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Pour l’historien spécialiste de la colonisation Pascal Blanchard, « les guerres de la décolonisation furent le plus long conflit de la France au XXe siècle »

[…] L’ouvrage ainsi que l’exposition qui l’accompagne raconte, en s’appuyant sur des travaux et des analyses historiques, les étapes de l’effondrement de l’empire colonial français. Il s’agit d’un lent et long basculement qui a duré plus d’un quart de siècle, de 1943 à 1967. […] Je dirais que ce processus a débuté dans la période de l’entre-deux-guerres, à travers trois événements très souvent oubliés et que l’on met très rarement en connexion. Le premier, c’est la révolte druze de 1925 […] la révolte du Rif au Maroc, […] la révolte de Yen Bay en Indochine […]

Parallèlement, on assiste à l’émergence des partis nationalistes qui jouissent d’une visibilité grandissante grâce à leurs leaders charismatiques. Ils s’appellent Hô Chi Minh au Vietnam, Ferhat Abbas et Messali Hadj en Algérie, Habib Bourguiba en Tunisie. En même temps, un vaste processus intellectuel de prise de conscience se met en place à travers des magazines, des journaux animés par des jeunes lettrés issus de l’Afrique et des Antilles colonisés. Le processus va s’accélérer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et il va nous faire rentrer dans la deuxième phase qui est celle de la décolonisation active. La décolonisation insurrectionnelle et politique commence en 1943 avec la matérialisation formelle de l’indépendance du Liban et se termine dans les années 1970 avec les indépendances tardives de Djibouti et des Comores. […]

Hormis la guerre d’Algérie, l’histoire des décolonisations reste peu connue des Français. Comment expliquez-vous cette méconnaissance ?

Pour moi, il y a trois raisons à cela. Premièrement, c’est la contradiction flagrante entre les valeurs professées et la réalité de la pratique sur le terrain, qui rend le passé colonial difficilement audible encore aujourd’hui. […]

Deuxièmement, la responsabilité de l’amnésie collective par rapport à la colonisation en incombe aux dirigeants français qui jusqu’à encore récemment glorifiaient l’œuvre coloniale, en niant les méfaits. […] Enfin, cette histoire de domination perdure aujourd’hui à travers des concurrences de mémoire opposant les anciens coloniaux, notamment des descendants des pieds-noirs, aux Français issus d’immigration africaine, ou encore à travers le système d’interdépendance semi-mafieuse appelé la « Françafrique » que la France a construit dans ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne pour y perpétuer son influence. Tous ces éléments ont concouru à faire de l’histoire coloniale et de la décolonisation le « dernier grand tabou français », selon les mots du président français en exercice Emmanuel Macron.

La levée de ce tabou passe-t-elle par la « décolonisation des esprits » que vous évoquez dans votre ouvrage ?

Il s’agit de la troisième phase de la décolonisation qui a commencé avec le retour sur le devant de la scène politique et culturelle de la question coloniale, portée par les enfants de l’immigration. Le grand basculement a lieu en 2005-2006 avec la révolte des quartiers populaires en octobre-novembre 2005 et la création du mouvement les Indigènes de la République. Parallèlement, cette décolonisation des imaginaires ou des esprits est accentuée par l’avènement d’une nouvelle génération d’historiens et d’intellectuels dont les travaux enclenchent une dynamique nouvelle en proposant une réécriture du récit colonial. C’est dans ce contexte que se situe le discours d’Emmanuel Macron qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité », de « vraie barbarie » et appelant les Français « à regarder en face » ce passé. Qu’un homme politique français puisse parler en ces termes de la colonisation est une révolution en soi. […]

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