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Un million d’immigrants entassés dans des ghettos ne survivent que dans des conditions sanitaires précaires. À Brunswick, au Maine, ils vivent dans une densité difficile à se représenter.

« C’est difficile à imaginer. Ils sont environ 500 individus à l’acre, comparativement à une famille de 4 ou 5 personnes qui occupent d’ordinaire une maison sur un demi-acre », observe en entrevue David Vermette, auteur d’une histoire de l’immigration des Canadiens français en Nouvelle-Angleterre, A Distinct Alien Race.

Plus d’un million de Québécois immigrèrent pour échapper à la misère. Ils sont aujourd’hui à peu près oubliés. « Chaque famille québécoise a pourtant un lien avec cette immigration. Il est rare que je parle à quelqu’un du Québec dont un membre de la famille n’ait pas été lié avec cette fuite vers les États-Unis » qui court du milieu du XIXe siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres.

Pourquoi en parler encore aujourd’hui ? « Cette histoire des Canadiens français en Nouvelle-Angleterre reflète ce que d’autres groupes migrants connaissent aujourd’hui. Le président Trump agite l’idée que quelques milliers de migrants venus du Honduras représentent un danger, comme s’il s’agissait du débarquement de Normandie ! C’était la même peur qu’on agitait à l’égard de l’immigration canadienne-française aux États-Unis. On disait que les Canadiens français ne s’assimileraient jamais, qu’ils ne pouvaient pas être des citoyens fidèles puisque leur allégeance allait d’abord au pape, qu’ils se trouvaient là pour imposer leur culture aux Américains et, à terme, pour prendre le contrôle des institutions ! »

Fasciné par l’histoire de ces Franco-Américains dont il est un descendant, David Vermette rappelle que des efforts énormes ont été entrepris en réaction à leur immigration pour convertir les catholiques et leur faire la lutte. « Il y avait même des plans pour convertir le Québec. Les protestants ont établi des cours en français dans le dessein de les convertir. »

Pour Vermette, joint chez lui au Maryland, « beaucoup des peurs éprouvées aujourd’hui à l’égard des musulmans l’étaient à l’époque devant les catholiques ». […]

En 1886, à Brunswick au Maine, le docteur du lieu atteste que la diarrhée tue de nombreux enfants, en particulier dans la population canadienne-française. L’eau potable est puisée à même la rivière où, en amont, une usine déverse ses déchets. Des pasteurs indiquent que, pour cette communauté, ils enterrent plus de bébés qu’ils n’en baptisent. Des médecins, pour leur part, font état d’épidémie de diphtérie. Dès 1881, un journaliste indique que la fièvre typhoïde décime la population canadienne-française à grande vitesse.

Les immigrants des rives du Saint-Laurent se regroupaient dans des ghettos que l’on nommait Petits Canadas. « Ces Petits Canadas n’étaient pas tous insalubres, mais beaucoup l’étaient. »

Les archives sanitaires de l’époque corroborent les constats, montre Vermette. L’éditeur du Brunswick Telegraph, Albert G. Tenney, va décrire les conditions de vie de ces gens dans plusieurs textes qui empruntent au ton indigné des abolitionnistes. « Ce ton indigné témoigne du fait que des gens trouvaient indécent le sort fait à ces immigrants canadiens-français. »

On est loin de l’image classique de l’oncle des États qui revient dans sa famille du Québec pour montrer sa montre en or, symbole de sa réussite.

« C’était en fait vraiment épouvantable. Certains témoignages directs qui datent des années 1970 donnent une idée de la situation vécue. Une famille de douze par exemple qui vit dans deux pièces non chauffées. En réalité, le sort fait aux immigrants de la Nouvelle-Angleterre est épouvantable. Ça n’a rien à voir avec ce qu’on continue parfois de répéter au Québec, à savoir qu’ils partaient pour connaître une vie meilleure. » […]

En 1880, l’habitation no 25 d’une de ces filatures est habitée par toute la famille de la grand-mère de David Vermette. Juste à côté, à l’habitation no 23, Claire Albert, deux ans, et son frère Alexis, 8 ans, meurent tous les deux le même jour de la diphtérie.

Les enfants tombent à vrai dire comme des mouches. Dans l’habitation no 29, pas moins de 32 individus s’entassent comme ils peuvent pour survivre. Un témoin du temps, cité par Vermette, indique que les Canadiens français sont soumis à un degré de brutalité quasi impensable dans une communauté civilisée. […]

Le Devoir

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