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«Libé» retrace le parcours de l’une des plus hautes figures de l’Etat islamique et patron de l’Amniyat, son service de renseignement. Le terroriste, possiblement abattu par les Etats-Unis il y a un an, a joué un rôle clé dans les affaires du cimentier franco-suisse en Syrie et dans la planification des massacres sur le sol européen.

(…) Comme l’avait révélé Libération en juillet 2018, c’est par une note déclassifiée de la Direction du renseignement militaire (DRM) que le nom d’Abou Lôqman est apparu dans la procédure liée à la multinationale franco-suisse. En prenant le contrôle de la cimenterie de Jalabiya (près de Raqqa), l’EI a mis la main sur un véritable trésor de guerre.

Cette révélation conduit les enquêteurs à entamer des recherches sur ce dirigeant alors méconnu. Dans une synthèse rédigée en septembre 2018, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) estime que «l’information selon laquelle [ Lôqman] participait à une réunion sur le sort de Lafarge est logique et cohérente» : «L’enjeu économique stratégique du maintien de l’activité de l’usine revêtant un caractère essentiel dans l’administration de la Syrie par l’EI.»

Manipulation

(…) C’est dans le village d’Al-Sahel, dans la province de Raqqa, qu’Ali Moussa al-Shawakh naît en 1973. Membre du clan sunnite des Ajeel, il obtient une licence de littérature arabe à l’université d’Alep en 2002. D’autres sources, moins vraisemblables, lui prêtent en outre un cursus de droit. En 2002, Abou Lôqman est envoyé dans le camp militaire de Ras al-Aïn pour y effectuer son service. Il y obtient le grade de premier lieutenant et semble très apprécié de ses supérieurs. Il gagne ensuite Damas, où il est incorporé à une unité de renseignement de l’armée régulière. Une expérience qui lui permet d’acquérir certaines méthodes de manipulation. Elles feront sa renommée.

En 2003, Abou Lôqman entame sa vie souterraine. Les Américains envahissent l’Irak de Saddam Hussein, stimulant la riposte des réseaux d’Al-Qaeda ramifiés autour d’Abou Moussab al-Zarqaoui. Le jeune sunnite idolâtre alors le raïs irakien. Il exècre aussi les alaouites, qui trustent les plus hauts postes de l’armée loyaliste syrienne. Depuis sa région d’origine, converti au salafisme rigoriste par le prédicateur Hamed al-Tayyaoui, Abou Lôqman se démène pour trouver des candidats au jihad. Il opère dans la zone grise permise par les services de sécurité syriens – connus pour instrumentaliser les mouvements islamistes à leur avantage. Recruteur la nuit, le futur terroriste agit le jour comme professeur d’arabe à l’école Al-Garbi d’Al-Sahel. Ce petit jeu dure jusqu’à début 2010, date à laquelle il est arrêté pour sédition. Inquiets de la vigueur prise par les réseaux jihadistes, les moukhabarat de Bachar al-Assad l’enferment à la prison militaire de Sednaya, à 30 kilomètres de Damas.

Revirement

C’est dans ce bagne infâme, où se pratiquent torture et exécutions extrajudiciaires, qu’Abou Lôqman embrasse la destinée de l’EI. Emprisonné avec des opposants politiques, des Kurdes et des communistes, il se lie avec Fiwaz Mohammed Kurdi al-Hiju, un homme ayant combattu les Américains en Irak. Un islamiste convaincu aussi, qui deviendra un des premiers juges influents de Daech dès sa sortie. Ensemble, ils résistent aux sévices perpétrés par les soldats. Et préparent le coup d’après.
Libéré au printemps 2012, Abou Lôqman rejoint d’abord les rangs du Jabhat al-Nosra (affilié ensuite à Al-Qaeda). Mais comme beaucoup de référents convaincus de la nécessité de créer un «califat» à part entière, il agit petit à petit en faux-nez de l’Etat islamique en Irak et au Levant, patronné par Abou Bakr al-Baghdadi. Véritable agent double, en contact étroit avec son compagnon de détention, Fiwaz Mohammed Kurdi al-Hiju, Abou Lôqman va siphonner Al-Nosra de l’intérieur pour mieux l’écraser. Le revirement est spectaculaire.

(…)

Libération

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