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[…] Cet ouvrage, écrit depuis le centre de détention australien de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée), a été envoyé jour après jour par l’intermédiaire de la messa­gerie WhatsApp, comme un ­samizdat de l’exil. Témoignage d’une île-prison est un livre de chair et d’os, de sang et de larmes. C’est un livre de notre temps. « Le livre de Behrouz Boochani résiste à toute classifi­cation, explique son ami Omid Tofighian, qui l’a traduit du persan en anglais. Il relève autant de la littérature carcérale que de la fable ­philosophique, de la poésie kurde, des écrits dissidents iraniens ou encore de la critique anticoloniale. Il décrit comment les politiques migratoires et la violence d’Etat ont fabriqué un univers carcéral pour toute une partie de l’humanité. »

Behrouz Boochani, journaliste et écrivain kurde engagé de 36 ans, a dû fuir l’Iran début 2013 pour échapper à la prison. Il part pour l’Australie, synonyme de liberté. Arrivé en Indonésie, il est pris en charge par des passeurs qui le font embarquer, avec une soixantaine d’autres candidats à l’asile, sur un bateau de pêche. Après avoir échappé de peu au naufrage, les migrants sont récupérés par un navire militaire australien et envoyés sur l’île de Manus, terminus du voyage. L’asile en Australie est une chimère, le retour en Iran hors de question. Boochani est tombé dans un puits d’oubli. Il est arrivé quatre jours après l’entrée en vigueur de la loi anti-immigration particulièrement cruelle adoptée par les ­conservateurs australiens. Plutôt que d’accueillir des réfugiés et pour décourager les candidats, l’Australie sous-traite ses migrants à la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le camp de Manus, cette « prison de saleté et de chaleur », fait penser aux camps de détention japonais de soldats alliés pendant la guerre du Pacifique.

Si Boochani ne cède pas à la folie et à la tentation du suicide, fréquentes dans le camp, c’est parce qu’il réussit à se procurer un téléphone, régulièrement approvisionné en crédit par un réseau d’amis. Il l’utilise dans un premier temps pour alerter la presse, des ONG et l’ONU sur les conditions de détention inhumaines. Rapidement, le Guardian lui ouvre ses colonnes, des radios l’interviewent. L’administration du camp le met un temps à l’isolement pour le faire taire. En vain. Parallèlement à cet activisme militant, Behrouz Boochani commence à écrire pour lui, toujours sur son mobile. […]

Le Monde

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