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Quand le rap a débarqué dans le disque au tout début des années 1980 avec Rapper’s Delight, l’industrie a fait ce qu’elle a toujours fait avec les « musiques noires » avant lui : elle l’a ignoré un temps, puis a tenté de l’absorber en en mettant en avant sa version la plus blanche (sic) et anesthésiée possible – Vanilla Ice aux États-Unis en 1987, Benny B en France en 1989. (…)

Au tournant des 2000’s alors qu’ “on” les a sans cesse renvoyés à leurs origines et à leur musique « exotique », les rappeurs apprennent peu à peu à s’organiser, en France comme aux États-Unis. Ils montent leurs propres labels, apprennent le business.
Mais pour Mark Anthony Neal, professeur de culture populaire noire à l’université Duke (…) les rappeurs ne contrôlent pas « les moyens de production ou le pouvoir d’engager des budgets » (…) cette relation s’apparente carrément à « une version XXIe siècle de la plantation », où les artistes et les businessmen du rap sont utilisés, mais jamais intégrés.

Les années 2000, c’est officiellement le « retour du rock ». The Strokes, Arctic Monkeys, Franz Ferdinand, BB Brunes… (…) Les majors, en particulier, préfèrent vendre du rock blanc à des médias qui sont bien plus à l’aise avec cette musique-là qu’avec le rap. Car, comme l’industrie de la musique, les rédactions généralistes restent très blanches comme socialement homogènes et n’ont pas fait grand-chose pour intégrer le rap de façon permanente. (…)

Les rappeurs vont trouver (…) Musicast, un distributeur monté un peu par hasard… par un aveugle. Julien Kertudo, qui (…) invente le marketing en ligne auprès des communautés de fans pendant que les grands labels sont encore sur les vieux modèles auprès des vieux médias et sort les disques de Lunatic, Lacrim, Jul, puis PNL.
Tout cela a duré jusqu’à l’avènement du streaming grand public, autour de 2015. « Sans le streaming, on nous aurait encore imposé Julien Doré et les BB Brunes, s’amuse Stéphane Ndjigui. Là, c’est le peuple qui décide et on voit la réalité. Cette réalité, c’est que le peuple est blanc et noir et arabe et asiatique ! Le rap, c’est la musique de cette génération et il faut l’accepter ».

En 2018, année charnière du basculement vers une économie de la musique dominée par le streaming, 86 des 200 albums les plus écoutés appartenaient à la sphère rap. Face à la nouvelle mainmise de cette nouvelle variété, les majors ont alors basculé en quelques mois vers le « tout rap ». Elles ont réorienté leurs budgets, réorganisé les labels et se sont lancées dans une course à la signature à coups de gros chèques. Pendant longtemps, tout le monde regardait les Noirs et les Arabes comme s’ils venaient d’une autre planète. Maintenant, tout le monde a besoin de nous alors on fait le boulot, mais vraiment, c’est pas fini tout ça.

Pour Kyu Steed (producteur de Booba) l’industrie n’en a pas fini avec ces questions de racisme et de mépris (…) : « Pendant très longtemps, la variété a craché sur le rap, dit-il. On ne nous a absolument pas respectés, tout le monde regardait les Noirs et les Arabes comme s’ils venaient d’une autre planète. Maintenant, tout le monde a besoin de nous alors on fait le boulot, mais vraiment, c’est pas fini tout ça. » Pour Rocé, « le rap a gagné la guerre économique, ce qui est logique, c’est le capitalisme qui veut ça. Mais il n’a pas gagné la guerre symbolique, il est toujours mal vu. La question maintenant, c’est de prendre le pouvoir. »

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