Fdesouche

19/11/2019

La Chine a accusé lundi le New York Times d’avoir utilisé des documents “hors contexte”, après la fuite d’archives concernant la politique du régime communiste dans la région à majorité musulmane du Xinjiang.

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Interrogé sur la fuite du NYT, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang, a justifié la politique suivie par Pékin dans la région, affirmant que “plusieurs milliers” d’actes terroristes y avaient été commis jusqu’à fin 2016.

“C’est précisément parce qu’une série de mesures anti-terroristes préventives ont été prises à point nommé qu’il n’y a plus eu d’attentats au cours des trois dernières années”, s’est-il félicité.

“Non seulement le NYT ignore les faits, mais en plus il utilise des méthodes douteuses consistant à sortir des éléments de leur contexte afin de publier de soi-disant documents internes et calomnier les efforts de déradicalisation et d’anti-terrorisme au Xinjiang”, a martelé le porte-parole.

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LePoint


18/11/2019

Plus de 400 pages de documents internes chinois fournissent un regard intérieur sans précédent sur la répression des minorités ethniques dans la région du Xinjiang.

HONG KONG – Les étudiants ont réservé leurs billets de retour à la maison, dans l’espoir d’une pause détente après les examens et d’un été de retrouvailles heureuses en famille dans l’extrême ouest de la Chine.

Au lieu de cela, on va bientôt leur dire que leurs parents ne sont plus là, que les membres de leur famille ont disparu et que leurs voisins ont disparu – tous enfermés dans un réseau de camps de détention construits pour contenir des minorités ethniques musulmanes.

Les autorités de la région du Xinjiang craignaient que la situation soit une poudrière. Ils se sont alors préparés.

Les dirigeants ont diffusé une directive classifiée conseillant aux responsables locaux de coincer les étudiants rentrés au pays dès leur arrivée et de les tenir silencieux. Elle comprenait un guide effrayant sur la façon de traiter leurs questions, en commençant par la plus évidente : Où est ma famille ?

« Ils sont dans une école de formation mise en place par le gouvernement », est la réponse prescrite. En cas de pression, les responsables devaient dire aux étudiants que leurs proches n’étaient pas des criminels – mais ne pouvaient pas quitter ces « écoles ».

Le texte questions-réponses comportait également une menace à peine dissimulée : les élèves devaient être informés que leur comportement pouvait raccourcir ou prolonger la détention de leurs proches.

« Je suis sûr que vous les soutiendrez, car c’est pour leur propre bien », a-t-on conseillé aux fonctionnaires de répondre, « et aussi pour votre bien. »

 

Cette directive faisait partie des 403 pages de documents internes qui ont été partagés par le New York Times dans l’une des plus importantes fuites de documents gouvernementaux émanant du Parti communiste au pouvoir en Chine depuis des décennies. Ils offrent une vue intérieure sans précédent de la répression persistante dans le Xinjiang, dans laquelle les autorités ont maintenu jusqu’à un million de personnes d’origine ouïghoure, kazakhs et autres dans des camps d’internement et des prisons au cours des trois dernières années.

Le parti a rejeté les critiques internationales formulées à l’encontre des camps et les a décrits comme des centres de formation professionnelle utilisant des méthodes douces pour lutter contre l’extrémisme islamique. Mais les documents confirment le caractère coercitif de la répression dans les mots et les ordres des responsables qui l’ont conçue et orchestrée.

Si le gouvernement a présenté au public ses efforts dans le Xinjiang comme bienveillants, il a organisé une campagne impitoyable et extraordinaire dans ces communications internes. Les hauts responsables de partis ordonnent des actions urgentes et drastiques contre la violence extrémiste, y compris des détentions massives, et discutent des conséquences avec un détachement froid.

Les enfants ont vu leurs parents emmenés, les étudiants se demandaient qui paierait leurs frais de scolarité et les récoltes ne pourraient pas être plantées ou récoltées faute de main-d’œuvre, ont indiqué les reporters. Pourtant, il a été demandé aux responsables de dire aux personnes qui se plaignaient d’être reconnaissantes de l’aide du Parti communiste et de rester silencieuses.

Les documents divulgués offrent une image frappante de la façon dont la machinerie cachée de l’État chinois a mené à bien la plus vaste campagne d’internement du pays depuis l’ère Mao. Les informations clés fournies dans les documents donnent les indications suivantes :

  • Le président du parti, Xi Jinping, a jeté les bases de la répression par une série de discours prononcés à huis clos devant des responsables pendant et après une visite au Xinjiang en avril 2014, quelques semaines à peine après que des militants ouïghours aient poignardé plus de 150 personnes dans une gare, tuant 31 personnes. M. Xi a appelé à une « lutte contre le terrorisme, l’infiltration et le séparatisme » sans faille, utilisant les « organes de la dictature » et ne montrant « aucune pitié ».
  • Les attaques terroristes à l’étranger et le retrait des troupes américaines en Afghanistan ont exacerbé les craintes des dirigeants et ont contribué à façonner la répression. Les responsables ont fait valoir que les attaques en Grande-Bretagne résultaient de politiques plaçant « les droits de l’homme au-dessus de la sécurité », et M. Xi a exhorté le parti à s’inspirer de la « guerre contre le terrorisme » des États-Unis après les attentats du 11 septembre.
  • Les camps d’internement du Xinjiang ont connu une expansion rapide après la nomination, en août 2016, de Chen Quanguo, un nouveau chef du parti pour la région. Il a diffusé les discours de M. Xi pour justifier la campagne et a exhorté les responsables à “rassembler tous ceux qui devraient l’être”.
  • La répression a suscité des doutes et une résistance de la part des responsables locaux, qui craignaient d’exacerber les tensions ethniques et d’étouffer la croissance économique. M. Chen a rétorqué par une purge des responsables soupçonnés de lui faire obstacle, notamment un chef de comté emprisonné après avoir libéré discrètement des milliers de détenus des camps.

Les documents divulgués se composent de 24 documents, dont certains contiennent des documents en double. Ils comprennent près de 200 pages de discours internes prononcés par M. Xi et d’autres dirigeants, ainsi que plus de 150 pages de directives et de rapports sur la surveillance et le contrôle de la population ouïgoure du Xinjiang. Il est également fait référence à des projets d’étendre les restrictions à l’islam à d’autres régions de la Chine.

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Les dirigeants chinois taisent ces décisions politiques, surtout en ce qui concerne le Xinjiang, un territoire riche en ressources situé à la frontière sensible du Pakistan, de l’Afghanistan et de l’Asie centrale. Les minorités ethniques majoritairement musulmanes représentent plus de la moitié des 25 millions d’habitants de la région. Les plus nombreux sont les Ouïghours, qui parlent une langue turque et font depuis longtemps l’objet de discrimination et de restrictions dans leurs activités culturelles et religieuses.

Pékin cherche depuis des décennies à venir à bout de la résistance des Ouïghours vis-à-vis de la domination chinoise au Xinjiang. La répression actuelle a commencé après une vague de violences antigouvernementales et antichinoises, notamment des émeutes ethniques en 2009 à Urumqi, la capitale régionale, et une attaque en mai 2014 sur un marché en plein air qui a tué 39 personnes quelques jours à peine avant que M. Xi ne tienne une assemblée à Pékin pour définir un nouveau contour politique pour le Xinjiang.

Depuis 2017, les autorités du Xinjiang ont maintenu plusieurs centaines de milliers d’Ouïghours, de Kazakhs et d’autres musulmans dans des camps d’internement. Les détenus subissent des mois ou des années d’endoctrinement et d’interrogatoires dans le but de les transformer en partisans laïcs et loyaux du parti.

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Le gouvernement envoie les jeunes Ouïghours les plus brillants du Xinjiang dans les universités chinoises afin de former une nouvelle génération de fonctionnaires et d’enseignants ouïghours fidèles au parti.

La répression a été si importante qu’elle a même impacté cette élite étudiante, indique la directive. Et cela a rendu les autorités nerveuses.

« Les étudiants rentrés d’autres régions de Chine ont des liens via les réseaux sociaux dans tout le pays », a précisé la directive. « Dès lors qu’ils émettent des avis “incorrects” sur WeChat, Weibo et d’autres plateformes de médias sociaux, l’impact est généralisé et difficile à éradiquer. »

Le document avertissait qu’il y avait une « possibilité sérieuse » que les étudiants sombrent dans la « tourmente » après avoir appris ce qui était arrivé à leurs proches. Il a recommandé que les policiers en civil et les fonctionnaires expérimentés de la région les rencontrent dès leur retour « pour leur témoigner de la compassion et insister sur les règles ».

Le guide de questions-réponses de la directive commence en douceur, les responsables étant priés de dire aux étudiants qu’ils n’ont « absolument aucun besoin de s’inquiéter » pour leurs parents ayant disparu.

« Les frais de scolarité pour leur période d’étude sont gratuits, de même que le coût de la nourriture et des frais de subsistance », ont dit des responsables avant d’ajouter que les autorités dépensaient également plus de 3 dollars par jour en repas pour chaque détenu, « Encore mieux que le niveau de vie de certains étudiants à la maison. »

« Si vous voulez voir vos proches, concluaient-ils, nous pouvons vous organiser une réunion vidéo. »

 

Les autorités ont toutefois anticipé qu’il était peu probable que cela apaise les étudiants et ont imaginé une série d’autres questions : Quand mes proches seront-ils libérés ? Si c’est pour une formation, pourquoi ne peuvent-ils pas rentrer à la maison ? Peuvent-ils demander un congé ? Comment vais-je payer les études si mes parents étudient et qu’il n’y a personne pour travailler à la ferme ?

Le guide recommandait des réponses de plus en plus fermes indiquant aux étudiants que leurs proches avaient été « infectés » par le « virus » du radicalisme islamique et devaient être mis en quarantaine et guéris. Les responsables ont été priés d’ajouter que même les grands-parents et les membres de la famille qui semblaient trop vieux pour commettre des actes de violence ne pouvaient être épargnés.

« S’ils ne font pas d’études et ne suivent pas de formations, ils ne comprendront jamais complètement les dangers de l’extrémisme religieux », indique une réponse, citant la guerre civile en Syrie et l’émergence de l’État islamique. « Quel que soit son âge, toute personne infectée par l’extrémisme religieux doit suivre ce programme. »

Les étudiants devraient être reconnaissants aux autorités d’avoir emmené leurs proches, précise le document.

« Profitez de cette occasion d’éducation gratuite offerte par le parti et le gouvernement pour éliminer complètement les pensées incorrectes, pour apprendre le chinois et pour acquérir des compétences professionnelles », indique une réponse. « C’est une excellente base pour une vie heureuse pour votre famille. »

Les autorités semblent utiliser un système de notation pour déterminer qui peut être libéré des camps : le document ordonnait aux responsables de dire aux étudiants que leur comportement pouvait nuire aux scores de leurs proches, d’évaluer leur comportement quotidien et d’enregistrer leur présence, lors de sessions de formation, de réunions et d’autres activités.

« Les membres de la famille, y compris vous-même, doivent respecter les lois et les règles de l’État et ne pas croire ou propager des rumeurs », ont-ils dit. « Ce n’est que de cette manière que vous pourrez ajouter des points pour les membres de votre famille. Après une période d’évaluation, ils pourront quitter l’école s’ils respectent les normes fixées pour en terminer avec les cours. »

Interrogés sur l’impact des détentions sur les finances de la famille, les responsables ont été invités à assurer aux étudiants que « le parti et le gouvernement feront tout leur possible pour atténuer leurs difficultés. »

Aux étudiants qui s’enquerraient de savoir à propos de leurs proches détenus : « Ont-ils commis un crime ? », il suffirait de donner une réponse type.

Le document donnait instruction aux fonctionnaires de reconnaître qu’ils ne l’avaient pas fait. « C’est juste que leur pensée a été infectée par des pensées malsaines », précise le texte.

« La liberté n’est rendue possible que lorsque ce ‘virus’ dans leur pensée est éradiqué et qu’ils sont en bonne santé. »

 

Les idées qui ont motivé les détentions massives remontent à la première et unique visite de Xi Jinping au Xinjiang en tant que dirigeant de la Chine. Une tournée assombrie par la violence.

En 2014, un peu plus d’un an après sa nomination au poste de président, il a passé quatre jours dans la région. Le dernier jour du voyage, deux militants ouïghours ont organisé un attentat suicide à la bombe devant une gare à Urumqi, blessant près de 80 personnes, dont une mortellement.

Quelques semaines plus tôt, des militants armés de couteaux s’étaient déchaînés dans une autre gare du sud-ouest de la Chine, faisant 31 morts et plus de 140 blessés. Et moins d’un mois après la visite de M. Xi, des assaillants ont jeté des explosifs sur un marché de légumes à Urumqi, blessant 94 personnes et en tuant au moins 39 autres.

Dans ce contexte d’effusion de sang, M. Xi a prononcé une série de discours secrets définissant la ligne dure qui a abouti à l’offensive sécuritaire actuellement en cours au Xinjiang. Les médias d’Etat ont fait allusion à ces discours mais aucun d’entre eux n’a été rendu public.

Le contenu de quatre d’entre eux fait partie des documents divulgués – et fournit un regard non filtré sur les origines de la répression et sur les convictions de l’homme qui l’a initiée.

« Les méthodes que nos camarades utilisent sont inadaptées », a déclaré M. Xi au cours d’une conversation, après avoir inspecté une brigade de la police antiterroriste à Urumqi. « Aucune de leurs armes n’est une solution pour faire face à leurs grandes lames de machette, leurs haches et leurs armes en acier froid. »

« Nous devons être aussi durs qu’eux », a-t-il ajouté, « et ne montrer aucune pitié. »

Dans des interventions au Xinjiang et lors d’une conférence au sein des instances dirigeantes, à Pékin, sur la politique du Xinjiang, M. Xi s’est exprimé sur ce qu’il appelle « un problème de sécurité nationale crucial » et a exposé ses idées en faveur d’une « guerre du peuple » dans la région.

Bien qu’il n’ait pas ordonné de détentions massives dans ces discours, il a appelé le parti à libérer les outils de la « dictature » pour éradiquer l’islam radical du Xinjiang.

M. Xi est allé bien au-delà en dehors de ses remarques publiques sur le sujet. Il a comparé l’extrémisme islamique à une contagion de type viral et à une drogue entraînant une dépendance dangereuse et il a déclaré qu’il faudrait « une période de traitement interventionnel douloureux ».

« L’impact psychologique de la pensée religieuse extrémiste sur les gens ne doit jamais être sous-estimé », a déclaré M. Xi devant des responsables à Urumqi le 30 avril 2014. « Les personnes qui sont habitées par l’extrémisme religieux – hommes ou femmes, personnes âgées ou jeunes – voient leur conscience détruite, perdent leur humanité et meurent sans ciller. »

Dans un autre discours prononcé lors du conclave à Pékin un mois plus tard, il a adressé une mise en garde contre « la toxicité de l’extrémisme religieux ».

« Dès que tu y crois, dit-il, c’est comme si tu prenais une drogue, tu perds la raison, tu deviens fou et tu es près à faire n’importe quoi. »

Dans plusieurs passages surprenants, compte tenu de la répression qui a suivi, M. Xi a également demandé aux responsables de ne pas discriminer les Ouïghours et de respecter leur droit de culte. Il a mis en garde contre les réactions excessives face aux frictions naturelles entre Ouïghours et Chinois Han, le groupe ethnique dominant du pays, et a rejeté les propositions visant à éliminer totalement l’islam en Chine.

« En réponse aux forces séparatistes et terroristes placées sous la bannière de l’islam, certaines personnes ont fait valoir que l’islam devrait être restreint ou même éradiqué », a-t-il déclaré lors de la conférence de Beijing. Il a qualifié ce point de vue de « partial, voire faux ».

Mais l’orientation majeure adoptée par M. Xi a été indéniable : il a conduit le parti à amorcer un virage net vers une répression accrue dans le Xinjiang.

Avant l’accession au pouvoir de M. Xi, le parti avait souvent décrit les attaques au Xinjiang comme l’oeuvre de quelques fanatiques. Attaques inspirées et orchestrées par de sombres groupes séparatistes à l’étranger. Mais M. Xi a fait valoir, lui, que l’extrémisme islamique s’était enraciné dans des couches de la société ouïghoure.

En fait, la grande majorité des Ouïghours adhère à des traditions modérées, bien que certains aient commencé à adopter des pratiques religieuses plus conservatrices et plus affichées dans les années 1990, malgré le contrôle de l’islam par l’État. Les remarques de M. Xi laissent à penser qu’il est alarmé par la résurgence de la piété publique. Il a blâmé les contrôles laxistes sur la religion en suggérant que ses prédécesseurs avaient relâché la garde.

Alors que les dirigeants chinois précédents ont insisté sur le fait que le développement économique devait étouffer les troubles dans le Xinjiang, M. Xi a déclaré que cela ne suffisait pas. Il a demandé une cure idéologique, un effort visant à reformuler la pensée des minorités musulmanes de la région.

« Les armes de la dictature démocratique populaire doivent être utilisées sans hésitation ou tremblements », a déclaré M. Xi à la conférence des dirigeants sur la politique du Xinjiang, convoquée six jours après l’attaque meurtrière sur le marché aux légumes.

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Les républiques baltes comptaient parmi les plus développées de l’Union soviétique et ont également été les premières à partir lorsque le pays s’est disloqué, a-t-il déclaré à la conférence des dirigeants. La relative prospérité de la Yougoslavie n’a pas empêché sa désintégration non plus, a-t-il ajouté.

« Nous disons que le développement est la priorité absolue et la base pour parvenir à une sécurité durable, et c’est vrai », a déclaré M. Xi. « Mais il serait faux de croire qu’avec le développement, chaque problème se résoud tout seul. »

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M. Xi a averti que la violence se propageait du Xinjiang vers d’autres régions de la Chine et qu’elle pourrait nuire à l’image, forte, du parti. « À moins que la menace ne soit éradiquée », a déclaré M. Xi lors de la conférence à la direction, « la stabilité sociale subira des chocs, l’unité générale de toutes les ethnies sera endommagée et les perspectives générales de réforme, de développement et de stabilité seront affectées ».

Mettant de côté les subtilités diplomatiques, il a établi un lien entre les origines de l’extrémisme islamique au Xinjiang et la situation au Moyen-Orient et a averti que les troubles en Syrie et en Afghanistan augmenteraient les risques pour la Chine. Des Ouïghours se sont rendus dans ces deux pays, a-t-il dit et ils pourraient rentrer en Chine en tant que combattants expérimentés désireux d’avoir une patrie indépendante, qu’ils appellent le Turkestan oriental.

« Après que les Etats-Unis aient retiré leurs troupes de l’Afghanistan, les organisations terroristes positionnées aux frontières de l’Afghanistan et du Pakistan pourraient rapidement s’infiltrer en Asie centrale », a déclaré M. Xi. « Les terroristes du Turkestan oriental qui se sont formés à la guerre en Syrie et en Afghanistan pourraient à tout moment lancer des attaques terroristes dans le Xinjiang. »

Le prédécesseur de M. Xi, Hu Jintao, avait réagi par la répression en réponse aux émeutes de 2009 à Urumqi, mais il avait également souligné que le développement économique était un moyen de remédier au mécontentement ethnique – une politique de longue date du parti.  M. Xi a indiqué à travers ses discours qu’il y avait une rupture avec l’approche de M. Hu.

« Ces dernières années, le Xinjiang a connu une croissance très rapide et le niveau de vie a constamment augmenté, mais le séparatisme ethnique et la violence terroriste n’ont cessé d’augmenter également », a-t-il déclaré. « Cela montre que le développement économique n’apporte pas automatiquement un ordre et une sécurité durables. »

Pour assurer la stabilité dans le Xinjiang, il faudrait une vaste campagne de surveillance et de collecte de renseignements pour éliminer la résistance dans la société ouïghoure, a déclaré M. Xi.

Il a ajouté que les nouvelles technologies devaient faire partie de la solution, annonçant l’utilisation par le parti de la reconnaissance faciale, des tests génétiques et des mégadonnées dans le Xinjiang. Mais il a également mis l’accent sur des méthodes traditionnelles telles que les informateurs du quartier. Il a exhorté les responsables à étudier la manière dont les Américains ont réagi aux attaques du 11 septembre.

Comme les États-Unis, a-t-il déclaré, « La Chine doit faire de la population une ressource importante pour la protection de la sécurité nationale ».

« Pour nous, communistes, le fait de mener une guerre du peuple devrait être naturel », a-t-il déclaré. « Nous sommes les meilleurs organisateurs possibles. »

[…]

« Il faut que les criminels soient rééduqués et transformés de manière efficace », a-t-il déclaré devant des responsables du sud du Xinjiang au deuxième jour de son voyage. « L’éducation et la transformation de ces personnes doivent se poursuivre même après leur libération. »

Quelques mois plus tard, des sites d’endoctrinement se sont ouverts à travers le Xinjiang, principalement des petites structures abritant des dizaines ou des centaines d’Ouïghours’ aussi bien pour des séances destinées à les inciter à désavouer leur dévotion à l’islam que pour les conduire à exprimer leur gratitude envers le parti.

En août 2016, Chen Quanguo, a été transféré du Tibet pour gouverner le Xinjiang. Quelques semaines plus tard, il a appelé les responsables locaux à se « remobiliser » autour des objectifs de M. Xi et a déclaré que les discours de M. Xi « fixaient la voie à suivre pour réussir au Xinjiang ».

De nouveaux contrôles de sécurité et une expansion conséquente des camps d’endoctrinement ont suivi.

« La lutte contre le terrorisme et pour préserver la stabilité est une guerre longue », a déclaré M. Chen dans un discours prononcé devant la direction régionale en octobre 2017.

Dans un autre document, un compte rendu de ses remarques lors d’une vidéoconférence en août 2017, il a cité « les centres de formation professionnelle et de transformation des compétences professionnelles » comme des exemples de « bonnes pratiques » pour atteindre les objectifs de M. Xi pour le Xinjiang.

 

La répression semble avoir étouffé les troubles violents dans le Xinjiang, mais de nombreux experts ont averti que les mesures de sécurité extrêmes et les détentions massives risquaient de créer un ressentiment qui pourrait éventuellement mener à des affrontements ethniques plus graves.

Les camps ont été dénoncés par Washington et par d’autres capitales étrangères. Dès la conférence sur le leadership de mai 2014, M. Xi avait toutefois anticipé les critiques internationales et exhorté les cadres, à huis clos, à les ignorer.

« N’ayez pas peur si les forces hostiles gémissent ou si les forces hostiles dénigrent l’image du Xinjiang », a-t-il déclaré.

Les documents montrent qu’il y avait davantage de résistance face à la répression à l’intérieur du parti qu’auparavant – et ils soulignent le rôle clé joué par le nouveau chef du parti au Xinjiang pour surmonter ces réticences.

M. Chen a mené une campagne proche des croisades politiques de Mao. Campagne au cours de laquelle la pression hiérarchique sur les responsables locaux visait à éviter les contacts excessifs, toute expression de doute a, par ailleurs, été considérée comme étant un crime.

En février 2017, il a demandé à des milliers de policiers et de soldats présents sur une vaste place d’Urumqi de se préparer à une « offensive fracassante ». Les documents indiquent que, dans les semaines qui ont suivi, les dirigeants ont décidé d’instaurer la détention massive des Ouïghours.

M. Chen a émis un ordre général : « Rassemblez toutes les personnes qui devraient l’être ». La phrase, vague, apparaît à plusieurs reprises dans des documents internes datant de 2017.

Le parti avait précédemment utilisé l’expression chinoise « ying shou jin shou » pour exiger des fonctionnaires qu’ils fassent preuve de vigilance et de précision dans la collecte des taxes ou dans les évaluations des récoltes. Elle s’applique désormais, sans qu’il ne soit fait état de procédures judiciaires, à l’homme dans des directives ordonnant la détention de toute personne présentant des « symptômes » de radicalisme religieux ou d’opinions anti-gouvernementales.

Les autorités ont repéré des dizaines de signes dans le comportement courant des fidèles Ouïghours, tels que le port de la longue barbe, l’arrêt du tabac ou de l’alcool, l’étude de l’arabe et la prière à l’extérieur des mosquées.

Les chefs de parti ont renforcé les ordres en mettant en garde contre le terrorisme à l’étranger et contre des attaques similaires potentielles en Chine.

Par exemple, une directive de 10 pages de juin 2017, signée par Zhu Hailun alors haut responsable de la sécurité au Xinjiang, a qualifié les récents attentats terroristes en Grande-Bretagne « d’avertissement et de leçon pour nous. » Il a mis en cause le « poids excessif accordé par le gouvernement britannique aux “droits de l’homme qui sont placés au-dessus de la sécurité” et aux contrôles inadéquats sur la propagation de l’extrémisme sur Internet et dans la société. »

Il s’est également plaint des manquements à la sécurité dans le Xinjiang, notamment des enquêtes bâclées, des dysfonctionnements du matériel de surveillance et de lacunes dans la détention de personnes accusées de comportement suspect.

Continuez les détentions, ordonna-t-il. « Tenez-vous à rassembler toutes les personnes qui devraient l’être », a- t-il déclaré. « S’ils sont là, rassemblez-les. »

 

Le nombre de personnes raflés dans les camps reste un secret bien gardé. Mais l’un des documents divulgués donne une idée de l’ampleur de la campagne : il a demandé aux responsables de prévenir la propagation de maladies infectieuses dans des établissements surpeuplés.

Les recommandations étaient particulièrement urgentes et litigieuses dans le comté de Yarkand, un ensemble de villes et de villages ruraux du sud du Xinjiang où presque tous les 900 000 habitants sont ouïgours.

Dans les discours de 2014, M. Xi avait désigné le sud du Xinjiang comme la ligne de front dans sa lutte contre l’extrémisme religieux. Les Ouïghours représentent près de 90% de la population du sud du pays, contre un peu moins de la moitié de ceux du Xinjiang et M. Xi s’est fixé pour objectif à long terme d’attirer plus de colons d’origine chinoise.

Lui et d’autres chefs de parti ont donné l’ordre à une organisation quasi militaire, le Corps de production et de construction du Xinjiang, d’accélérer les efforts visant à coloniser la région avec davantage de Chinois han, selon les documents.

Quelques mois plus tard, plus de 100 militants ouïghours armés de haches et de couteaux ont attaqué un bureau du gouvernement et un commissariat de police à Yarkand, faisant 37 morts, selon les informations du gouvernement. Au cours de la bataille, les forces de sécurité ont abattu 59 assaillants, selon le rapport.

Un responsable nommé Wang Yongzhi a été nommé pour diriger Yarkand peu après. Il a grandi et passé sa carrière dans le sud du Xinjiang. Il était perçu comme un fonctionnaire habile et expérimenté, capable de mettre en œuvre les priorités du parti dans la région : le développement économique et le contrôle, ferme, des Ouïghours.

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M. Wang a cherché à renforcer la sécurité à Yarkand, mais il a également favorisé le développement économique en réponse au mécontentement ethnique. Il a également cherché à assouplir les politiques religieuses du parti en déclarant qu’il n’y avait rien de mal à avoir un Coran chez soi et en encourageant les responsables du parti à le lire pour mieux comprendre les traditions ouïghoures.

Lorsque les détentions massives ont commencé, M. Wang a, au début, fait ce qui lui avait été demandé et il semblait embrasser la tâche avec zèle.

Il a construit deux nouveaux centres de détention tentaculaires. Parmi eux, l’un est aussi grand que 50 terrains de basket, et il y a rassemblé 20 000 personnes.

Il a fortement augmenté le financement des forces de sécurité en 2017, doublant ainsi les dépenses consacrées aux postes de contrôle et de surveillance, qui ont atteint les 1,37 milliard de renminbi, soit environ 180 millions de dollars.

Il a également convoqué des membres du parti pour un rassemblement sur une place publique et les a exhortés à faire pression pour la lutte contre les terroristes. « Effacez-les complètement », dit-il. « Détruisez leurs racines et leurs branches. »

Mais en privé, M. Wang exprimait des doutes selon ses propres aveux qui auraient été soigneusement contrôlés par le parti.

Il était soumis à une pression intense pour empêcher une explosion de violence à Yarkand et il craignait que la répression ne provoque une réaction brutale.

Les autorités ont fixé des objectifs chiffrés pour les détentions ouïghoures dans certaines régions du Xinjiang et bien que l’on ne sache pas si c’est le cas à Yarkand, M. Wang a estimé que les ordres ne laissaient aucune place à la modération et empoisonneraient les relations ethniques dans le comté.

Il a dit également craindre que les détentions massives ne rendent impossible le développement économique dont il avait besoin pour obtenir une promotion.

Les dirigeants avaient fixé des objectifs de réduction de la pauvreté au Xinjiang. Mais avec autant de résidents en âge de travailler envoyés dans les camps, M. Wang craignait que les objectifs ne soient hors de portée, de même que ses espoirs de trouver un meilleur travail.

Ses supérieurs, écrit-il, étaient « trop ambitieux et irréalistes ».

« Les politiques et les mesures prises au plus haut niveau étaient en contradiction flagrante avec les réalités sur le terrain et ne pouvaient pas être appliquées intégralement », a-t-il ajouté.

Pour aider à renforcer la répression dans le sud du Xinjiang, M. Chen y a transféré des centaines de fonctionnaires du nord. En public, M. Wang a accueilli les 62 transférés à Yarkand. En privé, il a constaté qu’ils ne comprenaient pas comment travailler avec les représentants locaux et les habitants.

Les pressions exercées sur les responsables du Xinjiang pour qu’ils arrêtent les Ouïghours et empêchent de nouvelles violences étaient incessantes, et M. Wang a déclaré dans ses aveux – probablement signés sous la pression – qu’il buvait au travail. Il a décrit un épisode dans lequel il s’était effondré, ivre au cours d’une réunion sur la sécurité.

« Tout en rendant compte de mon travail lors de la réunion de l’après-midi, j’ai erré de manière incohérente », a-t-il déclaré. « Je venais de prononcer quelques phrases et ma tête s’est effondrée sur la table. C’est devenu la plus grosse blague de toute la préfecture. »

[…]

M. Wang est sans doute allé plus loin que tout autre responsable.

Doucement, il a ordonné la libération de plus de 7 000 détenus du camp – un acte de défi qui lui faisait risquer d’être détenu, dépouillé de son pouvoir et poursuivi en justice.

« J’ai tranché, agi de manière sélective et fait mes propres ajustements. J’étais persuadé que le fait de rassembler autant de personnes attiserait sciemment les conflits et accentuerait le ressentiment », a écrit M. Wang.

« Sans approbation et de ma propre initiative”, a-t-il ajouté, “j’ai enfreint les règles. »

 

M. Wang n’est plus réapparu publiquement après septembre 2017.

Environ six mois plus tard, le parti en a fait un exemple, en annonçant qu’il faisait l’objet d’une enquête pour « désobéissance grave à la stratégie de la direction centrale du parti pour gouverner le Xinjiang ».

Le rapport interne sur l’enquête était plus direct. « Il aurait dû tout donner pour servir le parti ». « Au lieu de cela, il a ignoré la stratégie de la direction centrale du parti pour le Xinjiang, et il est allé jusqu’à un défi insolent. »

[…]

Mais le plus grand péché politique de M. Wang n’a pas été révélé au public. Au lieu de cela, les autorités l’ont caché dans le rapport interne.

« Il a refusé, a-t-il déclaré, de rassembler toutes les personnes qui devraient l’être. »

NYTimes


17/11/2019

Depuis quelques années, au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste, les minorités musulmanes sont dans le viseur du régime chinois. Le New York Times a eu accès à des dossiers confidentiels du gouvernement de Xi Jinping expliquant comment l’internement forcé de milliers d’individus a été organisé.

Si l’on en croit les chiffres des experts de l’ONU, «plus d’un million» de Ouïghours – un peuple turcophone et musulman du nord-ouest de la Chine – seraient actuellement «détenus arbitrairement» dans des camps, aussi appelés des «centres de formation professionnelle» par Pékin. Des Kazakhs et autres minorités musulmanes sont aussi concernés.

Selon le témoignage de ceux qui y ont passé un séjour, à l’instar de l’homme d’affaires kazakh Omir Bekali qui dit avoir été enfermé pendant plusieurs semaines à Karamay (nord-ouest) à l’automne 2017, ces lieux ont pour but principal de débarasser les détenus de leurs convictions religieuses. Interrogé par l’AFP, il a assuré que les détenus étaient forcés à entonner des chants patriotiques chaque matin ainsi qu’à manger du porc.

De nouveaux éléments accablants ont été révélés par le New York Times ce samedi 16 octobre. «C’est l’une des fuites internes chinoises les plus importantes», selon le quotidien. En tout, il contient vingt-quatre dossiers confidentiels de plusieurs dizaines de pages, livrés par un membre de la classe politique chinoise qui a tenu à rester anonyme en espérant toutefois que ces révélations empêcheront le président choinois, Xi Jinping, de fuir ses responsabilités dans cette sombre affaire.

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CNews

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