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Hervé Le Bras est démographe, spécialiste des migrations. Chercheur émérite à l’INED et historien à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), il est l’auteur d’une œuvre abondante, dont récemment L’Âge des migrations et Malaise dans l’identité. Aussi soucieux de la rigueur des chiffres que de l’attention aux réalités du terrain, il n’a pas de peine à démonter les théories en vogue : “appel d’air” , “ruée vers l’Europe” , “bombe démographique” et autre “grand remplacement.”

Où en est le niveau d’immigration dans nos pays ? Vous parlez d’un “roman migratoire”…
Nous sommes revenus aux niveaux d’avant la crise syrienne. On observe les mêmes tendances depuis toujours: le taux d’immigration fluctue avec la conjoncture économique des pays de destination. Le problème est que depuis plusieurs années, les politiques migratoires se basent non pas sur les chiffres réels mais sur la perception que la population se fait du phénomène. C’est comme la météo qui distingue température réelle et ressentie. Mais l’eau ne gèle qu’à une température réelle de zéro degré !

(…) L’immigration est un domaine où les fake news prospèrent depuis longtempts.

Contrairement à ce que prédit Stephen Smith, il n’y aura pas de “ruée vers l’Europe” ?
De nombreux démographes ont démonté les erreurs de Smith, mais sans voir non plus les idées intéressantes du livre. L’une d’elle, que je partage, est que le migrant du présent et du futur, c’est une personne diplômée qui migre pour se réaliser.

(…) Dans cette affaire, c’est l’idéologie qui s’installe, avec ses récupérations politiques: le livre de Smith est le livre de chevet de l’Élysée. Ma principale critique est qu’on ne peut pas traiter l’Afrique en bloc.

(…) Mais tout de même, la population africaine va doubler…
Si on prend l’Afrique du nord, le taux de fécondité s’est rapproché du niveau européen – notez qu’en Iran, ce taux est de 1,7 par femme alors qu’il était de 6,5 en 1985. Cela a décliné à toute vitesse et les mollahs sont affolés.

En Afrique du Sud, ils sont à 2,6 enfants par femme. Là aussi, la transition démographique est faite. La baisse se produit à l’échelle mondiale. Concernant l’Afrique sahélienne, du Sénégal au Tchad, il y a environ 80 millions de personnes. En 2050, selon les projections moyennes de l’ONU, il y en aurait 220 millions. Avec un très haut score pour le Niger, pays pourtant très pauvre. La bombe démographique, très limitée, se situe dans cette bande-là. Plus bas, les pays ont beaucoup de ressources et l’Afrique équatoriale, elle, est vide d’hommes !

Quand on fait une analyse régionale, on s’aperçoit que la menace pour l’Europe est finalement, très, très faible. D’une part, les flux auront tendance à descendre ; ensuite, ce sont plutôt les pays du nord de l’Afrique qui devraient alors faire face à une montée des “hordes invasives”. Or au Maroc, l’immigration se passe plutôt bien; ce pays a même fortement régularisé. Quant à l’Algérie, elle a carrément fermé ses frontières et renvoie les migrants dans leurs pays d’origine. Ceux qui devraient avoir peur, donc, ce n’est pas nous. Bref, quand on regarde dans le détail, contrairement à ce que fait Smith, on voit qu’il n’y aura pas de ruée migratoire vers l’Europe, c’est un grand fantasme.

Qu’en est-il des futures migrations climatiques ?

L’argument est le même. On se fait peur avec des généralisations purement mathématiques. (…)

Selon un récent sondage, près de 2 personnes sur 5 croient à la théorie du “grand remplacement”. Quelle est votre analyse ?
Le livre de Renaud Camus est l’un des plus nullissimes que j’ai jamais lus. D’après l’INSEE (2012), la population française compte 5,3 millions de personnes nées étrangères dans un pays étranger, soit 8 % de la population. Et parmi eux, 3,3 millions sont originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Asie, soit 5 %… Difficile de parler de grand remplacement !

La réalité, ce n’est pas le remplacement mais la mixité, le métissage. Les enfants dont les deux parents sont immigrés ne représentent que 10 % des naissances. Ceux qui n’ont aucun parent, ni grand-parent immigré, 60 %. Dans 30 % des naissances, au moins un des parents ou grands-parents est immigré et au moins un des parents ou des grands-parents ne l’est pas. Ce qui représente 30% d’enfants métis.

Petit calcul à l’horizon 2050: on arrive à 50 % d’enfants métis. Ce métissage est la réalité de ce siècle. Et à ce compte-là, Éric Zemmour est un agent du grand remplacement. D’autre part, on omet les millions d’Occidentaux qui partent s’installer ailleurs et qui contribuent eux aussi au métissage mondial en cours. (…) Le refus du mélange est la définition même du racisme.

(…) L’écho (Merci à Ligom)

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