Fdesouche

Faut-il vraiment voir dans le “Ahou” entonné par les “gilets jaunes” depuis le mois de novembre le signe d’une infiltration par l’extrême-droite ou plutôt la marque d’une culture commune qui réchauffe et qui ramifie du côté des stades de foot ou du péplum “300” ?

Les amateurs de foot parieront peut-être sur des racines footballistiques qui iraient puiser du côté du Rhône, dans l’antre de l’Olympique Lyonnais (OL). Et c’est vrai que, sur le pavé (celui des Champs-Elysées comme ailleurs), le “Ahou” est souvent repris par les “gilets jaunes” au rythme du même clapping (grosso modo, taper dans les mains en rythme, pour ceux qui s’interrogent) que celui qu’on entend résonner au stade à Lyon. […]

“Chant guerrier”, car la notoriété du “Ahou” auprès des “gilets jaunes” ne doit pas tout aux performances footballistiques des joueurs de l’OL (troisième de Ligue 1 après la 23ème journée cette saison). Si les Bad Gones en ont fait leur cri, c’est parce qu’un film l’avait popularisé : 300. Rien à voir avec le ballon rond, c’est à Sparte que Zack Snyder, le réalisateur de 300, a ancré son péplum tendance blockbuster sorti en 2006. Son film revisite l’histoire grecque et en particulier l’épisode de la bataille des Thermopyles (480 av. J-C pour ceux qui voudraient réviser). Résumé au pas de course, c’est l’histoire de l’impérialisme des Perses de Xerxès qui tentent d’envahir Sparte, où le roi Léonidas et trois cents valeureux guerriers résistent. […]

C’est cette référence aux guerriers spartiates, qui charrie un idéal d’insoumission, de résistance et aussi l’idée d’une bonne vieille bravoure virile, qui est aujourd’hui réactivée par les “gilets jaunes” lorsque démarre un “Ahou” dans un cortège. L’allusion au film 300 est en général explicite puisque, bien souvent, le cri est précédé d’une question à la foule :C’est cette référence aux guerriers spartiates, qui charrie un idéal d’insoumission, de résistance et aussi l’idée d’une bonne vieille bravoure virile, qui est aujourd’hui réactivée par les “gilets jaunes” lorsque démarre un “Ahou” dans un cortège. L’allusion au film 300 est en général explicite puisque, bien souvent, le cri est précédé d’une question à la foule : “Gilets jaunes, quel est votre métier ?” Réponse : “Ahou ! Ahou ! Ahou !”

Depuis qu’on entend rebondir ce “Ahou” du péplum jusqu’au macadam en passant par le virage Nord à Lyon, il peut être tentant de spéculer sur des valeurs qui seraient propres à Sparte et trouveraient à s’incarner 2500 ans plus tard dans les revendications et les colères qui affleurent via le mouvement des “gilets jaunes”.

L’hypothèse d’un cri droitier n’est pas toute neuve : elle avait déjà germé en 2007, alors que les joueurs du Quinze de France avaient choisi de clamer “Spartiates !” en guise de cri de ralliement pour la Coupe du Monde de rugby. L’événement s’était déroulé quelques mois après la sortie du film de Zack Snyder, mais juste avant l’entrée de Bernard Laporte (sélectionneur de l’équipe de France de rugby) dans le gouvernement Fillon II sous Nicolas Sarkozy. Et à l’époque, on entendait déjà évoquer les ressorts politiques (et droitiers) de la référence spartiate.

Virage à droite toute pour le ballon ovale, l’OL… et maintenant les “gilets jaunes” ? En réalité, les références à Sparte ont fait florès tous azimuts si l’on dézoome dans une perspective au temps long. Dans Pourquoi se référer au passé ?, le livre collectif qu’elle a dirigé avec Claudia Moatti aux éditions de l’Atelier début 2018, l’historienne Michèle Riot-Sarcey fait référence aux travaux de Maxime Rosso. Dans une thèse soutenue en 2005 et justement intitulée “La référence à Sparte dans la pensée politique française du XVIème siècle à la période révolutionnaire”, Rosso montre que Sparte n’a en fait jamais cessée d’être mobilisée :

Depuis qu’on s’intéresse à la pensée politique en Occident, la cité antique de Sparte n’a jamais cessé d’être évoquée. Elle est même, tout comme Athènes, une des rares réalisations politiques et juridiques à devancer les idéaux des auteurs dont nous avons des traces et des souvenirs tangibles en ce domaine. Platon l’a érigée en modèle, Aristote et Isocrate l’ont tout à la fois critiquée et louée […] Les références à l’antiquité grecque sont certes moins présentes au Moyen-Âge, mais Sparte revient avec la Renaissance, notamment en Italie […]

En France, Sparte opère son retour par le biais de la pensée protestante, principalement celle des Monarchomaques qui remettent en cause la toute-puissance d’un pouvoir royal catholique défavorable à leurs intérêts en érigeant face à lui l’image des Éphores. Ces magistrats issus de l’élément populaire devaient en effet brimer l’autorité des rois. A partir du XVIe siècle, Sparte, soutenue par les nombreuses traductions de Plutarque, va donc tracer son chemin dans notre pays. Bien que discrète au XVIIe, elle transparaît dans les récits utopiques, où l’on vante les vertus de modèles aristocratiques ou, plus hardiment, celles de sociétés égalitaires. En tout état de cause, elle vient toujours en appui à l’opposition à l’absolutisme monarchique. […]

France Culture

Fdesouche sur les réseaux sociaux