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Campus de Columbia, dimanche 9 décembre, 4 heures du matin. Un échange animé entre un groupe d’étudiantes de couleur et un étudiant blanc. Elles, parlant de la culture du viol promue par Trump, lui, expliquant qu’en tant que partisan de Trump, il n’encourage en aucune manière la violence, sexuelle ou autre. Les deux parties s’enflamment. Il n’a pas le droit de parler, lui dit-on, car il est un homme blanc. L’étudiant explose. Sa tirade devient incontrôlable et offensante, sur ce que l’humanité doit aux Blancs.

Les 54 secondes font immédiatement le tour des réseaux sociaux. Dès le lendemain, l’affaire a gagné les médias nationaux, c’est une attaque de la suprématie blanche. Columbia dénonce un «  incident profondément bouleversant à caractère racial  ». Le visage et le numéro de téléphone du suprématiste sont placardés sur le campus. Dans un communiqué, l’étudiant s’excuse : « La rhétorique que j’ai utilisée laisse entendre que les Blancs étaient meilleurs que les autres races, alors qu’en réalité, je démontrais de façon théâtrale et sarcastique que les Blancs ne sont plus autorisés à parler de leurs accomplissements culturels.  »

Il a désormais quitté Columbia. Ainsi s’achève ce semestre houleux à Columbia, sur un «  incident  » qui remet les pendules à l’heure. Si certains se sont émus de la radicalisation sur le campus, c’est qu’ils n’ont pas pris la mesure du préjudice subi par les minorités. Cela donne raison à cet étudiant doctorant qui écrivait le 2 décembre dans le Spectator qu’en tant que «  Blancs  », nous devons «  reconnaître notre relation avec la suprématie blanche et travailler à son abolition  ». Ce processus, expliquait-il, «  implique de cibler la blancheur  » et de reconnaître «  nos relations avec l’anti-noirceur, le patriarcat, le capitalisme, le colonialisme, l’impérialisme, l’hétérosexisme, la transphobie et l’antisémitisme  ». Si le «  et  » final est en italique, c’est qu’il a écrit sa tribune en réponse à cet autre étudiant, juif – dont j’ai cité le cas voilà deux chroniques –, qu’il voulait démasquer comme représentant de la suprématie blanche, car il n’avait même pas mentionné «  les juifs de couleur  ».

L’empathie et la communication sont devenues impossibles : qui vous êtes détermine le préjudice que vous causez aux autres ou que vous subissez. Parmi les rares professeurs qui affrontent ouvertement le problème, à Columbia, se trouve Mark Lilla, chercheur en sciences politiques, historien des idées, journaliste et professeur de littérature, qui a par bonheur rencontré un certain écho auprès de certains intellectuels français. […]

Interrogé voilà quelques semaines par CNN, il a résumé son point de vue en une réplique : «  Ce n’est pas parce que je ne suis pas vous que je ne peux pas vous comprendre.  » En novembre 2016, il dénonçait dans le New York Times «  la panique morale à propos des identités raciales, genrées et sexuelles, qui a déformé le message du libéralisme [au sens américain du terme, représenté par le parti démocrate, NdA] et l’a empêché de devenir une force unificatrice capable de gouverner  ». Lui-même libéral, il se demandait s’il fallait rire ou pleurer devant l’habitude prise de demander à un étudiant – y compris sur des formulaires officiels – par quel pronom il faut l’appeler, «  il  », «  elle  », «  ils (ou elles)  ». Mais son discours est ultra-minoritaire.

Car le big business, désormais, c’est la pulvérisation des identités. S’il en fallait une illustration, l’étude à grande échelle publiée en 2017 par un professeur du Brooklyn College de New York, menée auprès de 8 688 professeurs de 51 des premières universités américaines, montrait que le ratio entre professeurs «  conservateurs  » et «  libéraux  » est de 1 pour 10,4. Plus intéressant, dans les fameuses études transdisciplinaires désormais motrices des identités politiques, le ratio atteint 108 libéraux pour 1 conservateur. Richard Vedder, professeur émérite en économie à Ohio University a dénoncé les «  diversocrates  » universitaires dans le magazine Forbes, le 10 décembre : «  Les universités se bousculent pour faire venir des minorités raciales, créant ainsi une vaste bureaucratie « diversifiée », affichant des préférences flagrantes pour les personnes de couleur. (…) Les universités se sentent coupables parce qu’elles sont majoritairement blanches. Elles se vantent donc de leur diversité et prennent plus souvent des décisions en fonction de la couleur ou d’autres caractéristiques du groupe que du mérite.  »

Que ne comprennent pas ces étudiants et (rares) professeurs qui rechignent devant l’urgence de «  décoloniser  » le monde  ? Qu’instruire les grands textes de la culture occidentale à travers Saint-Augustin, Dante, Montaigne, Shakespeare, Cervantès, Austen, Dostoïevski et Virginia Woolf serait une offense  ? À Columbia, on est libre de choisir le thème de ce cours obligatoire et d’étudier les chefs-d’œuvre des cultures asiatiques, hispaniques ou africaines. Mais parce qu’il faut décoloniser, le comité des études a remodelé le cours. On passe désormais directement de 1927 et Virginia Wolf à 1977 et l’écrivaine afro-américaine Toni Morrison, qui est passionnante. […]

Le Point

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