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Au-delà des discours alarmistes « de la dernière chance » sur la disparition de l’Amazonie, qui se propagent sur les réseaux sociaux ces derniers jours, Martine Droulers, chercheuse émérite au CNRS, espère surtout que l’émoi suscité au niveau international et la mobilisation de la société civile sauront freiner le président brésilien Jair Bolsonaro dans son projet. Interview.

Ces incendies sont-ils un phénomène nouveau ?

Non, il y a vingt ans, on observait beaucoup plus de feux qu’aujourd’hui. Vingt mille kilomètres carrés brûlaient en moyenne chaque année. On était alors en pleine phase d’ouverture de l’Amazonie et la législation était beaucoup plus souple. Les agriculteurs brûlaient de grandes parcelles pour développer l’élevage et les cultures, les aménageurs ouvraient des routes, des mines et planifiaient des villes.

La tendance était toutefois à la baisse depuis dix ans, avant que le nombre de feux n’augmente de nouveau depuis deux ans. Les incendies qui ravagent l’Amazonie aujourd’hui constituent une alerte qui appelle à la vigilance, mais il est important de rappeler que ces feux sont tout sauf nouveaux et que beaucoup d’entre eux sont des opérations de nettoyage de zones déjà déboisées.

Jair Bolsonaro s’inscrit-il en rupture avec ses prédécesseurs sur le traitement de la forêt amazonienne ?

Le président s’inscrit dans une politique « développementiste » comme elle se pratiquait dans les années 1970 quand les militaires étaient au pouvoir, que le Brésil était en plein décollage économique et en pleine transition démographique. Ils avaient intégré la région amazonienne au projet national en y construisant des routes, en ouvrant des mines et de grandes fermes d’élevage. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la même conjoncture économique : le Brésil connaît une terrible récession depuis cinq ans.

Lula [président du Brésil de 2003 à 2010, NDLR] avait mis en place au début de son mandat une politique « environnementaliste » qui s’inscrivait à contresens de celle des militaires. Il l’a cependant beaucoup nuancée pendant la deuxième moitié de son mandat. La crise économique de 2008 a encore accentué le retour à une politique développementaliste d’exploitation à court terme des ressources de l’Amazonie.

Quant à Dilma Rousseff [présidente de 2011 à 2016, considérée comme l’héritière de Lula, NDLR], c’est elle qui, en tant que ministre des Mines et de l’Energie, a relancé la construction d’usines hydroélectriques en Amazonie.

Comment Bolsonaro perçoit-il l’Amazonie ?

Il la voit comme un portefeuille d’opportunités économiques qu’il faut développer, en incorporant de nouvelles zones agricoles pour la production de viande et de soja et en ouvrant de nouvelles concessions minières. Toutefois, la dégradation de l’image de Bolsonaro sur ce sujet très médiatisé devrait constituer un frein à cette politique.

Est-il possible de déclencher des opérations de déforestation sur l’ensemble de l’Amazonie ?

Non, environ 50 % de la forêt est désormais sous un statut de protection nationale. Cette surface est partagée entre réserves indiennes et écologiques. Donc la moitié de l’Amazonie ne sera pas, ou très peu, sujette à la déforestation. Certains s’y risquent, mais les amendes sont sévères. Cette politique de préservation, mise en place depuis vingt ans, a eu des résultats indéniables. Pour le reste, une partie est privée, constituée des réserves arborées obligatoires prévues par le code forestier ; l’autre est formée de terres dites publiques. C’est là sans doute que le risque d’incendie est le plus élevé.

La société civile brésilienne est-elle active contre ces incendies ?

La question de l’environnement est traitée activement au niveau national. Les Brésiliens s’approprient la question amazonienne. Il y a trente ans, personne ne s’y intéressait d’un point de vue environnemental. La vraie prise de conscience date de 1992 avec le sommet de Rio. Les enfants sont aussi de plus en plus sensibilisés dans les écoles. Des actions symboliques sont organisées régulièrement, comme la plantation d’arbres.

Les ONG sont très actives dans la protection de l’Amazonie. Dans le sud du pays, de nombreux groupes de citoyens mobilisés s’investissent, sans parler des « Amazoniens », qui représentent 25 millions d’habitants.

Bolsonaro a déclaré qu’il soupçonnait les ONG d’avoir allumé ces feux et a assuré que le Brésil n’avait pas les moyens de les éteindre …

Je n’accorde aucun crédit à ces dires, même s’il est vrai que les feux sont difficiles à maîtriser en Amazonie tant les dimensions sont colossales. Mais les moyens financiers attribués par l’Etat à la lutte contre le feu ont aussi diminué…

Pour évaluer la situation, je préfère me fier aux institutions étatiques et aux ONG qu’aux paroles de Bolsonaro. En plus de ne pas être sensible à l’environnement, le président a autour de lui la pression du lobby de l’agrobusiness. Il ne faut pas oublier que l’agro-industrie est l’un des fleurons de l’économie brésilienne avec la production de sucre, soja et viande. Mais l’importance qu’a prise la question amazonienne au plan international, aussi bien que national, devrait obliger le président à prendre les distances nécessaires avec ce puissant lobby, qui a soutenu son élection.

L’Obs

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