commission européenne a répondu :

“Les organisations religieuses sont des partenaires précieux dans les efforts déployés par les institutions européennes pour atteindre les jeunes et lutter contre l’exclusion sociale, la marginalisation et toutes les formes de discrimination. La Commission confirme que des représentants du Forum des organisations européennes de jeunes et d’étudiants musulmans (FEMYSO) ont été invités à des manifestations et activités de la Commission dans le domaine de la lutte contre le racisme et la discrimination, de l’éducation et des politiques de la jeunesse.(224)”

Sans nier les liens de la FEMYSO avec les Frères musulmans, la Commission européenne a également cherché à écarter les critiques concernant les personnes avec lesquelles elle est disposée à travailler et à financer :

” La liste des personnes, groupes et entités faisant l’objet de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme est régulièrement révisée et mise à jour par la décision du Conseil (PESC) 2016/1136 du 12 juillet 2016. Les Frères musulmans et la FEMYSO ne font pas l’objet de mesures restrictives de l’UE.(225)”

En 2012, la Commission européenne a cofinancé à hauteur de 70 187,25 euros un projet de “Réseau de surveillance et d’action contre l’islamophobie” (IMAN), géré par FEMYSO et le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF). (226) Il convient de noter que le CCIF a été dissous par le gouvernement français à la suite du meurtre de Paty, en raison de sa “propagande islamiste pluriannuelle”, de ses relations avec “certains membres de la galaxie djihadiste” et avec des prédicateurs radicaux qui encouragent la lapidation, sa promotion publique de discours homophobes et antisémites, sa relativisation ambiguë des actes terroristes et son inaction face aux commentaires sur ses réseaux sociaux de followers se réjouissant de l’assassinat de Paty et des journalistes de Charlie Hebdo. (227)

L’université islamique de Gaza (IUG)

Un autre bénéficiaire associé aux Frères musulmans de l’argent des contribuables européens est l’Université islamique de Gaza, qui a reçu 88 338 euros en 2018 et 490 612 euros en 2019 à travers quatre projets différents. L’IUG a également été admise au programme Erasmus+. À ce titre, elle a reçu des financements dans le cadre de consortiums de projets.(228) En 2019, la délégation de l’UE a fièrement rendu visite au premier étudiant européen Erasmus+ en échange à l’IUG.(229)

Les liens de l’IUG avec le Hamas (branche palestinienne des Frères musulmans), qui figure sur la liste noire de l’UE, ont été largement documentés par un rapport de 2020 du Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, qui a également dénoncé le soutien continu que l’université a reçu de l’Union européenne(231).

Il est intéressant de noter que la Commission européenne, interrogée par un député européen sur les liens entre l’IUG et le Hamas, a habilement évité d’aborder le fond de la question(232). Pourtant, en 2008, l’armée israélienne a attaqué l’IUG au motif que sa faculté de sciences avait été utilisée pour développer des armes, qui étaient également stockées dans les locaux de l’université. Auparavant, lors des combats intra-palestiniens, avant que le Hamas ne prenne le contrôle total de la bande de Gaza, le Fatah avait confisqué les armes stockées à l’université.(233)

La Fondation Lokahi

La fondation Lokahi, basée au Royaume-Uni, est un autre bénéficiaire récent de fonds européens ayant des liens avec les Frères musulmans. En 2008, un député britannique a remis en question le soutien du gouvernement britannique à la Fondation Lokahi en raison de ses liens avec des groupes et des individus associés aux Frères musulmans, tels que la Fondation Cordoba, IslamExpo et Tariq Ramadan.(234) Ces liens n’ont pas empêché l’UE d’accorder à la Fondation Lokahi plus de 779 000 euros au cours de l’exercice 2017-2018.(235)

En 2019, Federica Mogherini, alors Haute Représentante de l’UE – Vice-présidente, a lancé un “Échange mondial sur la religion dans la société” en partenariat avec la Fondation Lokahi. Le Comité Laïcité Republique, organisme français pro-laïque, a qualifié l’échange mondial de “bombe à retardement anti-laïque”.(236)

L’Association musulmane d’Irlande et l’approche de la radicalisation par la charia

Bien que moins récente, cette affaire est significative car elle montre que, parfois, la Commission européenne est pleinement consciente de financer des projets promouvant l’islamisme – du moins au sens idéologique de la propagation de la charia. En effet, en 2012, la DG Home a accordé 449 816 euros à la Muslim Association of Ireland Friendly Society (MAI) pour un projet intitulé “Approche communicative fondée sur la charia pour prévenir et combattre les formes contemporaines de radicalisation menant au terrorisme domestique dans l’UE”.(237)

La MAI est membre de la FIOE,(238) et elle a des liens avec le Centre culturel islamique d’Irlande,(239) l’organisation qui héberge le Conseil européen pour la fatwa et la recherche et qui a accueilli l’Union internationale des savants musulmans. On ne comprend pas immédiatement pourquoi la Commission européenne finance et soutient des projets “fondés sur la charia” mis en œuvre par des organisations liées aux Frères musulmans.

Le “projet safran” : blanchir les Frères musulmans ?

Parfois, le soutien de la Commission européenne aux organisations islamistes, à leurs sympathisants et à leurs complices involontaires ne passe pas inaperçu. En 2018, la Commission européenne s’est retrouvée impliquée dans une tempête de controverses en raison du projet de lutte contre la radicalisation “Saffron”, cofondé par le Fonds de sécurité intérieure de l’UE. Des députés européens et des articles de presse ont estimé que certaines vidéos de la campagne YouTube contre-narrative de Safran, appelée “#Heartofdarkness”, pouvaient en fait être lues comme fournissant des justifications au djihadisme et blanchissant les Frères musulmans.(240) Ils ont été les protagonistes d’une vidéo censée expliquer le concept de djihad, mais de facto une plateforme pour les Frères musulmans, présentés comme une organisation pacifiste.

Dans une rare reconnaissance, la Commission a admis être “consciente des préoccupations suscitées par la vidéo “#spot7’Jihad”, et globalement par la campagne #Heartofdarkness. Elle a donc demandé au consortium chargé de la mise en œuvre de fournir des éclaircissements, menaçant de prendre “les mesures nécessaires si, après examen du rapport final et de ses résultats, une quelconque lacune contractuelle ou autre était démontrée”.(241) Cela a conduit au retrait des vidéos de YouTube, où elles n’ont pas été rechargées à ce jour.

Le scandale du “rapport sur l’islamophobie”

Le plus grand scandale de ces derniers temps a sans doute été l’implication de la Commission européenne dans le rapport 2018 sur l’islamophobie publié par le groupe de réflexion turc SETA. (242) Ce dernier est connu pour être proche du président Recep Tayyip Erdoğan,(243) et son rapport annuel sur l’islamophobie pourrait être plus exactement qualifié de “Frérophobie”,(244) dans la mesure où il censure les critiques à l’égard des Frères musulmans et du parti AK turc.(245)

Différentes éditions du Rapport sur l’islamophobie ont été présentées au Parlement européen par des eurodéputés de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) et des Verts européens.(246) L’édition 2018 a en outre reçu un soutien financier de 126 951,81 euros de la Commission européenne,(247) et elle arbore un logo avec un drapeau commun Turquie-Union européenne et une légende indiquant “Ce projet est financé par l’Union européenne”.

La publication de ce rapport a suscité une vive réaction de la part des médias, des opposants musulmans à l’islamisme et des responsables politiques de l’UE. Dans une lettre ouverte adressée à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, un groupe d’universitaires et d’intellectuels musulmans allemands a dénoncé le soutien de l’UE à un rapport qui regroupe, sous la définition d'”islamophobie”, à la fois les extrémistes d’extrême droite et les musulmans réformistes. Ils ont également critiqué la méthodologie médiocre du rapport et l’amalgame entre la discrimination des musulmans et la critique des principes religieux et de l’islam politique, sous le dénominateur commun de l'”islamophobie”.(248) Des questions parlementaires interpellant la Commission sur les raisons de son soutien ont été posées par un large éventail d’eurodéputés des groupes ECR,(249) PPE,(250) ID(251) et S&D(252).

Différents types d’engagement

L’engagement de l’UE auprès des Frères musulmans n’a pas pris la forme d’un simple financement. Les individus et les organisations gravitant autour des Frères musulmans jouissent d’une présence régulière auprès des institutions et agences européennes, sous différentes formes. Nous présentons ci-dessous un certain nombre de cas, que nous considérons comme des informations de base importantes pour se faire une idée du type de liaisons qui se produisent entre les fonctionnaires et les institutions de l’UE et le réseau des Frères.

La publicité pour l’islamisme lors d’un séminaire du Service européen d’action extérieure

Le 18 octobre 2017, le Service européen d’action extérieure (SEAE), en collaboration avec l’Institut européen d’administration publique (IEAP), a organisé un séminaire sur “l’islam politique et l’islam en politique” pour le personnel du SEAE et de la Commission européenne. (253) Il est intéressant de citer longuement le matériel promotionnel de l’événement. Le séminaire était :

“Conçu pour remettre en question des préjugés souvent rencontrés sur le rôle de l’islam politique et de l’islam en politique. Le premier est l’idée que la démocratie est en quelque sorte incompatible avec l’Islam. Ce séminaire présentera des recherches fondées sur des preuves suggérant qu’il existe un modèle clair de soutien dans le monde musulman pour une démocratie respectueuse de la charia [sic] et des candidats politiques pieux, mais pas pour un contrôle clérical de la politique”.

Un autre objectif était d’illustrer comment l’UE s’engage avec les Frères musulmans et les acteurs salafistes dans différents pays. Globalement, le séminaire avait quatre objectifs principaux, à savoir expliquer aux participants : 1) les sources et les variantes de la “démocratie musulmane” ; 2) des idées pour repenser et renouer avec l’islam politique ; 3) comment considérer la participation politique salafiste ; 4) l’impact sur l’UE de l’interaction avec les différentes expressions politiques de l’islam”.

L’un des formateurs était Sondos Asem, précédemment conseillère en communication du parti égyptien des Frères musulmans pour la liberté et la justice et du président Mohammed Morsi. Elle a également été rédactrice en chef du site Internet anglophone des Frères musulmans, Ikhwanweb. (254) Dans la section biographique du programme, elle était explicitement décrite comme “une partisane du dialogue entre les Frères musulmans et l’Occident”.

Nombre des lectures recommandées semblent être un soutien aux islamistes et à leur prétendu engagement en faveur de la démocratie. Parmi elles, l’ouvrage de Rached Ghannouchi intitulé “De l’islam politique à la démocratie musulmane”. Bien que nous ne sachions pas comment cela a été discuté par les formateurs, ce que nous remarquons, c’est l’absence, parmi les documents fournis, de l’une des nombreuses voix musulmanes qui se méfient des références démocratiques d’Ennahdha et de la supposée voie “post-islamiste” en Tunisie. Les autres articles ont suivi une ligne similaire en louant la “voie islamique” vers la démocratie. L’un d’entre eux analysait le double soutien de nombreux musulmans à la démocratie et à la charia [ce qui est exactement la position des Frères musulmans, comme nous l’avons expliqué tout au long de cet article], et concluait en affirmant que :

” Si le soutien à la politique démocratique musulmane n’implique pas nécessairement un soutien à l’égalité des sexes ou aux normes libérales avancées, l’article affirme également qu’il n’implique pas non plus un soutien à l’autoritarisme électoral. […] Les enquêtes, explications et résultats présentés ici soulignent tous la présence importante d’un milieu démocratique musulman dans la région, un milieu qui rejette la démocratie laïque et l’autoritarisme religieux. Il s’agit donc d’un public qui, dans l’ensemble, a rejeté le retour à la politique du califat proposée par l’État islamique, mais qui a également rejeté les visions modernes laïques de Bourguiba et d’Atatürk. Si la démocratie est l’avenir de la région, comme l’espère le public musulman, la mobilisation de ce milieu démocratique musulman sera la clé de sa construction.(255) “

De même, la conclusion d’une autre lecture préparatoire était que :

“C’est la démocratie musulmane – et non les autoritarismes grinçants et fragiles dont le monde musulman est si assailli – qui offre au monde entier le meilleur espoir d’un rempart efficace contre l’islamisme radical et violent. La démocratie musulmane fournit un modèle de changement pragmatique. Ce changement sera, à son tour, le signe avant-coureur, et non le suiveur, d’une pensée et d’une pratique islamiques plus libérales.(256)”

L’un des panels, intitulé de manière significative “Promouvoir la participation politique salafiste : défis et perspectives”, visait à donner des “suggestions pour créer des espaces pour les points de vue salafistes en politique”. La présentation PowerPoint identifiait les caricatures de Mahomet du Jyllands Posten comme un exemple de “diabolisation” des musulmans, déplorait la “sous-représentation des courants salafistes dans l’arène politique” et encourageait l’implication des “salafistes participatifs” dans la politique et les projets de promotion de la paix. Le document lié à la présentation soutenait que :

” Dans les cercles politiques occidentaux, la promotion de la participation politique des salafistes suscite une certaine nervosité. Cela est en partie lié à une hésitation à soutenir des points de vue politiques qui semblent contredire les valeurs occidentales, par exemple en ce qui concerne le statut et les droits des hommes et des femmes. Cependant, tout acteur qui prend au sérieux la promotion de la démocratie doit accepter qu’une approche cohérente et crédible doit inclure la promotion de l’inclusion d’acteurs ayant des opinions alternatives. “(257) “

On pourrait arguer que les groupes néo-nazis ont également des “opinions alternatives” sur les droits des femmes et bien d’autres sujets, mais heureusement, nous n’avons pas vu de pression de la part de l’Union européenne, des États membres et des intellectuels occidentaux pour promouvoir la participation politique des groupes néo-nazis afin d’être “sérieux en matière de démocratie”.

Pour être clair, ces études proviennent certainement d’universitaires respectés et présentent des opinions légitimes, mais il est également légitime de se demander pourquoi une institution européenne utilise l’argent des contribuables pour organiser une formation invitant un membre des Frères musulmans et présentant uniquement des thèses visant à promouvoir une image positive des islamistes et de leur rôle dans une société démocratique.

Approuver les Frères musulmans comme des partenaires dignes de confiance

D’autres types d’engagement méritent également d’être mentionnés. En 2017, l’Agence des droits fondamentaux de l’UE a publié un rapport sur les “défis auxquels sont confrontées les organisations de la société civile travaillant sur les droits de l’homme dans l’UE”. Dans la section méthodologie, il est expliqué que le rapport a été rédigé grâce, entre autres, à des consultations avec des experts de la société civile : parmi eux, regroupés avec les organisations de défense des droits de l’homme et les comités de surveillance, on trouve FEMYSO. (258) En 2018, le Parlement européen a organisé un ” Événement européen de la jeunesse ” réunissant des jeunes de tous les États membres avec pour objectifs de ” présenter et discuter des idées sur la façon d’apporter un changement en Europe avec les autres participants et avec les décideurs européens ” ; d'” encourager la discussion et le débat sur des sujets brûlants et les futures politiques européennes ” ; et de ” monter des spectacles culturels et mettre en valeur la diversité culturelle en Europe. “(259) L’un des panels, intitulé “Sûr ou libre” et axé sur l’équilibre entre sécurité et liberté dans l’UE, a été confié à la FEMYSO et aux Etudiants Musulmans de France(260) – une organisation que différentes sources considèrent comme un satellite des Frères musulmans et proche de l’ancienne UOIF.

La même année, le Service de recherche du Parlement européen (EPRS) a publié une étude sur “L’égalité et la lutte contre le racisme et la xénophobie”. Dans la section consacrée à la discrimination fondée sur la religion et les convictions, parmi les sources montrant une “montée de l’islamophobie” (plutôt que de la “haine anti-musulmane”, selon la terminologie officielle de l’UE), le rapport cite le groupe de réflexion turc SETA et le Forum européen des femmes musulmanes(262).

S’il est impossible de déterminer a priori si cet engagement multiple de l’Union européenne avec le réseau des Frères musulmans est principalement motivé par l’ignorance ou par des affinités idéologiques, il est important de faire prendre conscience de son existence et de faire pression pour un changement dans le choix des futurs partenaires musulmans. L’Union européenne doit développer une approche claire, fondée sur des valeurs, pour décider avec qui elle travaille.

CHAPITRE 6

Islamic Relief Worldwide (IRW) : Étude de cas

L’organisation caritative Islamic Relief a été fondée dans la ville anglaise de Birmingham en 1984 par un groupe d’étudiants musulmans. Elle est structurée de deux manières. Une organisation mondiale dotée de son propre conseil d’administration, puis des organismes nationaux constitutifs de ce que l’on appelle sa “famille mondiale”(263). Il existe des antennes dans une quinzaine de pays ou régions, dont cinq sont des États membres de l’UE : l’Allemagne, l’Italie, la République d’Irlande, l’Espagne et la Suède. Le financement européen de l’IRW existe depuis longtemps et est très important. Le système de transparence financière de la Commission européenne(264) révèle les paiements suivants impliquant le Secours islamique, pour un total de plus de 40 millions d’euros :

Malgré les niveaux de financement élevés des organismes européens et le soutien similaire de plusieurs États membres, la réputation du Secours islamique est de plus en plus remise en question. Ces questions portent sur son association avec les Frères musulmans et sur les commentaires extrémistes de certains employés de haut rang. La couverture médiatique, par exemple celle des médias allemands concernant les Frères musulmans en 2019, a généralement donné lieu à un démenti catégorique.(265) Cependant, un ancien militant des Frères musulmans de premier plan, Kamal el-Helbawy, qui a représenté les Frères en Égypte, au Pakistan et au Royaume-Uni, a expliqué à Lorenzo Vidino :

“Les dirigeants de l’IRW, explique Helbawy, sont des Frères, mais les personnes qui contactent les [donateurs] pour obtenir des dons ne sont pas nécessairement des musulmans ; il peut s’agir de chrétiens, de juifs, etc.”

Un examen de la direction d’Islamic Relief au cours de son histoire révèle qu’un éminent dirigeant des Frères musulmans est au cœur de l’organisation. Il s’agit d’Essam el-Haddad (parfois écrit al-Haddad), ancien conseiller de Mohammed Morsi en Égypte, qui, après avoir été l’un des cofondateurs d’Islamic Relief Worldwide, a siégé à son conseil d’administration(267) tout en faisant partie du Bureau d’orientation des Frères musulmans.(268) Après la révolution égyptienne, el-Haddad est rentré en Égypte depuis le Royaume-Uni et a été le directeur de campagne de Mohammed Morsi, qui a remporté la présidence égyptienne. Pour cela, il a été récompensé par le poste important de conseiller en politique étrangère du président Morsi.(269) À ce titre, il faisait partie des dirigeants des Frères musulmans qui ont assisté à la réunion des Frères au Caire en décembre 2012 avec Qassem Suleimani, alors commandant de la Force Quds des Gardiens de la révolution iranienne.(270)

Essam el-Haddad est issu d’une famille éminente des Frères musulmans – l’un de ses fils, Gehad, a été porte-parole de l’organisation en Égypte, tandis qu’un autre fils, Abdullah, a joué un rôle similaire pour l’organisation depuis Londres.(271) Fonder et diriger Islamic Relief semble tout à fait cohérent avec les activités politiques d’Essam el-Haddad. Il n’est pas le seul : selon un ancien membre suédois des Frères musulmans, Pierre Durrani, deux personnalités suédoises importantes d’Islamic Relief Worldwide, Abdallah Salah et Mustafa Kharraki, ont assisté à des réunions de l’usra des Frères musulmans en Suède.(272) Comme il s’agit de réunions de discussion privées réservées aux membres, cela indiquerait qu’ils étaient potentiellement eux aussi membres des Frères.

Les scandales du Secours islamique

Le Secours islamique a récemment traversé une période d’examen critique de la part des médias, qui ont découvert des membres occupant des postes de direction tenant des propos extrémistes et antisémites. Dans un article paru en 2016 dans le Washington Times, le directeur général adjoint du Secours islamique, Tayeb Abdoun, faisait la promotion du travail de l’organisation de la manière suivante : “Des centaines de milliers de donateurs individuels dans le monde entier nous font confiance pour aider les personnes dans le besoin, ainsi que les agences des Nations unies, les gouvernements américain et britannique et l’Union européenne.”(273) Il a souligné que l’organisation abhorrait le terrorisme, a condamné les critiques comme étant motivées par “l’islamophobie” et a déclaré que “le Secours islamique est fier de son engagement envers les principes humanitaires d’impartialité et de neutralité et de son approche multiconfessionnelle.”(274)

En 2020, la carrière de 25 ans d’Abdoun au Secours islamique a pris fin après qu’il a posté l’image d’un couteau sur sa page Facebook avec les mots “Déposez les corps des Juifs au sommet des montagnes, afin qu’aucun chien en Palestine ne souffre de la faim.” Cette publication a eu lieu le lendemain d’une attaque terroriste meurtrière qui a tué trois Juifs à Jérusalem. Abdoun avait également posté des commentaires antérieurs demandant si les pays occidentaux étaient les “vrais terroristes” et une question rhétorique sur les différences entre les chrétiens, les juifs et le diable.(275)

Plus tôt en 2020, Heshmat Khalifa, membre du conseil d’administration d’Islamic Relief Worldwide, a démissionné après que le Times a découvert qu’il avait fait l’éloge du Hamas, qualifié les Juifs de “petits-enfants de singes et de porcs” et décrit le président égyptien comme un “maquereau sioniste”(276). Un deuxième scandale a alors rapidement éclaté, les chercheurs ayant découvert qu’il avait lui aussi soutenu le Hamas et tenu des propos antisémites. L’ensemble du conseil d’administration du Secours islamique mondial a démissionné à la suite de ces révélations.(277)

Des thèmes communs semblent émerger des scandales du Secours islamique : antisémitisme, soutien à la violence et sympathie pour le Hamas. Il convient de noter ici qu’à sa création, la charte fondatrice du Hamas en 1988 déclarait qu’il s’agissait d’une aile palestinienne des Frères musulmans.(278) Naser Haghamed, directeur général d’Islamic Relief Worldwide, a fermement nié que l’IRW ait des liens avec le terrorisme ou qu’il soit affilié aux Frères musulmans.(279) Ces questions appellent clairement une réponse définitive.

En 2019, les médias allemands ont suggéré que le gouvernement fédéral considérait que le Secours islamique était lié aux Frères musulmans.(280) L’année suivante, d’autres rapports ont émergé, suggérant que les autorités allemandes mettraient fin au financement de l’organisme de bienfaisance en raison des préoccupations liées au fait que Islamic Relief Worldwide (IRW) et Islamic Relief Germany (IRD) sont liés aux Frères. (281) Cette information a été suivie d’une déclaration du gouvernement selon laquelle le Secours islamique a “des liens personnels importants avec les Frères musulmans”.(282) Depuis lors, le gouvernement néerlandais a annoncé qu’il ne financerait pas le Secours islamique en raison des liens de l’organisation.(283)

En décembre 2020, le Département d’État américain a publié une déclaration de son Bureau de l’Envoyé spécial pour surveiller et combattre l’antisémitisme. Cette déclaration condamne le Secours islamique et observe :

“Ce bilan d’antisémitisme représente un problème important pour tous les donateurs et pays donateurs de l’IRW. La tendance constante à la diffusion du vitriol antisémite le plus vil par les dirigeants de l’IRW nous amène à remettre en question les valeurs fondamentales de l’organisation.(284)”

Les médias ont ensuite rapporté que le département d’État ne travaillerait plus avec Islamic Relief Worldwide.(285)

Alors que les gouvernements du monde entier renoncent à travailler avec le Secours islamique, des questions se posent de plus en plus sur les relations de l’organisation avec Bruxelles. Comment l’Union européenne peut-elle justifier que l’argent de ses contribuables, qui travaillent dur, soit versé à une organisation impliquée dans des controverses aussi déplaisantes ? Surtout lorsque plusieurs gouvernements nationaux d’Europe semblent prendre leurs distances avec l’IRW ?

CHAPITRE 7

Conclusions et recommandations politiques

Dans ce rapport, nous avons tenté de montrer comment les Frères musulmans en Europe sont organisés et fonctionnent. Si toute tentative d’identifier un organe centralisé officiellement enregistré sous l’étiquette “Frères musulmans” serait vaine, une galaxie d’individus et d’organisations unis par les principes d’Hassan al-Banna existe bel et bien, et elle poursuit un objectif commun. Les mots habiles et les tactiques pragmatiques ne doivent pas dissimuler la dissonance fondamentale de cet objectif avec les valeurs démocratiques libérales que nous chérissons, comme l’ont largement démontré les chercheurs, les anciens membres des Frères musulmans et les agences de sécurité.

Pour ces raisons, nous concluons en proposant une série de recommandations politiques qui, selon nous, devraient jeter les bases d’une réponse globale à la menace islamiste.

  • Les autorités et les décideurs européens ne doivent pas chercher les “Frères musulmans” en Europe comme une organisation centralisée dotée d’une structure unique et de cartes de membre. Afin d’identifier la galaxie des Frères musulmans aux multiples facettes, ils devraient plutôt creuser davantage pour repérer les schémas idéologiques transnationaux, les liens individuels, les organisations faîtières communes et les sources de financement.
  • La compréhension des Frères musulmans en Europe est complexe. En effet, le secret qui entoure l’organisation et sa tendance à fonctionner davantage comme un idéal que comme une organisation politique formellement structurée l’ont délibérément rendu difficile. Cela a empêché les décideurs politiques européens de bien comprendre la situation. L’UE et les gouvernements nationaux doivent commander des recherches et des analyses pour comprendre la structure et les objectifs des Frères musulmans. Cela nécessitera un engagement beaucoup plus fort de la part de l’Union européenne et des ministères de l’Intérieur des États membres pour se concentrer sur les courants islamistes et le défi qu’ils représentent, avec un financement approprié de la recherche universitaire spécifique. Il existe également des moyens qui sont actuellement inexploités mais qui doivent être mis en œuvre – par exemple le Centre européen d’excellence pour la lutte contre les menaces hybrides.
  • Les États membres devraient tenir compte de la recommandation du groupe parlementaire CDU/CSU et créer des groupes d’experts sur l’islamisme au sein des ministères de l’Intérieur. L’UE pourrait coordonner ces efforts et apporter une contribution autonome en créant un groupe similaire à la DG Intérieur.
  • Il est crucial que l’analyse académique et politique susmentionnée se concentre non seulement sur le djihadisme, mais plus largement sur son substrat idéologique, comme c’est le cas pour les idéologies d’extrême droite et d’extrême gauche.
  • Compte tenu du nombre d’anciens militants qui émergent aujourd’hui de ce milieu, on comprend mieux la nature et les objectifs à long terme des Frères musulmans. L’Union européenne doit écouter ces voix, et les comparer à ce qui a été dit par certaines des organisations représentatives des musulmans en Europe.
  • L’Union européenne et ses États membres doivent rejeter le concept de “droits collectifs” et les politiques multiculturalistes qui divisent la société en boîtes compartimentées. Ils ont le devoir de toujours veiller à ce que les droits individuels ne soient pas comprimés par des politiques communautaristes et de rejeter les tentatives séparatistes qui entravent l’intégration et la cohésion sociétale. Il faut toujours garder à l’esprit que les minorités au sein des communautés musulmanes et les musulmans non islamistes sont les premières victimes de l’intolérance des islamistes.(286)
  • Les autorités européennes, à tous les niveaux, doivent éviter à tout prix la formation d’enclaves religieuses et assurer la primauté du droit étatique. La notion universelle de “citoyenneté”, avec les droits et devoirs individuels qu’elle implique, ne doit jamais céder aux exigences communautaires.
  • Les autorités publiques doivent contrôler chaque organisation qui prétend représenter les “musulmans” en tant que tels, en prêtant attention à la fois à leur engagement envers les normes démocratiques libérales et à leur représentativité réelle d’un large éventail de musulmans locaux. Ils doivent toujours veiller à ce que le dialogue avec les représentants religieux couvre une pluralité de points de vue et d’identités. En ce qui concerne les organisations représentatives des musulmans, l’engagement doit être étendu à ceux qui s’organisent en tant qu'”ex-musulmans”.
  • Ne jamais confondre les concepts de “haine anti-musulmane” et d'”islamophobie”. Le premier fait référence à une discrimination immorale et illégale à l’encontre de personnes musulmanes en raison de leur foi et de leur identité ; le second vise à censurer toute critique de l’Islam en tant que système de principes – dont beaucoup, dans leur interprétation orthodoxe, sont incompatibles avec les règles et valeurs démocratiques libérales.(287)
  • Les décideurs politiques européens, au niveau local, national ou européen, ne devraient pas soutenir les islamistes sous prétexte de promouvoir la “pluralité des opinions” : il n’y a rien de libéral ou de démocratique à soutenir ceux qui souhaitent détruire les démocraties libérales. Après tout, personne ne suggérerait de donner de l’argent et du pouvoir de représentation à des groupes néo-nazis afin de garantir le pluralisme.
  • L’éducation est un pilier de la stratégie de division des Frères musulmans. Il est donc particulièrement important que les autorités en charge contrôlent les programmes et les manuels des écoles privées, ainsi que les personnes et les organisations chargées par l’État de dispenser toute sorte de formation éducative. Cela est particulièrement important lorsque la relation implique des catégories vulnérables, comme les enfants, les jeunes et les nouveaux arrivants.(288)
  • L’Union européenne doit savoir avec qui elle travaille. Ce principe doit guider les relations avec les organisations qui sont depuis longtemps associées aux réseaux des Frères musulmans en Europe. Cela signifie que Bruxelles doit faire preuve de diligence raisonnable avant d’offrir une plateforme ou de financer la FEMYSO, la FIOE, la EFOMW et d’autres organisations similaires.
  • Le Secours islamique se distingue par l’exposition de ses problèmes d’extrémisme et son association avec les Frères musulmans. L’Union européenne et chacun de ses États membres doivent décréter un moratoire immédiat sur le financement d’Islamic Relief Worldwide et de ses différentes branches nationales, afin de garantir une enquête complète sur ces questions.
  • Il faut mener une enquête approfondie, en utilisant toutes les capacités de collecte de renseignements des États membres, sur les relations entre le Secours islamique et les Frères musulmans. Un deuxième aspect de cette enquête doit porter sur la question du Secours islamique et de l’extrémisme. Quels points communs peut-on trouver dans les scandales qui ont suivi l’organisation à travers l’Europe ?
  • Lorsqu’il est prouvé que des partisans ou des activistes des Frères musulmans originaires de l’extérieur de l’UE approuvent ou incitent à la haine et à la violence, l’UE devrait élaborer une approche claire pour bannir ces personnes de son espace commun, comme cela s’est produit dans le passé avec Tareq al-Suwaidan, un prédicateur antisémite radical interdit dans l’espace Schengen.(289) Yusuf al-Qaradawi devrait connaître le même sort. Ces décisions ne devraient pas être isolées mais systématiques, et il serait préférable de les traiter dans un cadre commun de l’UE ou dans un concert multi-États, plutôt que de manière non coordonnée.

ECR Group

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