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Arrêt dans un quartier quadrillé par les militants islamistes de divers courants. Dans la cité des Merisiers, les intégristes tentent de faire main basse sur une population particulièrement frappée par la misère sociale, économique et culturelle.

Des femmes entièrement drapées d’un voile noir commencent à faire leur apparition. La silhouette drapée d’un voile noir se glisse dans les travées du marché des Merisiers, à Trappes, dans les Yvelines. Régulièrement, elle s’arrête devant un stand, plonge ses mains gantées dans les marchandises, les rapproche de son visage dissimulé derrière un carré aux mailles serrées. La cliente se faufile au milieu d’une foule multi-ethnique indifférente. Tenue d’inspiration saoudienne, le niqab (1) fait une timide apparition dans le quartier. Ici, l’école maternelle connaît également quelques mères au visage caché que les instits tentent d’identifier par la voix, à la sortie de l’établissement. Mais ces femmes, adeptes du salafisme (islam rigoriste), sont encore rares à la cité des Merisiers (2), quadrillée par les militants islamistes de divers courants, dont celui des Frères musulmans. Coupée du centre-ville de la commune par la nationale 10, la cité semble refermée sur elle-même. Des tours et des immeubles abritent une population extrêmement pauvre socialement, économiquement et culturellement. Les habitants, à 75 % d’origine étrangère, subissent ainsi la ghettoïsation dans laquelle se sont engouffrés les marchands d’un islam d’apparence. Ignorés et niés par les pouvoirs publics, ils se dirigent de plus en plus souvent vers la salle de prière, située au rez-de-chaussée d’un ensemble de bâtiments. En ce vendredi de ramadan, les fidèles s’agglutinent dans le lieu saint, bien trop étroit pour contenir la masse des croyant(e)s. Il y a là des hommes en djellaba, des femmes en niqab ou en hidjab, essentiellement des jeunes, garçons et filles. Avant d’accomplir leur prière (elle dure trois minutes), ils écoutent le prêche de l’imam, en français, langue comprise par la majorité d’entre eux. Le thème porte cette fois-ci sur le zakat (l’aumône, l’un des cinq piliers de l’islam), qu’il serait ” préférable ” de destiner ” à la construction de la mosquée ” (lire nos ” repères ” ci-contre). L’imam évoque aussi l’adultère et la lapidation à l’époque du prophète. À la sortie, nous accostons deux jeunes femmes, l’une en foulard, l’autre en djelbab (un voile recouvrant tout le corps sauf le visage). Elles acceptent l’entrevue à condition de s’éloigner de la salle de prière. Laurence et Sandrine se sont converties à la suite d’un méthodique travail d’islamisation des habitants. Loin du regard méfiant des ” barbus “, les deux musulmanes nous surprennent en dévoilant leur identité : ” Nous sommes Françaises de souche, mariées à des Français d’origine marocaine, non pratiquants. ” Dans un coin désert, éloigné de quelques pas des tours, elles nous accordent vingt minutes avant d’aller préparer le repas qui rompt le jeûne. Depuis leur conversion à l’islam, ” la vraie religion “, elles confient se sentir bien dans leur peau. Interrogées sur la lapidation que l’imam venait tout juste d’évoquer, nous obtenons un silence de la part de l’une, l’autre répond : ” La femme sait ce qui l’attend si elle commet l’adultère. ” Copines depuis ” un certain nombre d’années “, Laurence (24 ans) et Sandrine (21 ans) parlent d’une même voix. ” On est sur Terre pour adorer notre seigneur et accéder au paradis. ” Toutes deux affirment être devenues ” une autre personne “. Une personne qui ” ne sort plus en boîte “, qui ” ne va plus à la piscine, ni à la plage “. Car, précise Laurence, ” on n’a pas le droit de se mettre en maillot devant les hommes. C’est une question de pudeur “. Ni l’une ni l’autre ne vit son changement de comportement comme une contrainte : ” Le plaisir est éphémère par rapport au paradis qui nous attend “, dit Laurence, employée dans une lingerie. Sandrine ajoute : ” Je ne fais plus de sport, on est là pour apprendre la religion, d’ailleurs la prière est un sport : ne se prosterne-t-on pas cinq fois par jour ? ” À les écouter, leur nouvelle vie et leur aspiration à ” fonder une famille, à s’occuper du mari ” ne font pas d’elles des personnes ” malheureuses “. ” On ne se sacrifie pas “, certifie Sandrine, femme au foyer, mère d’une petite fille. Si cette dernière porte le djelbab ” partout “, Laurence arbore le voile islamique uniquement pour se rendre à la mosquée. ” Mes parents sont très choqués, j’y vais mollo avec eux, et puis je ne peux le mettre au travail, c’est interdit. Mais plus ma foi grandit, plus j’ai envie de le porter “, confie-t-elle. Laurence et Sandrine se sont converties à la suite d’un méthodique travail d’islamisation des habitants par l’Union des musulmans de Trappes (UMT), principale association musulmane, proche de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). L’UMT, qui gère la salle de prière, fait main basse sur la oumma, cette ” communauté des croyants ” qu’elle entend fonder. L’association assure des cours d’arabe, de Coran, investit dans des activités sociales et culturelles. Dirigée par de jeunes intellectuels bardés de diplômes, elle a su ainsi séduire une population abandonnée par les politiques, larguée entre les mains des islamistes. Minoritaires, ces derniers orchestrent dans l’ombre, mais gagnent de plus en plus de monde à leur idéologie. Combien de femmes se couvrent la tête, voire le corps entier, après avoir écouté leurs prêches, lu leurs manuels, écouté leurs cassettes ? Au marché des Merisiers, les étals regorgent de ces produits traitant d’une certaine conception de l’islam ou de vêtements à la ” mode ” islamique. Les militantes de l’UMT ne cessent de marteler aux nouvelles recrues que le hidjab est ” une prescription religieuse “, que la mixité est ” proscrite en islam “. En avril dernier, elles avaient organisé un rassemblement devant la mairie pour exiger des créneaux horaires de piscine exclusivement réservés aux femmes. Reçues par le maire Guy Malandain (apparenté PS) et par Khadija Aram, conseillère municipale responsable des cultes (apparentée PS), ces militantes voilées ont essuyé un refus. ” Elles sont libres de faire ce qu’elles veulent en dehors des lieux publics. Nous n’avons pas accédé à leur revendication, ce n’est pas faisable, d’autant qu’elles exigeaient aussi un encadrement féminin. C’est l’engrenage “, explique Khadija Aram, devenue hadja depuis son pèlerinage à La Mecque. Cheveux au vent, l’élue soutient que le voile ” n’est pas obligatoire, sauf pour prier “. Mais pour les intégristes, le hidjab est avant tout un étendard à exhiber pour les rendre visibles dans la sphère publique. Dans cette optique, convaincre les croyantes de le revêtir demeure l’une des principales missions des prédicateurs. Des enfants ” reviennent transformés ” de l’enseignement coranique plusieurs fois par semaine. L’UMT dispense un enseignement coranique plusieurs fois par semaine à des enfants qui ” en reviennent transformés “, selon certains enseignants de Trappes. Sylvie Mérillon, directrice d’un établissement primaire, par ailleurs maire adjointe (PCF), se montre très inquiète ” des propos racistes et sexistes ” émanant de ses élèves qui fréquentent l’école religieuse. ” Un enfant de onze ans a injurié une maîtresse, parce qu’elle ne portait pas le voile “, rapporte-t- elle. ” Ce ne sont pas uniquement les signes ostentatoires qui ont augmenté, mais également les comportements intolérants, notamment à l’égard des enseignantes, les tensions entre les ethnies aussi “, ajoute Sylvie Mérillon. Sa collègue Marie-Laure Ségal, ancienne professeure de philosophie, présidente du collectif Croyance et laïcité, se souvient qu'” une petite minorité de ses lycéens perturbait la classe en s’opposant aux thèses rationalistes “. Aujourd’hui, des professeurs en exercice constatent à leur tour des dérives. ” Certains jeunes ont une vision de la science extrêmement dogmatique. Rien n’introduit le doute, le questionnement chez eux. Pour eux l’islam a réponse à tout “, insiste Marie-Laure Ségal. Les propos des deux femmes, déjà relatés dans le Monde de l’éducation (décembre 2001), leur ont valu d’être poursuivies en justice par l’UMT (voir ci-dessous). Depuis, estimant que la situation ne cesse de se dégrader, elles montrent du doigt la ” petite minorité ” qui bourre le crâne des gamins en quête de repères. Marie-Laure Ségal ajoute : ” Pendant le mois de ramadan, des élèves sont traités de mauvais musulmans quand ils vont manger à la cantine. ” Le ramadan est maintenant pratiqué par de très jeunes adolescents. À Trappes et ailleurs, des témoignages affluent sur le nombre croissant de gamins du primaire, voire de la maternelle, qui jeûnent alors que seuls les pubères doivent se plier à la prescription. Sylvie Mérillon se rappelle la fois où ” un gosse de neuf ans s’est trouvé mal. Je suis passée dans les classes pour expliquer que l’on ne peut rester le ventre vide quand on va aux cours. Je leur ai dit de faire le ramadan pendant le week-end “. La directrice a toutefois arrêté de prodiguer ses conseils à la suite d’altercations avec les parents sur ce sujet. À partir de l’an 2000, ” nous avons senti un basculement dans la vie quotidienne de l’école “, explique Sylvie Mérillon. ” C’est l’année de la montée de l’influence de l’école coranique et de l’UMT “, précise Marie-Laure Ségal. Aucune des deux n’a pu en discuter avec les responsables de l’UMT, réfractaires à tout dialogue. Nos propres sollicitations sont restées vaines. D’aucuns, à Trappes, les comparent davantage à des hommes politiques qu’à des dirigeants d’une association religieuse. Sans doute le pouvoir au sein de la ” communauté musulmane ” leur a-t-il été concédé à la suite de leur bras de fer avec la municipalité pour obtenir la création d’une vraie mosquée. En 2000, une manifestation est partie de la cité des Merisiers en direction de la mairie, gérée alors par les communistes, à l’époque hostiles au projet. Sur les banderoles, des slogans du style : ” Pas de mosquée, Monquaut [le maire PCF – NDLR] on aura ta peau “. Michel Espinat, conseiller général (PCF) des Yvelines, reconnaît que les élus ” ont péché par un manque de courage et de position claire sur cette affaire de construction d’une mosquée digne de ce nom. Mais le dossier était d’une grande complexité, d’autant qu’une partie de la population y était défavorable. J’étais maire adjoint et j’ai pesé pour que le projet voie le jour. Je pense franchement que l’on a donné du grain à moudre à certains qui exploitent les frustrations des musulmans “. Les responsables de l’UMT se sont engouffrés dans la brèche, persuadant les Français de confession musulmane de ” prendre leur carte d’électeur et voter contre le maire communiste “, affirme, sous anonymat, un fidèle de la salle de prière des Merisiers. Quoi qu’il en soit, le 11 mars 2001 la liste socialiste arrivait en tête avec 212 voix d’avance sur celle du PCF. Se remémorant ce fâcheux épisode, Michel Espinat, l’ancien maire adjoint devenu conseiller municipal, prône ” le dialogue avec les musulmans “, ajoutant : ” Majoritairement, ils sont acquis aux lois républicaines. Le débat est possible, on peut vivre ensemble, reconstruire des liens dans cette ville ouvrière où tous les mécanismes de solidarité se sont cassés. ” Son camarade Jean-Yves Gendron, également élu municipal, soutient : ” Les influences, bonnes ou mauvaises, ne se développent pas sur du vide. La majorité des musulmans rejette l’intégrisme. Mais il existe des personnes qui manipulent et qui savent pertinemment ce qu’elles font. Leur propagande se diffuse sur le terrain de l’échec de la politique d’intégration, essentiellement dans le domaine économique. ” Jean-Yves Gendron ose un parallèle avec ” la montée de l’extrême droite : la vie est si dure dans tous les domaines que les mieux écoutés sont ceux qui apportent les réponses les plus simplistes “. Nombreux sont les citoyens, de confession musulmane ou pas, à observer d’un oeil lucide l’idéologie islamiste qui tente de pénétrer à Trappes. Ces citoyens, parmi eux un grand nombre d’enseignants, souhaitent également que l’on regarde autrement l’islam, deuxième religion de France. ” Cela doit modifier nos règles de vie dans la société “, dit Michel Espinat. Instituteur à Trappes depuis 1974, il estime que ” l’on devrait, par exemple, intégrer un ou deux jours de fête musulmane dans nos calendriers essentiellement catholiques “. D’autant que de plus en plus d’élèves sèchent l’école le jour de l’Aïd. La suggestion de Michel Espinat ne ferait qu’officialiser une pratique courante. Mina Kaci (1) Absent du langage coranique, le niqab (provenant du verbe naqaba (” perforer “), désigne le voile qui recouvre tout le corps, y compris le visage et les mains. On l’appelle ainsi pour les petits trous faits dans le masque permettant ainsi à la femme de ” voir “. (2) Selon les renseignements généraux, les femmes en niqab seraient une centaine en banlieue parisienne, notamment à Trappes, Saint-Denis, Stains, Nanterre et Mantes-la-Jolie.

L’Humanité

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