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Il y a 80 ans, près d’un demi-million d’Espagnols passaient la frontière après la chute de Barcelone, tombée aux mains du général Franco. À leur arrivée, ces réfugiés ont été parqués dans des camps de fortune. Une mémoire douloureuse, mais qui revit.

Le 26 janvier 1939, Barcelone passe sous le contrôle du général Franco. Des milliers de républicains espagnols fuient la Catalogne et se dirigent vers la frontière. Pendant la guerre civile espagnole, la France pratique la politique de la non-intervention, tout en fermant les yeux sur du trafic d’armes en soutien aux républicains. Mais elle décide finalement d’ouvrir ses portes. Le 28 janvier, le gouvernement français permet le passage aux seuls civils, puis le 5 février, les soldats républicains sont aussi autorisés à passer.

En quelques semaines, environ 475.000 réfugiés passent de l’autre côté de la frontière. Cet épisode est appelé la Retirada. Quatre-vingt ans plus tard, l’historienne Geneviève Dreyfus-Armand, auteure de “L’Exil des républicains espagnols en France. De la guerre civile à la mort de Franco” (éditions Albin Michel) revient pour France 24 sur cet exode quelque peu oublié et pourtant marquant de notre histoire.

Qu’est-ce qui a provoqué cet afflux massif de réfugiés espagnols en France ?

Geneviève Dreyfus-Armand : Ce qui l’a provoqué de façon immédiate, c’est la prise de la Catalogne par les Franquistes. Depuis le début de la guerre d’Espagne, en juillet 1936, à chaque fois que les Franquistes prenaient un territoire, il y avait une répression terrible contre tous ceux qui avaient soutenu la République : des exécutions de syndicalistes, d’instituteurs, d’intellectuels, d’artistes ou encore d’ouvriers. Lorsque la Catalogne a été prise, il y avait déjà beaucoup de gens qui avaient fui d’autres régions. Ils ont eu peur que la répression soit encore une nouvelle fois terrible. Ils ont fait le choix de partir vers la France. C’était la seule échappatoire possible.

Comment sont-ils arrivés France ?

Le passage s’est fait à pied le plus souvent, parfois en charrette ou en camion. Il y a eu des bombardements intensifs de la part de l’aviation franquiste et italienne sur ces longues colonnes de réfugiés. Cela a donc été un sauve-qui-peut généralisé à travers la montagne, en hiver, dans la neige et le froid. Il y a des scènes absolument terribles de civils, ou même de militaires, qui marchent dans la neige.

Face à cet afflux, qu’a fait le gouvernement français ?

Le pouvoir en France était averti depuis longtemps qu’il y aurait des vagues de réfugiés si les franquistes arrivaient à gagner. Mais personne ne s’attendait à un tel exode. Le gouvernement républicain espagnol espérait encore, contre toute raison, renverser la situation. De son côté, le gouvernement français, malgré les avertissements, n’a rien voulu prévoir. Il a mis en application le droit d’asile, comme il l’avait toujours pratiqué. Mais en même temps, il venait de prendre des mesures très restrictives à l’encontre des réfugiés. Il n’a fait qu’appliquer le récent décret qui prévoyait l’internement dans des centres spéciaux des étrangers indésirables [NDLR : décret-loi du 12 novembre 1938 du gouvernement Daladier].

À la frontière, on a donc séparé les familles quand elles sont arrivées groupées. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, les blessés ont été répartis dans 77 départements, pratiquement toute la France, sauf la région parisienne et les départements frontaliers du Nord-Est et de l’Est. C’est pour cela que l’on trouve aujourd’hui encore beaucoup de descendants de républicains espagnols en Bretagne, en Normandie, en Rhône-Alpes et même en Bourgogne.

À la frontière, les militaires et les hommes jeunes ont en revanche été conduits sous bonne escorte vers des lieux qui n’étaient pas aménagés car rien n’avait été prévu, comme sur les plages du Roussillon à Argelès-sur-Merou àSaint-Cyprien. On a simplement créé le décor et mis des barbelés tout autour. Au départ, il y avait près de 100 000 hommes sur la plage d’Argelès, un peu moins sur la plage de Saint-Cyprien. Comme ces camps ont été très vite surpeuplés, on en a créé d’autres dans l’Aude, dans l’Hérault, dans le Tarn-et-Garonne, dans l’Ariège, etc. C’était l’improvisation la plus totale ! Si bien que, durant les premières semaines, les réfugiés n’ont eu aucun abri. Ils s’enfouissaient dans le sable pour se protéger. Ils ont construit eux-mêmes leurs baraques. Il n’y avait pas d’eau potable. Le taux de mortalité durant ces premières semaines a été très important.

Que s’est-il passé dans les semaines qui ont suivi ?

Les camps se sont vidés dès le printemps 1939 parce que cet enfermement était insupportable pour ces hommes qui avaient combattu pendant près de trois ans. Ils pouvaient soit repartir en Espagne, mais le retour se soldait pour beaucoup par des années de prison ou l’assignation a des travaux forcés, soit immigrer vers d’autres pays, notamment en Amérique latine, ou s’engager militairement.

Dès la frontière, les autorités françaises les incitaient à rejoindre la légion étrangère. Quelques milliers d’entre eux décident de s’engager, mais la grande majorité a pu sortir des camps par le travail. Ils ont été embauchés par des agriculteurs ou recrutés par des entreprises car il y avait beaucoup d’ouvriers spécialisés parmi eux. Ils étaient près de 100 000 en avril 1940 à participer à l’économie de guerre.

Mais lorsque la France a été vaincue par l’Allemagne, ils se sont retrouvés de nouveau internés. Ils ont été incorporés dans des compagnies de travailleurs étrangers ou utilisés pour la fortification des frontières. Certains ont été envoyés dans différents endroits de la zone non occupée et notamment dans les massifs montagneux des Pyrénées ou du Massif central pour couper du bois. C’est dans ces régions qu’ils vont constituer des noyaux de résistance.

En 1944, ils ont participé à la libération de nombreux départements. Il y a aussi eu des républicains espagnols dans la France libre. Les premiers véhicules blindés à entrer dans Paris en août 1944 étaient d’ailleurs conduits par des républicains espagnols. À la fin de la guerre, il devait en rester à peu près 150 000 en France. Le gouvernement provisoire de la République française leur a alors octroyé en mars 1945 le statut de réfugié Nansen qui avait été accordé aux réfugiés russes et arméniens dans l’entre-deux-guerres. […]

Après 80 ans, que reste-t-il de cette mémoire ?

C’est une histoire qui a beaucoup marqué la France. Elle a une mauvaise conscience collective de cet accueil. Les républicains espagnols ne s’attendaient pas à être reçus dans des hôtels trois étoiles, mais ils ne s’attendaient pas non plus à être humiliés et maltraités comme ils l’ont été, car ils avaient beaucoup d’admiration pour la France. C’était pour eux le pays des droits de l’Homme. Malgré tout, ils se sont battus pour elle. Ils ont été très nombreux à participer à l’économie de guerre, puis à la Résistance. C’est une blessure pour les descendants parce que ces actions n’ont pas été reconnues. Ce sont un peu des anciens combattants oubliés. Ils ont eu la malchance d’arriver en France à un moment où elle n’était plus une terre d’asile. On a très vite oublié leur tragédie car il y a eu la guerre, mais c’est une mémoire qui ressurgit depuis une quinzaine d’années. Elle est importante pour les descendants car cette histoire les a forgés et continue à les forger dans le monde actuel.

France24

Merci à Mabuah

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